Mathématicien et physicien amoureux fou des fourneaux, l'américain Nathan Myhrvold publie en France une bible de la cuisine «moderniste», espérant contribuer à faire découvrir aux chefs ou aux cuisiniers d'un soir les toutes dernières techniques culinaires, sans «débat idéologique».

Publiés en mars dernier aux États-Unis, les 5 tomes et 2440 pages de «Modernist Cuisine» débarquent en Europe chez l'éditeur Taschen, avec la sortie fin novembre des éditions française, espagnole et allemande.

À première vue, rien de destinait Nathan Myhrvold à signer cette somme sur la cuisine dite moléculaire -- dont la figure la plus célèbre et talentueuse reste l'espagnol Ferran Adria, ancien chef d'elBulli, aujourd'hui fermé.

Scientifique de haut vol, il fut directeur technologique du géant informatique Microsoft avant de quitter le groupe en 1999 pour fonder Intellectual Ventures, une société d'exploitation de brevets scientifiques.

«J'ai aussi quitté Microsoft pour pouvoir cuisiner davantage», explique M. Myhrvold dans un entretien téléphonique à l'AFP, depuis son laboratoire à Seattle. «La cuisine a toujours été une passion dévorante dans ma vie», dit-il.

S'il n'a jamais été chef professionnel, il fut néanmoins stagiaire pendant deux ans chez Rover's, le restaurant du chef français Thierry Rotureau à Seattle, avant de suivre les cours de l'École de la Varenne, en Bourgogne.

«Quand j'ai quitté Microsoft, j'étais déjà au fait de l'approche moderniste en cuisine. Je connaissais Ferran Adria, j'avais mangé chez Marc Veyrat en Haute-Savoie... J'ai réalisé qu'il y avait là une grande quantité de nouvelles techniques», et surtout que «la science avait sa place dans la cuisine».

Une révolution aux pianos, alors dominés par la technique française, «mélange des principes d'Escoffier et de la Nouvelle Cuisine».

Controverse

Il fonde alors son laboratoire culinaire, où il se livre à toutes les expériences possibles et imaginables sur les produits et les ingrédients, partageant ensuite ses trouvailles avec les meilleurs chefs de la planète. Et faisant au passage voler en éclats quelques paresseuses certitudes.

Prenons le confit de canard, par exemple. «Presque tous les chefs vous diront que c'est la cuisson lente dans la graisse qui produit cette texture et ce goût unique. Nous avons testé la méthode de cuisson traditionnelle, mais aussi une cuisson lente à la vapeur, à température égale. Eh bien le résultat est le même. La graisse n'a rien à voir là-dedans», explique-t-il.

«Quand je dis cela à certains chefs, ils sont presque en colère contre moi», sourit-il. «Les gens ont des positions très arrêtées sur la nourriture, presque religieuses. Cela véhicule une idéologie très forte».

Aux nombreux détracteurs de la cuisine «moderniste», qui raillent les textures inédites, les expériences hardies et l'arsenal technologique, Nathan Myhrvold conseille de jeter un petit coup d'oeil dans le rétroviseur.

Quand elle est apparue, la Nouvelle Cuisine reposait sur «des idées très simples, comme arrêter de mettre de la farine dans les sauces. Mais à l'époque, c'était radical. Certains gastronomes ont dénoncé la Nouvelle Cuisine, d'autres s'en sont fait les champions, la controverse était énorme», observe-t-il.

La même chose arrive aujourd'hui avec la cuisine moderniste, estime-t-il. «Mais je pense que toute personne réellement amoureuse de la cuisine devrait y trouver quelque chose de fascinant, sans que ce soit un enjeu idéologique».

«Toute l'histoire de la nourriture est faite d'invention, d'innovation et de diversité. Il fut un temps où la crème glacée n'existait pas...», poursuit-il.

Et selon lui, ce n'est pas fini. «Je pense qu'il y a encore beaucoup à découvrir. La viande, par exemple, est quelque chose de très compliqué, avec une foule de protéines et de molécules qui renferment encore de nombreux mystères. On est loin d'en avoir fait le tour».