Michael Chetrit ferme les yeux. Pour la première fois de sa vie il a en bouche une cuillerée de caviar, or noir des gastronomes, que le patron d'une grande maison parisienne vient de déposer délicatement au creux de son pouce et de son index, manière de le déguster dite «à la royale».

«C'est délicieux ! Je m'attendais à quelque chose d'explosif, de croquant...C'est très fondant», lance cet assureur de 38 ans, les yeux étincelants.

Pour son anniversaire, son épouse lui a offert une soirée à «l'atelier découverte» mis en place depuis un an par Prunier, qui produit (en Gironde, six tonnes par an) exporte et vend son caviar d'élevage à raison de 1400 à 2700 euros le kilo dans soixante points de vente dans le monde.

Au diable la crise ! Ce soir, Michael a décidé d'arrêter le temps et «de se faire plaisir sans complexe» en participant à cet atelier d'un nouveau genre qui se tient d'octobre à janvier, et en avril (85 euros la séance, soit 115 dollars canadiens).

«Ça a un côté fort et extrêmement doux en même temps», commente Nadine Velnon, retraitée de 60 ans, venue avec son fils Thierry, 34 ans, invité par ses collègues de travail. Tous deux sont «curieux de découvrir de nouvelles saveurs».

L'extase fait place au silence. Attentifs et recueillis, les participants sont debout dans la «chambre de maturation» de quelques mètres carrés où la température est comprise «entre moins un et trois degrés», explique Alexandre Fauché, directeur de la boutique et du café Prunier situés place de la Madeleine.

Devant eux, un présentoir sur lequel sont disposées trois sortes des précieuses pépites (Paris, Saint James et Tradition), trois écrins de 30 grammes posés sur un lit de glace. Des étagères abritent des boîtes turquoises de toutes tailles.

Cuiller en nacre

Cuiller de nacre en main (le métal oxyde les précieux grains) Alexandre Fauché plonge dans l'histoire: premier restaurant de fruits de mer d'Alfred Prunier sur les grands boulevards en 1875, importation du caviar russe, découverte de l'esturgeon français (poisson dont sont extraits les précieux oeufs) de la Gironde dans les années 20... Surpêche et extinction progressive à partir des années 40.

Ce n'est que dans les années 80 que deux pisciculteurs français décident de faire appel à un alevin sibérien pour lancer l'élevage. «Un travail d'artisan, de patience», explique M. Fauché qui décrit «l'affinage, l'oxygénation de l'eau, les échographies biannuelles des femelles arrivant à maturité au bout de huit ans».

La dégustation continue avec le caviar «tradition» dont la maison a baissé le prix «de 40%, il y a deux ans» - 50 euros les 30 grammes, soit 67 dollars - pour «attirer une clientèle plus jeune».

«C'est plus l'idée que je m'en faisais, plus craquant, plus salé», commente Nadine. «À 20 ans, je pense que je serais passé à côté», dit Michael.

Après le «Saint-James» (caviar du nom de la célèbre rue londonienne), le patron invite ses «élèves» à gagner le premier étage et à s'installer autour de la chef polonaise Renata Dominik. Elle va les initier à l'utilisation de l'or noir en cuisine et leur faire goûter ses préparations.

Petit canapé croustillant (saumon fumé, pousse d'épinard, crème et caviar), blinis aux noix parsemés d'une «pointe» de crème et de précieuses pépites, «entre 3 et 4 grammes», dit Renata.

Suivent un tartare de dorade à la pomme verte, des oeufs brouillés et une crème de topinambours, agrémentés de caviar, produit «auquel sont venus les grands chefs».

Car, ajoute la chef, «quinze grammes de caviar sur un filet de Saint-Pierre ou des coquilles Saint-Jacques...quoi de mieux pour faire ressortir le goût du produit brut ?»