Pratique, économique et réconfortante, la soupe est la pierre angulaire de la cuisine familiale québécoise. Aujourd'hui, il est temps de découvrir que les pea soups ne se sont pas nourris que de soupe aux pois!

Tous les peuples font des bouillons depuis l'invention de la poterie, il y a plus de 10 000 ans.

Au Moyen Âge, la soupe se faisait dans un gros chaudron suspendu à la crémaillère qui garnissait l'âtre (grand foyer). C'était peut-être le premier repas «tout-en-un» ! On trempait le pain dans le bouillon, puis on mangeait la viande à la fin.

Se sont plus tard ajoutés des légumes, des légumineuses, puis des céréales.

Au Québec, tous les poissons et les viandes, tous les légumes du potager - y compris les herbes -, les lentilles, les pois chiches, les pois cassés, l'orge et l'avoine entraient dans la composition des soupes, selon la région et la saison.

Avant que les casseroles n'arrivent avec les Français, les autochtones fabriquaient des récipients en écorce étanchéisés avec de la gomme de sapin. Ils y versaient l'eau qu'ils faisaient ensuite bouillir avec des pierres réchauffées dans le feu.

«La soupe est un incontournable de l'ordinaire québécois: elle est un héritage de notre tradition française», écrit Jean-Marie Francoeur dans sa Genèse de la cuisine québécoise.

La soupe étant de tous les repas, ce n'est peut-être pas pour rien que les Québécois ont préféré adopter le verbe «souper», plutôt que «dîner».

Les Anglais, quant à eux, appréciaient beaucoup les soupes de poisson et la soupe aux huîtres. Les Écossais, typiquement moins riches que les Anglais, adoraient les soupes aux coques, aux fruits de mer, qu'ils mariaient avec du poireau.

Plat de pauvre

Sous le régime britannique, les plus riches, qui associaient souvent la soupe à la pauvreté, ont arrêté de commencer le repas par de la soupe et l'ont remplacée par de la bière. D'ailleurs, ils se moquaient allègrement des pea soups, ces Canadiens français qui carburaient à la soupe aux pois.

Avec le temps, la soupe est devenue si indissociable du foyer québécois qu'elle a agi à titre de barème du talent de la cuisinière attitrée. «On dénonce comme mauvaise ménagère la femme qui ne fait que rarement la soupe; et dans les maisons canadiennes où il y a le plus d'économie, on voit de la soupe à dîner et à souper, quelquefois à déjeuner», pouvait-on lire dans Le Glaneur en mai 1837, un extrait cité par Jean-Marie Francoeur.

Plat de réconfort

En 2013, dans les campagnes de notre belle province, la soupe n'a (presque) rien perdu de son importance.

Hermine Bourdeau-Ouimet, auteure du livre de recettes De L'Hermine à l'érable et ancienne fée des fourneaux à la cabane à sucre L'Hermine, vient d'une famille de neuf enfants. «Ma mère avait beaucoup de bouches à nourrir. Elle cuisinait avec les moyens du bord, avec tout ce qu'on avait dans le jardin et tout ce qu'on mettait dans le caveau l'hiver. À la campagne, on travaille beaucoup dehors. C'est agréable d'avoir une bonne soupe chaude le midi ou pour commencer le repas du soir.»

Mariée depuis 57 ans, Mme Ouimet a elle-même eu cinq enfants. Elle a pris la relève de sa maman en reproduisant ses vieilles recettes, tout en innovant avec ce qu'elle avait sous la main. «Quand on a une grosse famille, on devient débrouillard. Puis à la campagne, on est loin de tout. L'épicerie n'est pas au coin de la rue.»

Aujourd'hui, ses enfants cuisinent aussi. Ils ont des potagers. Les filles ont repris la cabane à sucre, mais maman Hermine continue de mitonner ses fameuses soupes qui attirent les foules au printemps.

Michel Lambert, historien de la cuisine familiale québécoise, se rappelle pour sa part les bonnes soupes de sa belle-mère, Jeanne-D'arc Beaulac. «Pendant la semaine, elle ramassait les eaux de cuisson de légumes, gras de bacon, os de viande, puis à la fin de la semaine, elle faisait revenir l'oignon dans le gras, versait les bouillons, ajoutait parfois une cannette de soupe ou de pâtes pour donner du goût.»

Lorsqu'on y pense, ce refus du gaspillage n'aurait-il pas avantage à être remis au goût du jour?

Et la tradition de la soupe-repas familiale, solution aux rigueurs du passé, ne serait-elle pas la panacée de nos vies pressées?

Recettes

Avec les vagues successives d'immigration, le répertoire des soupes s'est considérablement élargi au Québec. On fait des soupes thaïes et vietnamiennes, des minestrone italiennes, on ajoute de la pâte de cari à nos potages de courge (les Britanniques aimaient les épices à tarte à la citrouille!), du lait de coco à nos crèmes de carottes. C'est pourquoi nous vous proposons des recettes de soupes un peu oubliées, à redécouvrir cet automne.

