Pour les cuisines de restaurant, l'arrivée du printemps marque le retour de l'abondance et de la diversité des fruits et des légumes du Québec. Les têtes de violon sont enfin arrivées. Bientôt, les morilles, les marguerites et les hémérocalles vont être récoltées. Puis, ce sera au tour des fraises de serre et des asperges d'offrir leurs saveurs.

Alexandre Loiseau, chef du Bistro Cocagne, à Montréal, compare le printemps au Noël des cuisiniers. Ces jours-ci, même si la nature semble sur le point de renaître, il doit encore servir des purées de carottes, de pommes de terre, de céleri-rave et d'oignons en attendant les nouvelles récoltes. «À ce temps-ci de l'année, ce sont encore beaucoup les légumes racines, des légumes de l'automne qui se retrouvent au menu. On essaie de jouer avec eux, mais c'est parfois compliqué parce que ça revient tout le temps au même. Les clients ne s'en aperçoivent pas, mais en cuisine, c'est un peu tannant», dit-il, en quête de renouveau.

Le chef est placé devant ce défi parce qu'il a décidé de travailler autant que possible avec des aliments du Québec. En été, il achète ses fruits et légumes à 90% de producteurs de la province. En hiver, cette proportion tourne aux alentours de 80%. Peu importe la saison, il doit acheter certaines provisions comme les citrons, les oranges et les limes à l'étranger.

À quand le printemps?

Simon Mathys s'est fixé le même objectif. Selon le chef du restaurant Bar&Boeuf, autant à la maison qu'au restaurant, les familles et les cuisiniers devraient s'inspirer de nos ancêtres (pas si lointains) pour se nourrir. À l'époque, les légumes d'automne comme les pommes de terre, les courges, les navets et les betteraves étaient conservés dans les caveaux à défaut des réfrigérateurs et des congélateurs. Aujourd'hui, les cuisiniers devraient réapprendre à apprêter ces légumes de multiples façons afin de ne jamais les trouver ennuyants pendant les longs hivers, explique le jeune chef.

À la mi-avril, les réserves de la saison froide commencent cependant à se faire maigres. Même si le printemps est arrivé sur le calendrier, il ne l'est pas nécessairement dans les champs. Les premières pousses se font attendre avec beaucoup de fébrilité. «Si le beau temps arrive, on sait que c'est une bonne nouvelle parce que ça veut dire que les beaux produits sont sur le point d'arriver aussi. C'est le temps du renouveau et ça donne une nouvelle motivation dans la cuisine», affirme M. Mathys.

Nouvelle motivation et nouvelle créativité, oui. Mais ce ne sont pas les seules raisons qui font en sorte que le printemps est l'une des saisons préférées des chefs québécois. Lorsque les champs reviennent à la vie, les fruits et les légumes se trouvent facilement au marché et même à l'épicerie. Les cuisiniers se retrouvent devant l'embarras du choix pour ce qui est de la diversité et de la quantité de produits frais. C'est également à cette période de l'année que les prix sont les plus bas.

L'argument qui prime tous les autres est évidemment le goût des fruits et des légumes lorsqu'on les déguste en saison. En plein hiver, on ne trouvera ainsi jamais d'asperges ou d'aubergines sur le menu du Bar&Boeuf ou du Bistro Cocagne. Certains clients qui connaissent bien le calendrier des primeurs font même le saut quand ils voient des fraises avant juillet sur le menu du Cocagne. «Bientôt, au printemps, je vais avoir des fraises de serre qui viennent de chez Monsieur Legault. Elles sont sucrées, juteuses et pas blanches à l'intérieur. Il y a des gens qui ont de la difficulté à croire que ce sont des fraises du Québec. Ça vaut environ 50 cents la fraise et, parfois, certains ne la prennent même pas parce qu'ils ne nous croient pas. Ils doivent penser que les fraises ne poussent qu'en juin et juillet», raconte Alexandre Loiseau.

Simon Mathys croit néanmoins que certains clients n'ont pas conscience des saisons. «Ça arrive qu'on me demande pourquoi il n'y a pas de tomates sur le menu. Si elles ne peuvent pas pousser, on ne peut pas en mettre dans l'assiette. C'est normal de respecter ça, en tant que cuisinier. Il y a des tomates Roma qui se font en serre au Québec, mais ce ne sera jamais aussi bon qu'une tomate qui a poussé dehors, au soleil», raconte-t-il.

Comme plusieurs, les deux chefs vont renouer avec le plaisir de cultiver un potager personnel. Bientôt, ils recommenceront également à visiter les producteurs à leur ferme et à faire une partie de leurs achats au marché. Pour eux, il n'y a pas de meilleurs endroits pour acheter des fruits et des légumes frais... et de saison.