Créer des chocolats d'exception ne satisfait plus tout à fait Geneviève Grandbois. Infatigable, intransigeante, passionnée, elle s'est mise en tête de pousser encore plus loin son art et de fabriquer du chocolat avec ses propres fèves de cacao biologiques et équitables.

Nous avons suivi cette fabricante de douceurs qui a de la graine d'Indiana Jones au fin fond du Costa Rica, dans sa plantation de cacao, pour un grand retour aux sources du chocolat.

7h du matin. Le véhicule tout-terrain dévore les kilomètres de route cahoteuse de la cambrousse costaricaine. Le soleil chauffe déjà, roi et maître d'un ciel sans nuage. Loin de l'environnement bon chic bon genre de ses boutiques de Montréal, short court et chapeau de paille, la chocolatière Geneviève Grandbois semble prête pour une journée à la plage, sans soucis et sans chichi. Mais son visage raconte une autre histoire. Regards furtifs, ton fragile, sourires épars. La tension est palpable.

Geneviève Grandbois ne joue pas les touristes; elle file vers la plantation de cacao qu'elle a achetée en 2007 et où elle n'a pas mis les pieds depuis deux ans. Il faut dire que les raisons de s'inquiéter ne manquent pas. Femme d'affaires accomplie, Geneviève Grandbois a acheté son lopin de terre sur un coup de coeur, conquise par la beauté de ces hectares de forêt tropicale inexplorée, la pureté de ces sources d'eau potable, le manguier géant chargé de fruits qui, raconte-t-on, est le plus gros de la région. Mais sa tête sait maintenant que son coeur n'avait pas tout à fait raison. La région de Palmar, tout au sud du pays, n'est pas la plus propice à la culture du cacao. Ses arbres sont vieux, vulnérables à la maladie, et devront être en bonne partie remplacés. Pire, la veille, on lui a soufflé qu'à peine «quelques-uns» des 400 nouveaux cacaoyers plantés depuis son dernier passage auraient survécu. Quelques-uns? 100, 50, 10? La réponse risque de faire mal.

Quand le moteur du véhicule se tait au bout de l'étroit chemin de terre, la voilà pourtant qui gravit d'un pas déterminé le sentier s'enfonçant doucement dans la jungle, sur les talons de celui qu'elle appelle simplement «Angel», son fidèle homme de main qui veille aux cultures trois jours par semaine en compagnie de son beau-frère. Il tente de la rassurer, il n'est que sourires et bonnes paroles. Mais ce n'est qu'une heure plus tard que Geneviève Grandbois retrouvera sa bonne humeur contagieuse quand, debout dans l'ancienne partie de la plantation, elle tient enfin dans ses mains une cabosse. Une belle, bien saine, quoique pas encore tout à fait mûre. Mais tout de même une preuve que malgré leur grand âge, ses vieux cacaoyers sont encore capables de produire des fruits. Avec un peu de chance, Angel Lopez Matarrita prédit qu'ils fourniront une centaine de kilos de fèves de cacao lors de la prochaine récolte, en août. Cela semble peu, mais c'est assez pour produire 130 kg de chocolat à 70%. Soit 13 000 tablettes de 100 g... Pas mal!

Geneviève Grandbois n'est cependant pas au bout de ses bonnes surprises. Elle trouvera encore mieux après une demi-heure heure de marche dans la portion d'un demi-hectare où de nouveaux cacaoyers ont été plantés en 2010. Ce n'est pas une centaine d'arbres qui ont survécu, mais près de 300! Ils porteront leurs premières cabosses l'an prochain, et elles ne semblent pas du tout menacées par la maladie.

«Je suis tellement, tellement contente», ne peut s'empêcher de répéter Geneviève Grandbois, fébrile. Elle parle vite, s'emballe, rigole. La tension a fait place à l'excitation. Une gamine dans un corps de femme.

Long chemin

N'empêche que Geneviève Grandbois ne vendra pas de sitôt à Montréal les fruits de sa plantation sous forme de délicates tablettes. Oui, elle aura ses premières fèves de cacao bientôt. Mais une grande inconnue persiste: seront-elles bonnes? Elle l'ignore toujours. Or, si la chocolatière a décidé de se transformer en cultivatrice, c'était pour pouvoir enfin offrir des produits biologiques et équitables de très grande qualité et aller au bout de son art. Si les fèves ne sont pas assez parfumées, ou carrément mauvaises, pas question de les utiliser. Le but n'est pas de vendre à tout prix une «cuvée» Geneviève Grandbois. Dans le pire des cas, il faudra changer la variété d'arbres plantés, ou faire des alliances avec d'autres producteurs locaux.

L'autre obstacle sur sa route est la transformation des fèves. Les 8 kg récoltés l'an dernier, qu'elle comptait goûter cette année, ont moisi et se sont avérés tout juste bons pour le compost. Le déroulement de la prochaine récolte sera crucial.

Geneviève Grandbois reviendra pour veiller à ce que les fèves soient séchées puis torréfiées de manière adéquate, idéalement avec l'aide des experts du CATIE (Centre agronomique tropical d'investigation et d'enseignement). Ce haut lieu de la recherche sur le cacao, installé au Costa Rica, possède l'une des deux plus grandes réserves de cacaoyers dans le monde et conseille autant Hershey's, Lindt que Valrhona.

Constatant le travail qui reste à abattre, on ne peut s'empêcher de penser que cette femme d'affaires occupée, mère monoparentale de deux jeunes filles, aurait pu choisir de se la couler un peu plus douce et de se contenter d'assurer la bonne croissance de ses gammes de produits fins dans un univers plus douillet, loin des boas, des serpents venimeux et des insectes. «C'est une folie, je sais, mais chaque fois que je viens sur le terrain, je sais aussi que j'ai eu raison. Chaque fois, j'ai le même coup de foudre», dit-elle, les joues écarlates et le visage ruisselant de sueur, les yeux plantés vers l'horizon découpé par les montagnes recouvertes d'une forêt luxuriante. L'air est surchargé d'humidité, mais d'une infinie pureté. Pour cette crudivore convaincue, ce contact au plus près de la nature est essentiel. Vital. C'est vrai que vu d'ici, on a l'impression que rien n'est impossible...