Le temps des fraises bat son plein. Partout dans les champs, les amants du petit fruit rouge bravent le soleil pour le cueillir par pleins paniers. Sur les quelque 500 producteurs du Québec, une quarantaine à peine cultivent des fraises bios, car ce mode de culture demande des efforts colossaux. Nous avons visité une ferme bio, celle de Richard Roger et de Ginette Gaulin, à Sainte-Dorothée.

Samedi matin de juin ensoleillé. La rue Principale de Sainte-Dorothée est encore paisible. Pourtant, Ginette Gaulin et Richard Roger s'affairent déjà. Lui, large chapeau beige sur la tête, sort fièrement de sa fourgonnette plusieurs paniers débordants de fraises rouges qu'il a cueillies aux aurores. Elle, de son côté, prépare le stand et vérifie la qualité de chaque fruit. Si l'un d'entre eux a la malchance d'être légèrement bosselé ou un peu mou, il prend le chemin du bac à compost. Un regard doux, une légère caresse sur l'épaule et voilà ces deux travailleurs complices et amoureux repartis chacun de son côté. Bienvenue à la ferme Richard Roger, productrice de fraises biologiques.

L'actuelle saison de la cueillette a commencé à la mi-juin. Le couple, marié depuis près de 37 ans, vient d'entamer son 15e été. Le juteux fruit rouge qu'il cultive est certifié biologique. Cette appellation contrôlée, accordée par Écocert, a un coût élevé, en dollars et... en travail. Pour vendre de la fraise bio, Richard Roger verse annuellement 750$ à l'organisme de certification. Il doit également se battre contre les insectes et les maladies, souvent difficiles à traiter sans pesticide. «Cultiver de la fraise biologique, c'est très difficile, confirme Michel Sauriol, président de l'Association des producteurs de fraises et framboises du Québec (APFFQ). On a des insectes nuisibles qui vont jusqu'à couper carrément le bouton floral. Parfois, 70% des plants peuvent être coupés.»

Pour régler le problème, l'utilisation d'insecticides s'avère efficace. Alors que, pour s'en débarrasser, les adeptes du bio «doivent frapper les fleurs pour faire tomber les insectes dans des plats de plastique», explique M. Sauriol. Opération délicate... et pas toujours efficace.

Alors, pourquoi Richard Roger, sa femme et la quarantaine de producteurs de fraises biologiques du Québec se donnent-ils tant de mal? D'abord, M. Roger n'a visiblement jamais eu peur de trimer. Il a toujours cultivé la terre à «temps partiel», puisque, en plus de travailler aux champs, il occupait, jusqu'au moment de prendre sa retraite il y a environ quatre ans, un poste de contrôleur aérien. Pendant longtemps, il a cultivé une multitude de produits, dont la tomate, le maïs et la rhubarbe, sur la terre de 45 arpents de terre qu'il possédait. Quand il a décidé d'en vendre une grande partie pour n'en conserver que cinq arpents, il a décidé de se lancer tête première dans la fraise bio.

D'emblée, M. Roger, âgé de 58 ans, admet que lorsqu'il s'est «converti», il y a 15 ans, il passait pour un «hurluberlu». Mais il a tout de même persisté. «La fraise, c'est comme une éponge, illustre ce fils de cultivateur. Ça absorbe beaucoup de pesticides, contrairement à un fruit qui a une pelure. Et je suis convaincu qu'il y a des maladies qui sont directement liées à l'absorption de pesticides», conclut-il pour expliquer sa décision de se tourner vers le bio.

Pour combattre l'anthonome du fraisier et la punaise terne, insectes ennemis des plants de fraises, M. Roger se tourne vers la rotation. Son champ est divisé en trois parties. Chaque année, à tour de rôle, l'une d'elles sert à la cueillette, la deuxième est au repos et la troisième est en implantation. De cette façon, les insectes se multiplient moins vite.

Dur labeur, d'autant plus que le couple fait presque cavalier seul dans cette aventure, mis à part quelques jeunes employés qui viennent donner un coup de main pour la cueillette. Parfois, leurs quatre enfants, qui ont quitté la maison familiale, mettent aussi la main à la pâte.

Photo Bernard Brault, La Presse

Richard Roger et Ginette Gaulin cultivent la fraise depuis 15 ans.

Tout ce travail semble toutefois récompensé. Année après année, les gens de Sainte-Dorothée et de l'extérieur font une halte au petit stand, discutent un brin avec Ginette Gaulin de recettes ou de la «petite dernière» qui entrera à l'école, partent au champ ou encore achètent un panier de fruits déjà cueillis et repartent, sourire aux lèvres. Un contenant de quatre litres se vend 10$ quand les clients cueillent les fruits eux-mêmes et 15$ s'ils optent pour des fraises ramassées avec un soin presque maniaque par Richard Roger. Difficile toutefois de faire des comparaisons avec le prix des fraises traditionnelles, puisqu'il varie selon les marchés, les supermarchés, et qu'il peut même changer d'une semaine à l'autre.

«Il y a des gens qui achètent un prix, d'autres qui achètent un produit, croit Ginette Gaulin, qui vante du coup la qualité du fruit que son mari et elle cultivent. C'est un peu comme si nos clients achetaient le Geneviève Grandbois (chocolatière haut de gamme) des fraises», illustre-t-elle fièrement.

Il faut dire que les Gaulin-Roger apportent un soin jaloux à leur produit. Et s'ils ouvrent volontiers la porte à l'autocueillette, Richard Roger s'assure que ses petites protégées rouges ne sont pas malmenées ou transformées en confiture dans le champ! «Les familles, tu les envoies dans la rangée numéro 1», lance Richard Roger à sa femme, sur un ton autoritaire, au moment où les premiers cueilleurs arrivent à la ferme ce samedi-là. Les enfants en bas âge qui s'initient à la cueillette des fraises avec leurs parents piétinent parfois - bien involontairement - quelques plants au passage. M. Roger cherche donc à limiter les dégâts. C'est que la période de cueillette est courte, à la ferme de cinq arpents. La saison se prolonge rarement au-delà de la mi-juillet. Et ensuite, les vacances? Pas tout à fait. M. Roger entame ses labours, met de l'engrais vert... et pense déjà à l'été prochain.

Ferme Richard Roger, 139, rue Principale, Sainte-Dorothée (Laval), 450-689-4882 . Il est préférable de téléphoner avant de se rendre sur place.

Photo Bernard Brault, La Presse

La saison de la cueillette est courte à la ferme Richard Roger. Elle se prolonge rarement au-delà de la mi-juillet.