Enfant, j'ai le souvenir de la choucroute dominicale qui ornait régulièrement la table. Mes Alsaciennes  de mère et de grand-mère avaient beau exceller dans sa préparation, j'accueillais toujours le plat avec aigreur. Heureusement, les temps changent, et avec eux, les goûts: la choucroute s'est depuis hissée parmi mes chouchous.

En humant le fumet de la choucroute concoctée par Christine Heitz, du restaurant franco-alsacien Le Bourlingueur, bien des souvenirs, doux-amers, ont émergé de mon palais.

Le mordant de la moutarde dont je badigeonnais la charcuterie. Les larmes de beurre dégoulinant sur le flanc doré des pommes de terre bouillies. Et, par-dessus tout, le chou. Maudit lit de chou. Toi et ton goût aigre, âcre, acide. J'aurais préféré te voir choir au fond des poubelles plutôt que dans le creux de mon assiette. D'autant plus que, fourbe, tu abrites des baies de genièvre qui, croquées par inadvertance, ne faisaient qu'accentuer mes grimaces.

Mais tout ça, c'est du passé. En dégustant la choucroute du Bourlingueur, la réconciliation fut totale. Même si quelques détails semblent différer. «Le chou est coupé plus gros qu'en Europe», précise Christine Heitz, originaire de la bourgade alsacienne de Villé. «Aussi, nous avons enlevé le lard fumé, car beaucoup de gens ne le mangeaient pas, car ils le jugeaient trop gras.»

Quant aux graines de genièvre... j'ai appris à les débusquer.

Double personnalité

Pour ceux qui ignorent tout de la choucroute, en voici un bref portrait. «Des clients nous disent souvent que la choucroute vient d'Allemagne, mais au cours de l'histoire, l'Alsace n'a cessé d'être tantôt française, tantôt allemande», fait remarquer Christine Heitz. Aujourd'hui, cette spécialité, fortement ancrée en Alsace et en Allemagne (où elle est respectivement nommée Surkrut et Sauerkraut), se retrouve sur la plupart des tables d'Europe de l'Est, de la Pologne à la Roumanie... ainsi qu'à Montréal, où elle ne semble pas avoir le mal du pays.

En substance, elle se compose d'une base de chou (préalablement saumuré, puis cuit dans le vin blanc, parfois dans la bière), de viandes (lard, jambonneau et tous types de saucisses: Francfort, Montbéliard, Morteau, à l'ail, etc.) et de pommes de terre. Le tout est fignolé avec des épices, comme du laurier, des clous de girofle ou encore des baies de genièvre.

Du chou et du choix

Mais comme pour toute recette, rien n'est immuable. «Il y a autant de choucroutes différentes qu'il y a d'Alsaciens!», plaisante Christine Heitz. Une boutade qui n'en est presque pas une: si la version du Bourlingueur reste proche du plat «classique», on trouve à Montréal de très belles compositions sur le thème.

Des adresses? Nous vous redonnons celle de Chez Alexandre et fils, dont nous avons récemment évoqué le cassoulet. Impossible de ne pas en reparler, tant leurs choucroutes versent dans l'originalité. Au menu, deux choix: une version maritime, où sur le chou surfent entre autres saumon, pétoncle, crevette et poisson du jour (par exemple, de la morue noire). «Pour garder l'esprit fumé de la choucroute, nous avons ajouté de l'aiglefin fumé», souligne le chef Christian Peillon.

La seconde option marie flancs de porc et de lard salés, boudin blanc, saucisses debreziner et viennoise, mais s'orne surtout d'un petit verre de champagne, versé juste avant de servir. «Ça apporte une petite touche de luxe, un petit "punch" au dernier moment», explique le chef. Des bulles qui feront pétiller les yeux des gourmets!

Vin, champagne... et la bière, alors? Alliée naturelle de la choucroute, on peut aussi y avoir recours pour la cuisson du chou. Et c'est d'ailleurs la recette appliquée par nombre de microbrasseries, qui ont logiquement porté le plat au menu. À L'amère à boire, par exemple, le chef Julien Théoret fait cuire la sienne dans la bière Vollbier, avant de garnir le tout avec des saucisses de Morteau et Cerna, du jarret de porc et du boudin noir. Résultat: l'acidité s'estompe au profit d'une pointe caramélisée.

> Que boire avec une choucroute?

Enfin, pour le bonheur des plus pressés, la choucroute s'apprécie également entre deux tranches de pain. Minimaliste (chou, saucisse et moutarde), ce sandwich dit «bavarois» a tout de même la vertu de calmer les fringales. Le bistro Vices et Versa en suggère trois sortes, à déguster - il va sans dire - avec l'une des nombreuses bières à la carte.

Certes, avec ces libertés, on a tendance à s'éloigner de la choucroute de mes vertes années... Tant mieux: cela me fera toujours un excellent prétexte pour retourner glisser les pieds sous la table de ma mère ou de ma grand-mère!

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Composer  sa choucroute

Envie de concocter une choucroute dans sa chaumière? Ce n'est pas une grosse affaire.

Première étape: sonder votre charcuterie, éventuellement approvisionnée en la matière. Chou blanc? Direction boulevard Saint-Laurent. Chez Slovenia (au numéro 3653), on trouve du chou mariné cru ou déjà cuit dans le vin, ainsi que tout l'attirail de viandes nécessaire (échine fumée, côtes fumées, saucisses à l'ail, etc.). Les mêmes ingrédients se dénichent à la Boucherie hongroise, un peu plus haut sur le boulevard (au 3843), ou à la boucherie Balkani du marché Jean-Talon. De plus, les prix sont généralement modiques: pour quatre personnes, compter environ 20 $.

Vous n'avez plus qu'à suivre notre recette! Le petit conseil de Christine Heitz: blanchir le chou avant de le faire cuire, étape souvent négligée.

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Quelques adresses montréalaises


Pour la grande classique alsacienne, posez votre baluchon au Bourlingueur (363, rue Saint-François- Xavier).

Pour des choucroutes originales, filez Chez Alexandre et fils (1454, rue Peel).

Pour accompagner votre plat d'une bonne mousse, misez sur les microbrasseries: L'amère à boire (2049, rue Saint-Denis), Brasseur de Montréal (1485, rue Ottawa), Bières et compagnie (4350, rue Saint-Denis), ou encore à l'un des 3 Brasseurs (732, rue Sainte-Catherine O., entre autres). En version sandwich au Vices et Versa (6631, boul. Saint-Laurent).

Guettez aussi les tables de restaurants est-européens.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Le chef Christian Peillon

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Ils sont choux, ces Chinois!


Étape nécessaire à la préparation de la choucroute,  la technique de fermentation tire ses origines du côté...  de la Chine. Les bâtisseurs de la Grande Muraille l'auraient mise au point pour conserver leurs denrées durant les rudes hivers. Aujourd'hui, de nombreuses préparations à base de chou fermenté se retrouvent en Asie, dans le Nord-Est chinois ou encore en Corée, où on l'emploie pour le fameux kimchi.

Photo André Pichette, La Presse