Depuis une vingtaine d'années, la scène boulangère montréalaise s'est transformée. Grâce à des chaînes québécoises qui se sont installées partout, comme Pain Doré ou Première Moisson, la baguette n'a jamais été aussi accessible. Et toutes sortes de petites boulangeries indépendantes complètent le portrait, garantissant aux consommateurs des produits artisanaux souvent originaux et savoureux.

Les attentes des consommateurs ont aussi évolué. Qui se souvient de l'époque où le pain blanc prétranché, vendu dans des sacs en plastique, était la norme? De la tartine grillée matinale au sandwich, le véhicule par excellence pour nos confitures, terrines, fromages et compagnie, prend maintenant beaucoup plus de formes et de saveurs.

Et c'est tant mieux.

Mais qui dit ficelles, «48 heures», pains aux noix ou fougasses démocratisés ne dit toutefois pas nécessairement qualité, égalité et authenticité tous azimuts. Certaines boulangeries sont meilleures que d'autres. Et les pires, ou au contraire les plus professionnelles, ne sont pas toujours celles que l'on pense.

Pour trouver du pain correct, la tâche n'est plus ardue. Mais pour trouver du pain réellement exceptionnel, elle l'est encore. Les vrais bons boulangers passionnés, pour ne pas dire un peu fous de leur métier, ne courent pas les rues.

Actuellement, il y en a un à Montréal dont on parle peu, mais qui travaille très fort dans son échoppe du Plateau. Il y prépare des pains exceptionnels, avec une belle croûte croustillante, une mie moelleuse, légèrement élastique, aux douces saveurs de farine, légèrement charpentée par l'acidité d'un levain naturel. Cet artisan s'appelle Jeffrey Finkelstein.

Ne cherchez pas son adresse: il ne vend pas aux particuliers, même s'il rêve d'ouvrir bientôt son propre comptoir. Il fournit à des restaurants qui se retrouvent sur une liste qui ne cesse de s'allonger. On sert en effet ses ciabatta, miches au levain et ses baguettes au Toqué! et à la Brasserie T, chez Joe Beef, au Club Chasse et Pêche, chez Leméac, rue Laurier, entre autres.

La filière espagnole

Ironiquement, c'est un chef catalan qui me l'a présenté.

Carles Abellan, un ancien du elBulli qui a aujourd'hui les restaurants Commerç24, Tapaç24 et Bravo à Barcelone, a fait une visite à Montréal cet automne. Il m'a parlé de Jeff et nous sommes allés le rencontrer ensemble, dans son atelier.

L'espace est rempli de fours et d'appareils anciens achetés à bas prix, il y a un an et demi, quand Jeff a décidé de sortir de la cuisine de chez sa mère pour travailler à plus grande échelle. «Le levain vient d'Espagne, je l'ai rapporté et je cuisine avec cela depuis!», nous explique-t-il, sortant de son frigo un immense seau rempli d'une magnifique pâte liquide, pleine de bulles et de vie, qu'il nourrit avec de l'eau et de la farine et prolonge infiniment.

Après avoir étudié la cuisine à New York, travaillé au Per Se, à la French Laundry et même au Toqué! avant de partir un an et demi en Angleterre, où il a cuisiné chez Hibiscus notamment, Finkelstein a oeuvré six mois au elBulli puis six mois chez Oriol Balaguer, très grand pâtissier de Barcelone. C'est là qu'Abellan et lui se sont connus.

Pour le grand repas montréalais qu'il était venu préparer dans la métropole québécoise, il n'était pas question que le chef espagnol utilise autre chose que le pain de Finkelstein.

Le boulanger a 33 ans. Ses cheveux sont blanchis non par les années, mais par la farine. Finkelstein travaille de très très longues heures avec sa petite équipe pour approvisionner tous ses clients, jour après jour. Le travail du boulanger commence avant l'aurore et se termine tard, histoire de préparer... le lendemain.

«La boulangerie, ce n'est pas une question d'humidité dans l'air ou de trucs comme ça, c'est surtout une question de processus et de respect du temps», dit-il en brandissant un pain. Il cogne avec le poing sur la croûte d'une belle ciabatta. «Écoutez le bruit», dit-il fièrement. On entend le croustillant de l'écorce bien résistante, le souffle de la mie réveillée.

C'est la recette pour faire ce pain au levain que je lui ai demandée. Il est parfait pour les tartines grillées et les sandwichs. La voici.

Bonne boulange!

Le site web de Jeffrey Finkelstein: www.hofkelsten.com