Il y a du nouveau dans le paysage agricole du Québec. On voit apparaître, ici et là, de petits vergers d'arbres à noix. Découverte.

Quelques audacieux, dont Alain et Yvan Perreault, ont eu la bonne idée d'essayer de commercialiser les délicieuses noix du Québec à plus grande échelle.

Lorsqu'ils ont décidé de racheter puis d'exploiter la terre familiale, à Saint-Ambroise-de-Kildare, dans Lanaudière, les frères Perreault l'ont d'abord analysée.

«On savait qu'on avait une terre argileuse, qui est forte, compacte, pas toujours facile à travailler, raconte Alain. Puis avec l'aide du Répertoire des arbres et arbustes ornementaux, on a trouvé des cultures qui avaient du potentiel. Au Québec, personne ne fait encore pousser assez d'arbres à noix pour qu'il y en ait de manière régulière sur le marché.»

Certes, il y a quelques petites «collections» d'arbres au Québec, mais les noix restent chez leurs propriétaires.

Le Club des producteurs de noix comestibles du Québec, créé en 2008 par Giulio Neri et Bernard Contré, compte d'ailleurs une centaine de membres.

Des noix d'ici

À Sainte-Croix-de-Lotbinière, Jacques Blais et sa femme Diane Pageau ont fondé la petite entreprise Amandes du Québec. Ils commercialisent annuellement quelques centaines de kilogrammes de noix provenant de plusieurs petits vergers. Ils les écalent eux-mêmes, à la main, puis les vendent dans la région de Québec.

Flairant un créneau intéressant, Alain et Yvan Perreault en sont donc venus à planter sur une surface de 14 hectares près de 3000 arbres, d'une douzaine d'essences différentes. Châtaigniers, noyers, pacaniers du Nord, caryers, entre autres, composent le verger expérimental. Plantés surtout en 2007 et en 2008, certains arbres commencent à produire assez joliment. L'an dernier, on a récolté 50 kg de noix, dont une partie a été vendue à la table des Jardins sauvages de Lanaudière, puis aux restaurants montréalais Toqué! et Sardine. Cette année, on pense récolter environ 200 kg de noix.

On ne gagne pas sa vie avec la culture des noix du jour au lendemain, préviennent les frères. Il faut vivre d'autre chose pendant longtemps. Heureusement, Alain gagne bien sa vie dans le domaine des nouvelles technologies, tout en restant très attaché à la terre sur laquelle il a grandi.

Yvan est mycologue, cueilleur, formateur, passionné de tout ce qui pousse, fleurit, mûrit au Québec. Lorsqu'il a le temps, il organise des sorties de cueillette de comestibles divers.

Pour les noix, l'Outaouais, la région d'Oka et les alentours de Joliette sont des lieux où l'on trouve beaucoup d'arbres à noix. Dans les haies brise-vent, plantées au Québec surtout dans les années 80 et 90, on trouve aussi des noyers noirs et d'autres variétés.

«Le Jardin des noix n'est pas qu'un passe-temps de gentleman-farmer», tient à préciser Alain. «Notre première motivation est d'innover, de proposer une agriculture créative, ajoute Yvan. Puis il y a le défi de l'expérimental, de la résolution de problèmes. C'est excitant.»

Bien qu'ils doivent faire face à des arbres qui meurent, à des greffes qui ne prennent pas et à bien d'autres difficultés, les frères constatent que la noix est une culture relativement facile. «Contrairement à plusieurs autres arbres fruitiers, les arbres à noix demandent peu de taille, peu de soins. C'est un petit investissement de départ et la dépendance à la main-d'oeuvre est minime. De plus, on ne vit pas dans l'urgence comme ceux qui produisent du frais. Les noix doivent vieillir un minimum de deux mois et peuvent être conservées pendant une période qui varie de six mois à deux ans.»

Après six ans de travail et d'observation, Alain est maintenant convaincu qu'il y a de l'avenir dans la noisette. Mais c'est le noyer noir qui est le plus productif pour l'instant.

Le hic, c'est que le goût est un peu déroutant mais combien intéressant. «Ce sera un beau défi de commercialisation.»