Bouillon de boeuf

Avant l'hiver, on abattait les veaux qu'on ne voulait pas garder, faute de place dans l'étable. Cela faisait un bouillon plus foncé que le bouillon de veau de printemps, dit veau de lait. Selon l'historien Michel Lambert, le boeuf de l'Ouest actuel correspondrait à ce genre de viande, car il est abattu très jeune. Ce bouillon servait de base à la plupart des soupes d'automne (navet, rutabaga, chou, légumes, racines, etc.).

> INGRÉDIENTS

1,5 kg de palette de boeuf

1 kg d'os à moelle de boeuf

8 litres d'eau

2 gros oignons coupés en 6

4 carottes moyennes en tronçons de 6 à 8 cm

4 branches de céleri en tronçons, avec les feuilles

2 poireaux moyens en tronçons, lavés pour enlever la terre

2 gousses d'ail écrasées

5 branches de persil

2 feuilles de laurier

2,5 ml de thym séché

2,5 ml de grains de poivre

10 ml de sel

> MÉTHODE

Mettre la viande et les os dans une marmite et les couvrir d'eau froide.

Amener à ébullition et faire blanchir la viande pendant 3 à 4 min pour que l'écume sorte.

Laver la viande à grande eau dans un tamis et la remettre dans la marmite nettoyée.

Ajouter les 8 litres d'eau, les légumes et les aromates. Ramener à ébullition.

Saler, poivrer et faire mijoter doucement le tout pendant 4 heures ou plus, à simple frémissement.

Retirer la viande et les os et laisser légèrement refroidir pour séparer la viande des os plus facilement.

Couler le bouillon et laisser refroidir.

Dégraisser le bouillon en laissant 1 ou 2 cuillerées pour la saveur.

Récupérer la viande pour la soupe de boeuf et orge ou pour un autre usage.

Soupe au rutabaga de Normandin

Recette traditionnelle québécoise répertoriée par l'historien Michel Lambert

Dans la famille de Michel Lambert, qui vient du village d'Albanel, on faisait cette soupe qui serait vraisemblablement née après le Grand Feu du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Après l'incendie, il ne restait que des pommes de terre et beaucoup de rutabaga dans les caveaux. Son père disait que la soupe était meilleure lorsqu'elle était faite avec du rutabaga qui avait été cueilli après les premières gelées, soit au mois d'octobre. Le rutabaga était alors nettement plus sucré.

> INGRÉDIENTS

1 kg de rutabaga pelé et coupé en tranches de 1 cm

1 c. à soupe d'huile végétale

1 c. à soupe de beurre

1 gros oignon coupé en dés

3 litres de bouillon de boeuf

15 ml de cassonade

Sel et poivre

60 ml de persil haché

> MÉTHODE

Pour éviter que la soupe soit âcre, faire cuire le rutabaga dans une eau bouillante non salée jusqu'à ce qu'il soit tendre, mais pas trop mou. Vider l'eau et écraser le navet avec un pilon à pommes de terre.

Dans une grande casserole, faire chauffer le beurre et l'huile et y faire suer l'oignon à feu moyen.

Ajouter le rutabaga, le bouillon, la cassonade et assaisonner avec le sel et le poivre.

Laisser mijoter pendant 10 à 15 minutes, pour que les parfums se mélangent. Repasser avec le pilon si jamais les morceaux de rutabaga sont trop gros. La soupe devrait quand même avoir une texture.

Terminer avec le persil haché.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Soupe d'automne aux tomates vertes

Recette adaptée du livre De l'Hermine à l'érable, de Mme Hermine Bourdeau-Ouimet

Le sirop d'érable contrebalance l'acidité des tomates et rehausse le goût différemment du sucre blanc.

> INGRÉDIENTS

30 ml huile

500 ml d'oignons hachés

500 ml de céleri haché

500 ml de tomates vertes en cubes

500 ml de jus de tomate

500 ml de carottes hachées

250 ml de rutabaga en cubes

250 ml de courge butternut en cubes

1 gousse d'ail

30 ml poivron vert

2 litres de bouillon de poulet

5 ml de sel

5 ml de poivre fraîchement moulu

5 ml de sel de céleri

8 ml d'herbes de Provence

30 ml de sirop d'érable

15 ml de pâte de tomate

> MÉTHODE

Faire suer les oignons et le céleri dans l'huile chaude, à feu moyen.

Ajouter les tomates vertes et le jus de tomate. Cuire pendant 5 à 10 minutes.

Ajouter tous les autres ingrédients et laisser mijoter pendant 20 à 25 minutes.

Arroser d'un filet d'huile d'olive aromatisée ou non et servir.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Soupe au boeuf et à l'orge

Recette adaptée du livre De l'Hermine à l'érable, de Mme Hermine Bourdeau-Ouimet

> INGRÉDIENTS

30 ml d'huile

2 oignons hachés

3 grosses carottes en tranches

2 branches de céleri hachées

2 litres de bouillon de boeuf

125 ml d'orge perlé

250 ml du boeuf utilisé pour faire le bouillon, effiloché (ou restes de rôti de boeuf en cubes)

15 ml de sirop d'érable

Sel, poivre, persil, sel de céleri, fines herbes et thym au goût

> MÉTHODE

Chauffer l'huile et faire revenir les légumes pendant 7 à 10 minutes.

Ajouter le reste des ingrédients et laisser mijoter doucement pendant environ 40 minutes, ou jusqu'à ce que l'orge soit bien cuite.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE