Il faut une vingtaine de jours dans une salle où il fait nuit pour que la racine de chicorée se transforme en belle endive, aux saveurs uniques. Cultivée depuis longtemps en Europe, sa présence est beaucoup plus récente au Québec, où, après des débuts difficiles, le légume est promis à un bel avenir.

En 1975, quand Jean-Michel Schryve et sa femme ont quitté leur patelin du Nord-Pas-de-Calais, en France, pour s'établir au Québec, ils nourrissaient un rêve un peu fou: cultiver des endives sur une terre argileuse. Un légume qui était alors inconnu ou presque de ce côté-ci de l'Atlantique.

En Europe, la famille Schryve, éleveuse de porc, produisait déjà des endives sur un hectare. Mais les conditions climatiques et agronomiques du Québec sont fort différentes de celles de la France.

La famille Schryve a dû adapter ses méthodes de culture, en plus de déployer des efforts pour faire connaître et apprécier son endive québécoise.

C'est Sam Steinberg, président de la chaîne du même nom, qui a donné le coup d'envoi. L'homme d'affaires a décidé d'en offrir dans tous ses magasins, à la fin des années 70. La première commande a été de 200 boîtes. Puis, au fil des années, toutes les chaînes d'alimentation du Québec ont emboîté le pas.

Aujourd'hui, Jean-Michel n'est plus. Son entreprise est menée par son fils Philippe et les Endives JMS de Saint-Clet, près de Vaudreuil, est le deuxième producteur du continent, après une firme californienne. L'entreprise compte une trentaine d'employés, produit environ 2000 tonnes d'endives annuellement et occupe autour de 75% du marché québécois. Les excédents, s'il y en a, sont écoulés sur les marchés de Toronto, de New York ou de Boston.

«Nous sommes bien loin des premiers pas de mon père, raconte Philippe Shryve. Je me souviens qu'à la fin de sa première journée de vente, il avait réussi à écouler deux boîtes d'endives. Un gros 16 livres. Trois ans après ses débuts au Québec, un incendie a rasé l'entrepôt et il a recommencé à zéro.»

L'endive de Noël

L'endive a été découverte par hasard vers 1820 sur des racines de chicorée qui avaient été entreposées probablement dans les caves du Jardin botanique de Bruxelles. Avant, elle n'existait pas. Ni sous une forme ni sous une autre.

Pour obtenir une endive, il faut d'abord semer des graines d'une variété particulière de chicorée dont on récoltera la racine au début de l'automne. On fait ensuite germer celle-ci dans une salle de forçage obscure où les conditions de température et d'arrosage sont rigoureusement contrôlées.

Toujours en progression, l'entreprise des Shryve produit aussi des endives bios, ainsi qu'une variété de couleur rouge, la plus coûteuse, deux fois plus chère que sa blanche cousine. Ce prix élevé est attribuable au coût faramineux de la semence, aux faibles rendements et au manque d'uniformité des chicons (une expression courante pour désigner l'endive).

Philippe Schryve a modifié considérablement la mise en marché de l'entreprise depuis deux ans en créant la marque Diva, tout en offrant sur chaque sac d'endives une recette pour les apprêter. «En Europe, 75% des endives sont mangées cuites. Leur consommation est cependant en baisse devant la compétition des nouvelles laitues de petite taille», explique le producteur.

Au Québec, c'est le contraire: les ventes sont en hausse et 95% des endives sont consommées crues, en salade. Contrairement à l'Europe, c'est dans le temps des Fêtes que la demande est la plus forte. «Notre objectif est d'amener nos clients à découvrir d'autres façons de déguster ce légume», dit-il. Et pas besoin d'attendre Noël pour inviter à sa table la Diva...

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Étapes de production

1. Semis réalisés en mai. Temps de croissance : de 120 à 180 jours.

2. Sarclage et entretien régulier de la culture.

3. Récolte mécanique des racines à partir de la mi-septembre jusqu'au début de novembre. La machine élimine la touffe de feuilles et conserve environ 15 cm de racines.

4. Entreposage en vrac à une température d'environ 2º C, de 15 jours à 10 mois.

Forçage

1. À la sortie de l'entrepôt, les racines sont examinées, nettoyées et vaporisées pour nettoyer le col d'où émergera le chicon.

2. Les racines sont placées côte à côte dans un bac de forçage dont le fond est tapissé de mousse de tourbe.

3. Le bac est mis à la noirceur, à température, humidité et arrosage contrôlés pendant de 20 à 25 jours.

4. À la fin du forçage, les feuilles de surface des endives sont éliminées et les chicons mis en boîte. Le forçage se pratique l'année durant.

Conservation

Le goût de l'endive est délicat, légèrement amer. La feuille est croquante. Un avantage par rapport à la laitue, elle n'a pas besoin d'être lavée avant d'être servie. Il suffit d'éliminer deux ou trois feuilles qui recouvrent le chicon. L'endive est aussi connue pour sa grande discrétion, peu encline à se montrer, même sur le comptoir de vente. Sa grande sensibilité à la lumière l'oblige à rester cachée sous un papier opaque. Même les sacs de la maison Diva sont fabriqués d'une membrane limitant la diffusion de la lumière. Sinon, la feuille verdit et devient beaucoup plus amère. Malheureusement, certains commerçants continuent de laisser les endives trop longtemps sur l'étal. Si le légume dégage une odeur désagréable à l'ouverture du sac, il faut l'éliminer. L'endive devrait se conserver une semaine au frigo.

Photo fournie par Michelle Dansereau