L'autre défi sera d'extraire l'amande du noyer noir de manière économique, sans la casser, car sa coque est particulièrement dure. Jacques Blais, des Amandes du Québec, travaille d'ailleurs avec le cégep de Sherbrooke afin d'inventer un craque-noix automatique efficace. Lorsqu'il était au Sardine, le chef Aaron Langille a mis les fruits du noyer noir en valeur dans un délicat tartare de cerf aromatisé à l'huile de caméline. Il en a aussi écalé quelques-unes en direct pour les clients. «Une explosion de fromage bleu et de bleuet dans chaque bouchée», décrit-il.

Pour extraire l'amande du noyer noir, Charles-Antoine Crête, du Toqué!, s'est procuré un casse-noisettes à toute épreuve. Il a ajouté les noix à son pré-dessert au fromage bleu et à la meringue. Cet automne, il a même expérimenté avec la noix verte, fraîchement cueillie. Un peu aqueuse, elle rappelait davantage l'amande que le fromage bleu.

Mode de consommation

On ne mange normalement pas les noix qui viennent de tomber de l'arbre. Il faut les faire sécher à la température de la pièce pour qu'elles ne germent pas. Cette étape dure au moins deux mois. Le taux d'humidité des noix doit passer de 20 à 10%. C'est à peu près au moment des Fêtes que les noix de chez nous sont au sommet de leur saveur.

Il existe des silos de matière semi-rigide qui envoient de l'air pulsé chaud pour accélérer le processus. Le jour où les frères Perreault devront en installer un dans leur verger de Saint-Ambroise-de-Kildare, ils pourront enfin crier au succès de leur courageuse entreprise.

L'histoire des arbres à noix au Québec

Les arbres à noix faisaient partie du couvert forestier qui s'est établi dans le sud de la province à la suite de la dernière glaciation, nous apprend Karine Taché, professeure d'anthropologie au Queens College, à New York. «Au Québec, nous avons des traces d'utilisation plus intensive de ces ressources à partir d'environ 4000 ans avant aujourd'hui, nous écrit-elle. Plusieurs espèces semblent avoir été consommées, notamment les fruits du noyer, du chêne, du hêtre et du caryer.»

«On pense que les populations autochtones pratiquaient peut-être une certaine forme d'aménagement de l'environnement forestier afin d'augmenter la productivité des arbres à noix et de minimiser la concurrence d'autres animaux.»

À titre d'archéologue, Dre Taché travaille sur un projet de recherche impliquant des analyses chimiques de vases en céramique retrouvés sur des sites archéologiques préhistoriques de l'est de l'Amérique du Nord.

Son objectif est d'identifier ce que les populations amérindiennes faisaient cuire dans ces contenants, il y a environ 3000 ans. Pour ce faire, elle doit comparer les signatures chimiques obtenues à l'intérieur des vases avec celles d'espèces animales et végétales qui auraient pu être préparées et cuites à l'époque

Dégustation

> Noyer hybride

Nous connaissons l'appellation d'origine contrôlée (AOC) noix de Grenoble, qui est le fruit du noyer. Le noyer hybride donne donc des fruits au goût similaire.

> Noyer noir

Tout simplement géant comme découverte! On goûte la pomme verte, le bleuet et le fromage bleu. C'est riche et moelleux. À essayer absolument!

> Pacanier du Nord

La noix de pécan (ou pacane) nordique a sensiblement le même goût que ses cousines du sud des États-Unis (Texas, Géorgie, Louisiane, etc.), où la culture du pacanier est importante.

> Noisetier

On la connaît bien, celle-là! Pour l'instant, les noisettes de chez nous sont un peu plus petites que les avelines importées, mais les fruits récoltés cet automne sont déjà plus volumineux.

> Noix de coeur

L'attaque rappelle la noix de Grenoble, mais on reste avec un goût d'amande fraîche en bouche. Délicieuse, la noix de coeur, et aussi très très jolie

Pour acheter des noix du Québec, on joint Jacques Blais, d'Amandes du Québec, au 418 728-9010. Les noix du Jardin des noix ne seront prêtes à être vendues qu'à la toute fin de l'automne.