Noah Bernamoff est né à Montréal, dans une famille juive où persistait une vive tradition culinaire, portée par le talent et la débrouillardise de sa grand-mère. Aujourd'hui installé à New York, il a ouvert un deli en hommage à la cuisine juive de Montréal, qui lui manquait. Du même souffle, il a donné un nouvel élan à une gastronomie... qui en avait peut-être besoin.

Qu'est-ce que la cuisine juive? Existe-t-elle au-delà des bagels, du smoked meat et de la soupe aux matzo balls (boulettes à la chapelure)? Mieux faire connaître la cuisine de ses ancêtres (de tradition ashkénaze) et lui assurer une pérennité, voilà la noble mission que s'est donnée Noah Bernamoff. Le copropriétaire (avec sa femme Rae) du Mile End Delicatessen, à Brooklyn, était de passage à Montréal, sa ville natale, il y a quelques semaines. Nous avons cuisiné des latkes avec lui, à la librairie Appetite for Books.

C'est d'abord par nostalgie du smoked meat de chez Schwartz's que le jeune Montréalais déraciné a commencé à expérimenter avec un petit fumoir sur le toit de son immeuble résidentiel à Brooklyn. Il a perfectionné sa recette des mois durant, tout en poursuivant ses études de droit. Plusieurs kilos de poitrine de boeuf (le fameux brisket) plus tard, il a enfin tiré de son BBQ Weber Bullet une belle pièce tendre et goûteuse, satisfaisante. Puis, il est passé aux cornichons, au saumon salé (lox) et même au schmaltz, ce gras de poulet que les juifs utilisaient traditionnellement comme d'autres le saindoux, le beurre ou l'huile. Au fil des mois, ses études en droit sont devenues un passe-temps plutôt que son occupation principale. La cuisine était sa nouvelle obsession.

Deux ans après son premier smoked meat trop salé, il a même changé son plan de carrière. Plutôt que d'être avocat, le jeune homme dans la mi-vingtaine serait restaurateur! Mile End Delicatessen a ouvert ses portes et sa fenêtre pour mets à emporteren janvier 2010, dans un minuscule local de 430 pieds carrés, rue Hoyt, à Brooklyn. Article du magazine New York aidant, le succès a été immédiat, voire essoufflant. Incapable de répondre à la demande, la cuisine devait souvent fermer avant même que midi sonne! Cinq mois plus tard, Noah et Rae ont loué un espace dans un entrepôt pour installer une cuisine de production. Celle-ci, située au quai 41, à 12 pieds de l'eau, a malheureusement été inondée et gravement endommagée par Sandy. Très mauvais concours de circonstances, d'autant plus que la nouvelle sandwicherie du Mile End venait de voir le jour dans le Lower East Side, à Manhattan.

Héritage familial

Son amour de la cuisine, Noah l'a hérité de sa grand-mère. Une véritable femme d'intérieur, Nana Lee cuisinait tout, du schmaltz au rugelach (pâtisserie), en passant par les pains (challah, kaiser et compagnie), les conserves et le chopped liver (mousse de foie de poulet). Les soupers du vendredi étaient épiques, chez les Bernamoff. Mais Nana Lee a malheureusement poussé son dernier souffle quelques mois avant l'ouverture du restaurant. Cette disparition a beaucoup fait réfléchir Noah. Qui allait perpétuer la tradition? Était-il condamné à passer le reste de ses jours sans jamais retrouver le goût des petits plats de Nana? Pressentant la fin, peut-être, l'aïeule avait commencé à écrire ses recettes sur des fiches.

Si le Mile End Delicatessen a d'abord été l'ambassadeur new-yorkais du plus grand des classiques juifs montréalais - le sandwich au smoked meat -, il est rapidement devenu le dépositaire d'une cuisine familiale réconfortante. Certains plats sont des versions orthodoxes de grands classiques, mais ailleurs, la tradition juive est davantage une inspiration qu'une imposition. Noah et Rae se sont fait critiquer pour leur approche libérée. «Ce n'est pas un vrai deli, ni même de la vraie cuisine juive», lancent leurs détracteurs.

Mais qu'est-ce que l'authenticité? se sont demandé Noah et Rae. Pour eux, cette expression est synonyme de «fait maison», de techniques traditionnelles utilisées pour créer du bon, du neuf, du contemporain. Le mot évoque également pour eux la cuisine saisonnière, respectueuse de la nature, des ingrédients, des gens qui produisent leur matière première. D'ailleurs, la plupart des cuisiniers, des serveurs et des fournisseurs du deli ne sont pas juifs.

«Beaucoup de restaurants juifs exigent que les choses soient faites d'une certaine manière, souvent avec des ingrédients industriels, même si cette manière ne correspond plus à la réalité de la cuisine d'aujourd'hui, raconte Noah Bernamoff. Pour nous, la nourriture doit être préparée avec coeur et avec soin. Notre seul critère: est-ce que c'est bon? Nous essayons d'ouvrir une avenue nouvelle, pas d'entretenir une culture culinaire moribonde.»

Ainsi, au menu du Mile End, cohabitent saumon fumé et truite locale poêlée, smoked meat et pastrami de canard, soupe au poulet et matzo balls et crème de céleri avec bacon d'agneau, chopped liver et burger. On sert aussi des bières artisanales et du vin de petits producteurs. Bref, Mile End n'est pas un musée de la cuisine juive de tradition ashkénaze, mais plutôt une oeuvre de transmission, de continuité et d'innovation.

Et jusqu'à maintenant, ça marche!

The Mile End Cookbook, de Noah et Rae Bernamoff, éd. Clarkson Potter/Melcher Media, 224 p., 32$