Appelé bourgot, buccin ou bigorneau, ce mollusque que l'on surnomme escargot de mer est pêché depuis les années 40 au Québec. Comme nul n'est prophète en son pays, il demeure très peu connu ici, alors que les Japonais se l'arrachent pour leurs sushis et que les Français le dégustent régulièrement dans les bistros. À notre tour de faire sortir le bourgot de sa coquille...

Le classique pot en vitre rempli de vinaigre et de bourgots un peu caoutchouteux que grand-maman conservait dans sa chambre froide: voilà l'image d'enfance typique qu'évoque le buccin dans l'esprit de bien des Québécois.

Pour d'autres, particulièrement ceux qui habitent près des côtes, le rituel entourant la préparation du mollusque est en quelque sorte une tradition familiale. «D'aussi loin que je me rappelle, ma mère ramenait des bourgots chez nous, que l'on arrangeait et qu'on congelait pour en avoir toute l'année», se rappelle Stéphane Vigneau, Madelinot d'origine et copropriétaire de la poissonnerie Fous des Îles, à Montréal.

S'il connaît bien les bourgots, à qui l'on donne le nom scientifique de buccins communs, c'est qu'ils élisent généralement domicile dans les eaux salées qui bordent son île natale. On les retrouve également sur la Côte-Nord et dans la région du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie.

Ceux-ci ressemblent à des escargots «sauf qu'ils transportent une plus grosse maison», illustre en riant Gilles Soucy, issu d'une famille de pêcheurs et aujourd'hui propriétaire de la Poissonnerie Soucy à Sept-Îles. Sa coquille spiralée est couleur sable et c'est le pied du mollusque - la partie blanchâtre - que l'on retrouve dans notre assiette.

De la fin avril à la fin octobre, les pêcheurs prennent donc le large, armés de cages s'apparentant à celles utilisées pour le crabe, et vont appâter le buccin. En 2011, selon les données fournies par Pêches et Océans Canada, ils ont ramené à la surface 1360 tonnes de bourgots, dont 68% provenaient de la Côte-Nord, 12% du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie et 20% des Îles-de-la-Madeleine.

Préservé, mais négligé

Si la pêche au buccin est encore très répandue au Québec après toutes ces décennies, c'est qu'il n'y a pas eu de surexploitation de l'espèce, souligne Sandra Autef, chargée de projets pour Merinov, centre d'innovation de l'aquaculture et des pêches du Québec. Tous les buccins mesurant moins de 7 cm sont rejetés à la mer, histoire de permettre une régénération de l'espèce. «En plus, c'est une pêche propre, qui se fait au casier et qui a donc des impacts limités sur le fond marin», ajoute-t-elle.

Une fois sur les quais, plusieurs des bourgots pêchés poursuivront leur voyage. En 2007, selon Pêches et Océans Canada, le Québec a vendu 195 tonnes de buccins au Japon, où il est notamment utilisé dans les sushis, et 157 tonnes aux États-Unis. Environ 533 tonnes ont été destinées au marché canadien.

Or, la petite bête marine demeure encore bien méconnue dans nos contrées. Au comptoir de poissonnerie, elle est souvent boudée par les clients au profit des huîtres et des moules. "À première vue, ce n'est pas super beau», répond avec franchise Stéphane Vigneau pour expliquer la réticence de certains amateurs de mollusques. La texture caoutchouteuse, particulièrement lorsqu'il a baigné dans un pot rempli de vinaigre, peut également en rebuter plus d'un. Le souvenir du pot en vitre dans lequel baignaient des bourgots souvent trop cuits nuit également à la réputation du buccin, ajoute le chef propriétaire du Toqué!, Normand Laprise.

«C'est une question de mise en marché, croit pour sa part Gilles Soucy. En ayant une porte de sortie vers l'exportation - particulièrement avec le Japon - on pousse moins vers le marché local.»

Photos Anne Gauthier, La Presse