Ségué Lepage a un ingrédient fétiche: l'oignon. Le chef du Comptoir charcuteries et vins reçoit - attention! - entre 150 et 200 livres d'oignons par semaine, toutes variétés confondues. Fruit du calcul ou du hasard? Les livreurs arrivaient au restaurant, sacs et boîtes sur les épaules, au moment même où le chef nous montrait comment nous occuper de nos oignons!

Au menu du Comptoir, TOUS les plats (à l'exception des desserts, bien entendu) contiennent de l'oignon, sous une forme ou une autre: mariné, braisé, compoté, frit, brûlé, mixé. «L'oignon est un ingrédient savoureux et polyvalent. Je ne limite pas son utilisation aux fonds, bouillons et braisés, où ses qualités aromatiques sont bien connues. J'en mets dans presque tous mes plats. Vive l'oignon!», déclare d'entrée de jeu Ségué Lepage. Il a même déjà servi un plat dans lequel le bulbe occupait le rôle principal, soit un demi-oignon cuit sous vide, «accompagné» de maquereau fumé.

Le maraîcher des chefs, Jean-Pierre Bertrand, trouve lui aussi que l'oignon est une plante potagère négligée, sous-estimée. «C'est un légume dont les producteurs ne s'occupent pas assez. En agriculture conventionnelle, ils se contentent de faire pousser des oignons de conservation longue. Moi, je cultive l'oignon pour son goût. Vous n'imaginez pas à quel point un oignon peut être sucré et parfumé!»

Le Québec n'aurait pas un climat propice à la culture de l'oignon sucré. «Il faut savoir que l'oignon marche avec la longueur du jour, explique M. Bertrand. Ici, l'été, nous avons des jours longs. Les oignons de jour long sont ceux que l'on connaît le mieux et qui donnent des légumes se conservant très longtemps, jusqu'à six mois. Les plus sucrés sont des oignons de jour court, comme le Vidalia (NDLRMarque de commerce américaine. Le bulbe est connu dans sa forme générique comme un oignon «granex»), que l'on connaît bien. Il y a aussi des oignons de jour intermédiaire.»

Passionné et obstiné qu'il est, M. Bertrand a bien entendu réussi à faire pousser des variétés de jour court dans son magnifique jardin de Saint-Joseph-du-Lac, où il reçoit d'ailleurs tous les étés depuis 2011, à l'occasion d'un grand repas champêtre organisé par l'organisme américain Outstanding in the Field. L'été dernier, il avait justement étalé plusieurs spécimens sur une table pour que les convives puissent voir à quel point l'univers de l'oignon est riche et diversifié.

Aujourd'hui, il cultive entre 25 et 30 variétés d'oignons différentes. Ses plus exotiques, il les a trouvées à la faveur de ses nombreux voyages: le Setubal du Portugal, le Figueres de Catalogne, le type Roscoff - appellation d'origine contrôlée (AOC) bretonne -, le Toulouges du Languedoc-Roussillon, le type rosé de Cévennes (une autre AOC), sans compter les variétés japonaises qu'il a découvertes au fil du temps. Les semences ne sont pas faciles à obtenir, mais M. Bertrand est un homme tenace.

Lorsqu'on regarde le site de Johnny's Selected Seeds, aux États-Unis, on peut voir qu'il tient plus de 50 types de semences d'oignons. «Depuis que les grainetiers font du commerce sur l'internet, c'est beaucoup plus facile de trouver ce qu'on cherche», affirme le passionné, qui n'hésitera par ailleurs pas à profiter de ses amis bourlingueurs pour mettre la main sur de petites graines rares.

Les oignons de M. Bertrand ne sont malheureusement pas accessibles aux particuliers, sauf l'été, dans les restaurants qui les travaillent comme Toqué! , La Salle à manger, Pastaga, La Chronique. Et même dans les fruiteries spécialisées comme Chez Louis, on tient une sélection limitée du polyvalent végétal. «J'ai essayé l'oignon Maui, d'Hawaii, mais ça ne valait pas le coup pour le prix, affirme Sébastien Gingras, acheteur à la fruiterie du marché Jean-Talon. Puis, avec les nombreuses éclosions de grippe que nous avons connues au cours des dernières années, il est devenu presque impossible d'importer tout ce qui pousse dans la terre, comme les oignons.» Exit les beaux bulbes de France, d'Espagne, d'Italie et du Portugal.

Rareté oblige, Ségué Lepage nous propose donc cinq recettes simplissimes pour oignons communs, qui se trouvent dans presque toutes les épiceries. Et maintenant, mêlez-vous de vos oignons!

Où et comment le conserver?

Le mieux, évidemment, c'est la cave. Mais faute d'un lieu sec et frais, on peut conserver ses oignons au réfrigérateur, dans un sac de papier, qui absorbe l'humidité. L'oignon jaune de longue conservation se garde à la température de la pièce. Mais sachez que plus il est vieux (comme l'oignon du Québec en ce moment, dont la dernière récolte s'est faite à la fin du mois d'octobre), plus il y a de risques qu'il se mette à germer dans votre garde-manger.

Larmes d'oignons

C'est le soufre de l'oignon qui irrite les yeux. L'oignon jaune commun en contient davantage que l'oignon sucré, comme le Vidalia. Une fois l'oignon coupé, ce soufre est relâché sous la forme d'un gaz qui réagit avec l'eau des yeux. La plupart de ces composés soufrés se trouvent dans la base de l'oignon, où il s'attache à la racine. Couper l'oignon en laissant la racine intacte peut réduire la crise de larmes. Réfrigérer l'oignon pendant 30 minutes avant de le trancher ralentit également le relâchement des gaz. En dernier recours, on porte un masque!

Photo Olivier Jean, La Presse