À quelques semaines de l'interdiction totale du foie gras en Californie, l'éleveur de canards Guillermo Gonzalez s'apprête à mettre la clé sous la porte de sa ferme et voit s'envoler son «rêve américain».

Cette décision met aux prises les défenseurs des droits des animaux et les grands chefs et gourmets, défenseurs de cette tradition française d'engraissement par gavage d'oies et de canards.

M. Gonzalez, le seul producteur de foie gras en Californie, assure que ce sont des militants ignorants et des «intérêts particuliers» qui ont eu raison de son exploitation, créée en 1986 après son départ du Salvador.

«Je trouve que c'est une grande injustice. L'émotion et l'intimidation ont prévalu face à la raison et à la science», déclare-t-il à l'AFP. «D'une certaine manière, c'est une insulte au travail honnête», ajoute-t-il, à quelques jours de l'entrée en vigueur de l'interdiction du foie gras dans l'État, le 1er juillet.

M. Gonzalez, âgé de 60 ans, a créé Sonoma Artisan Foie Gras il y a 26 ans, après avoir quitté son pays et passé un an en France, dans le Périgord, pour y apprendre à préparer le foie gras dans les règles de l'art.

Située dans la pittoresque ville de Sonoma, à un jet de pierre des célèbres vignobles de la Napa Valley, au nord de San Francisco, sa ferme est l'une des rares aux États-Unis à produire du foie gras --environ 50 000 par an.

Mais ses jours étaient comptés depuis le vote en 2004 d'une loi interdisant la production et la vente en Californie de ce mets raffiné, au nom de la protection des animaux.

Les fermiers avaient sept ans pour trouver une alternative au gavage ou mettre la clé sous la porte.

Les gourmets espéraient que la loi serait abrogée, comme l'avait été, en 2008, un texte similaire adopté à Chicago en 2006, mais il n'en a rien été.

Les meilleurs chefs californiens, à l'instar de Thomas Keller, «seul chef américain à posséder deux restaurants couronnés de trois étoiles Michelin» se sont eux aussi lancés dans la bataille, en organisant notamment des dégustations spéciales de foie gras.

«Nous voulons avoir le choix»

Mais John Burton, l'ancien parlementaire californien à l'origine de l'interdiction, qui compare le gavage à la torture ou à l'excision, n'a rien voulu entendre. «Ils ont eu tout le temps nécessaire pour trouver une forme plus humaine» de gaver les canards, déclarait-il récemment au San Francisco Chronicle.

Les militants de la cause animale se sont également emparés du sujet, organisant notamment des manifestations devant les restaurants servant du foie gras, aux cris de slogans comme «Des canards sans défense sont nourris de force, allez manger ailleurs».

Mark Berkner, chef du restaurant Taste à Plymouth, à l'est de Sacramento, estime que ce n'est pas aux parlementaires de décider ce que peuvent manger ses clients et craint que le foie gras ne crée un précédent.

«Nous voulons avoir le choix», déclare-t-il à l'AFP. «Nous ne voulons pas qu'on nous dise ensuite qu'on ne peut pas servir de poulet, de porc ou de boeuf».

Pour M. Gonzalez, le procès en cruauté fait au gavage --qui implique l'introduction d'un entonnoir dans le cou des canards et des oies-- est infondé.

«Le gros problème, c'est le manque d'éducation du grand public», déclare-t-il, assurant que la physionomie des canards leur permet de digérer de grandes quantités de nourriture, et que le gavage n'est pas dangereux pour les palmipèdes, pour peu qu'il soit bien réalisé.

Il précise que la bataille pour la survie de son exploitation --notamment les poursuites légales-- lui ont coûté 1,6 million de dollars. «Tous nos placements pour notre retraite y sont passés», dit-il.

Il réfléchit aujourd'hui à sa reconversion, mais n'a pas encore pris sa décision. Il n'a guère envie à 60 ans de quitter Californie, pour s'installer dans un autre état. Et s'il affirme «ne pas ressentir de colère», il admet cependant que son idée du «rêve américain» en a pris un coup.

«Je pense que nous avons fait ce qu'on attend de tout immigrant: travailler dur, créer des emplois, payer des impôts, s'intégrer dans la société», observe-t-il. «Ce que je ressens aujourd'hui, c'est qu'on nous a enlevé (ce rêve) de force».