Penser à des associations de saveurs, dessiner la recette, demander à son équipe de la tester «en vrai»: c'est la méthode de création du pâtissier Pierre Hermé qui, comme les parfumeurs, a précisément en tête la subtilité de centaines de goûts différents.

Le citron, par exemple, n'a pas qu'un seul goût: «Il y a le zeste, la chair, le mélange des deux, le cru, le cuit, le jus, qui peut être plus ou moins acide», explique le pâtissier français à l'AFP. Puisant dans l'immense bibliothèque de sa mémoire gustative, il s'amuse à combiner intuitivement des saveurs inédites. Comme son macaron huile d'olive et vanille qui a fait couler beaucoup d'encre, ou asperges et crème de noisette.

«Je sais où je vais, j'ai les goûts en tête», explique-t-il, «à la fois la saveur, la texture et les sensations que je voudrais qu'on éprouve». Ses douceurs évoluent souvent sur le palais. Pour son dernier macaron, il a voulu que le mangeur «ait d'abord le zeste de citron vert, puis la framboise et au dernier moment, le piment d'espelette qui monte, mais pas très haut et qui retombe assez rapidement», décrypte-t-il.

«Comme on n'est pas habitués à trouver du piment dans notre alimentation sucrée, ça interpelle. Il y a des gens qui s'y font bien et d'autres qui sont un peu réticents», remarque-t-il, imperturbable. Il jongle en permanence avec l'élaboration d'une vingtaine de recettes, sa passion lui offrant l'impression délicieuse «de ne jamais travailler».

À partir du dessin, et des proportions qu'il imagine pour ses créations, trois pâtissiers dédiés, dans l'entreprise de 300 employés, font des essais. Parfois, ça marche du premier coup. Souvent, il faut affiner sur plusieurs versions.

36 ans de métier

«J'ai toujours une idée très précise, mais parfois il y a un décalage avec la réalisation ou la technique, l'épaisseur de couches à fixer, l'architecture du gâteau» à réajuster, explique Pierre Hermé, chemise blanche de ville, au dernier étage du splendide hôtel particulier parisien qui lui sert de bureau et laboratoire.

Ses créations sont «basées sur des envies», dit-il, et peuvent s'inspirer «de rencontres, de découvertes de goûts, d'idées que j'ai notées», ajoute-t-il avec la simplicité qui le caractérise.

Adulé au Japon, qualifié tour à tour de «roi» ou «Picasso» de la pâtisserie dans la presse anglo-saxonne, Pierre Hermé, 50 ans, dont 36 dans le métier puisqu'il a commencé son apprentissage à 14 ans chez Lenôtre, garde les pieds sur terre. Discours pro, voix posée. Et une curiosité insatiable.

Il aime «goûter à tout, découvrir des ingrédients, leurs producteurs». Et pas seulement la crème de la crème. «J'ai besoin de goûter même les choses qui sont réputées pas bonnes. Ça permet de fixer des repères, un étalonnage».

Pour son gâteau au chocolat «Ombre et lumière», il a choisi un chocolat malgache après avoir comparé nombre de matières premières.

Récemment, il a reçu un grand cru du Venezuela. «J'en avais 1,4 tonne que j'ai utilisée pour des macarons, une galette, un gâteau pour Noël et un bonbon au chocolat. Là c'est fini».

Il propose à la dégustation plusieurs chocolats, brisés en gros morceaux sur de petites assiettes. Le Vénézuélien est «robuste, avec des arômes de fruit de la passion cuit», tandis que le malgache «plus acidulé est plus subtil, avec des arômes d'ananas cuit et moins d'amertume perçue».

Ce dernier est «long en bouche, les arômes arrivent les uns après les autres, exceptionnels», s'émerveille Pierre Hermé. Il teste en ce moment un chocolat du Pérou: «Je le goûte exprès à différents moments (de la journée), pour voir si je perçois» des nuances en évolution.