Une bonne partie des méthodes de Chris Erasmus avait été oubliée depuis l'invention du réfrigérateur. Comme d'autres chefs sud-africains, il s'inspire des techniques des colons hollandais des XVIIIe et XIXe siècles, comme le salage de la viande, pour réinventer une gastronomie moderne.

Certains des ingrédients utilisés par cet ancien étudiant en chimie demandent des semaines ou des mois de préparation. Mais ils n'ont pas besoin d'être acheminés de l'autre bout du monde.

Pour Chris Erasmus, l'idée est de remettre au goût du jour la cuisine des «voortrekkers», ces colons hollandais qui ont migré à travers l'Afrique du Sud au début du XIXe siècle. Voyageant en convois de chariots, ils nomadisaient sur les hauts plateaux et devaient conserver leurs aliments sans glace ni réfrigérateurs.

«À l'époque, ils savaient exactement ce qu'ils faisaient, ce qui a été oublié pendant un moment. Maintenant, nous en avons une meilleure compréhension scientifique, et ça a du sens.»

Cette approche mêlant rétro et moderne est similaire de la philosophie qui a catapulté le restaurant Noma de Copenhague - deux étoiles au Michelin - et sa «nouvelle cuisine nordique» au rang de «meilleur restaurant du monde» en 2010, 2011 et 2012.

«Nous utilisons d'anciennes techniques, avec des sciences modernes», explique le chef sud-africain en montrant un sac rempli de framboises une semaine auparavant.

Sous vide dans la poche en plastique, les baies rouge sang sont conservées par fermentation hétérolactique, un processus chimique qui transforme le glucose en acide lactique tout en préservant le fruit.

Le chef ajoute du sel et oxygène légèrement le tout, une touche de modernisme qui prévient l'accumulation de bactéries.

Une fois la fermentation terminée, les baies peuvent être déshydratées, stockées, puis reconstituées avec de l'eau au moment voulu.

Le résultat final est un ingrédient qui n'a rien à voir avec les conserves de baies rouges habituelles, qui ont souvent un parfum de vinaigre.

«Ça donne une jolie odeur de framboise savoureuse, et dix fois plus de parfum grâce à la fermentation», se réjouit Chris Erasmus.

Chris Erasmus, comme d'autres chefs sud-africains tels que Margot Janse et Richard Carstens, s'inscrit à la confluence de nombreuses influences culinaires contemporaines.

Il ne veut pas gâcher les restes, cuisine tout chez les animaux, est un adepte du mouvement «locavore» visant à acheter le plus près possible des produits frais et de saison, et s'aventure même dans la gastronomie moléculaire.

Pour ces raisons, les menus de Chris Erasmus au restaurant Pierneef - situé dans le vignoble de La Motte, à Franschhoek, dans l'arrière-pays du Cap -, sont souvent avares de détails.

«Il y aura marqué 'agneau du Karoo' (une région aride en Afrique du Sud), mais pas quel morceau. Nous allons d'abord utiliser le cou, puis les épaules, puis les côtes, puis les gigots, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien» de l'animal, explique-t-il.

«Un de mes plats préférés est notre côte d'agneau salé, que nous avons trouvée dans de très vieilles recettes», note-t-il.

Pour ce plat la côte est frottée avec une épice utilisée pour faire le biltong, la viande séchée sud-africaine. Pendue dans une cheminée pendant deux semaines, elle est «lentement séchée et fumée».

La côte est ensuite cuite, séchée à froid, puis finalement découpée sur des pierres chaudes. Le résultat final est «presque comme une pancetta d'agneau», salive le chef.

Selon le critique gastronomique sud-africain Jean-Pierre Rossouw, ce mélange de l'ancien et du moderne dans la cuisine sud-africaine est à la fois «très excitant» et «attendu depuis longtemps».

«La nourriture est tout à fait une combinaison des racines, du patrimoine, de techniques culinaires modernes et d'innovation», dit-il.

«Et quand l'histoire rencontre innovation, la cuisine va vraiment de l'avant!», s'enthousiasme le critique.