Les huîtres, ils connaissent. En fait, c'est leur gagne-pain. Et c'est aussi une passion. Portrait de trois grands amoureux des huîtres, qui font venir à Montréal les meilleurs mollusques qui soient.

Le puriste

David McMillan, copropriétaire des restaurants Joe Beef et Liverpool House, et coauteur du livre L'art de vivre selon  Joe Beef*.

L'imposant chef-copropriétaire de l'un des plus célèbres restaurants en ville aime rappeler qu'il chantait les louanges de l'huître bien avant que celle-ci ne devienne de la «bouffe de hipster». Son partenaire et co-chef Frédéric Morin a récemment converti (de ses propres mains) l'ancienne sandwicherie voisine (McKiernan's) en bar à huîtres. Le tandem infernal a toujours révéré l'huître.

Quand le légendaire John Bil débarque à Montréal, c'est chez Joe Beef qu'il va partager sa grande passion du mollusque bivalve.

Le champion canadien, capable d'ouvrir 14 huîtres en un peu plus d'une minute vingt, est aujourd'hui propriétaire d'un restaurant à l'Île-du-Prince-Édouard. C'est un peu grâce à lui que Joe Beef peut acheter ses précieux coquillages directement des éleveurs et pêcheurs des Maritimes. David McMillan rend d'ailleurs hommage à ces familles d'éleveurs et pêcheurs d'huîtres canadiennes dans le livre L'art de vivre selon Joe Beef, qui paraîtra plus tard ce mois-ci.

Dans la plus pure tradition «Joe Beef», McMillan n'en fait qu'à sa tête lorsqu'il est question d'huîtres. «Je ne crois pas à la douzaine mixte. J'aime offrir des huîtres qu'on a envie de manger en grand nombre.» Si les huîtres de la baie de Colville (Île-du-Prince-Édouard) sont à leur mieux, c'est la seule qu'il offrira à ses clients. La semaine d'après, on trouvera peut-être des Malpèque ou des Glacier Bay.

L'hiver, ce sont des huîtres plates d'Irlande de la famille Kelly ou des coquillages de la côte Ouest, comme la Marina Gold ou la Effingham, cultivées par les membres de la Out Landish Shellfish Guild.

Si les gars de Joe Beef ne se gênent normalement pas pour transgresser les règles, ils épargnent les huîtres de leur penchant pour l'irrévérence. Après tout, celles-ci ont en moyenne de quatre à sept ans lorsqu'on les sert. Cela impose le respect. Elles sont donc servies simplement sur glace, avec un demi-citron et un peu de raifort frais râpé. Ceux et celles qui le souhaitent peuvent apprêter la petite bête avec quelques gouttes de Tabasco ou une petite cuillerée de mignonnette classique ou de sauce cocktail.

L'histoire de pêche de David McMillan

«Lorsqu'on a ouvert Joe Beef, notre ami John Bil a demandé à la famille Carrs, productrice de l'Île-du-Prince-Édouard, de nous envoyer des huîtres spéciales. Il paraît que le légendaire bonhomme Carrs, George, est embarqué dans son bateau, puis est allé récolter les huîtres lui-même. Ce qu'il nous a envoyé était long et étroit comme une banane. John nous a dit que les huîtres étaient probablement presque aussi vieilles que le pêcheur, c'est-à-dire qu'elles avaient près de... 80 ans!»

La meilleure huître qu'il ait jamais mangée

«Une Beausoleil sauvage. Les huîtres Beausoleil proviennent à 99,9% d'élevage. Mais il y a quelques années, la compagnie a fait quelques envois provenant de vieux bancs d'huîtres près de Portage Island, au Nouveau-Brunswick. On a eu deux ou trois arrivages et c'était fini. Mais la plupart des vieux routiers s'entendent pour dire que la meilleure huître jamais mangée était une huître québécoise, la Grande Entrée, disparue vers la fin des années 90. Un de mes plus grands rêves serait de manger une huître québécoise, un jour.»

Ses variétés préférées

Malpèque(Île-du-Prince-Édouard)

Colville Bay(Île-du-Prince-Édouard)

Des bonnes Caraquet de catégorie Choix(Nouveau-Brunswick)

Les huîtres plates irlandaises de la famille Kelly's(dans le temps des Fêtes)

* Le livre sera publié en anglais  aux éditions Ten Speed Press le 11 octobre et en français aux éditions Parfum d'encre le 20 octobre.

La doyenne

Ilene Polanski, propriétaire de Maestro s.v.p.

Ilene Polanski a ouvert l'un des premiers bars à huîtres à Montréal, rue Masson, à la fin des années 80. Elle se trouvait alors dans une mer de hot-dogs et de hamburgers. Maestro s.v.p. a immédiatement connu du succès. Vingt-trois ans plus tard, installée boulevard Saint-Laurent, Ilene Polanski offre à tout moment de l'année l'une des plus grandes variétés d'huîtres en ville.

Bien qu'elle soit une très bonne ouvreuse de mollusques, Mme Polanski ne participe pas aux concours, «une affaire de camaraderie masculine», croit-elle. Elle assouvit néanmoins son petit penchant pour le glamour en ouvrant des huîtres pour des personnalités comme Jean Paul Gaultier ou la famille Jackson.

Puis elle se fait volontiers l'hôtesse d'événements et de concours un peu cocasses. C'est chez Maestro s.v.p. que Marc Bardier, 58 ans à l'époque (1998), a établi un record Guinness en ouvrant 398 huîtres en une heure... avec les mains dans le dos!

Depuis, d'autres concours ont vu le jour dans cette institution du boulevard Saint-Laurent. Ilene cherche toujours de nouveaux champions pour battre le record des «mangeurs d'huîtres». Pour l'instant, le titre appartient à un trio d'hommes qui a consommé 40 douzaines de Beausoleil à trois. Cette variété est d'ailleurs toujours offerte à 13$ la douzaine, du mardi au jeudi soir. Une aubaine.

Autrement, on offre toujours une bonne quinzaine de variétés tous les jours, dont la populaire Lucky Lime de l'Île-du-Prine-Édouard (petite voisine de la Raspberry Point), la Glidden du Maine et la Effingham de Colombie-Britannique.

L'histoire de pêche d'Ilene Polanski

«Les anciens champions de notre concours du plus grand mangeur d'huîtres formaient un couple. À deux, ils ont avalé 24 douzaines d'huîtres en quelques heures. Après leur exploit, nous leur avons demandé comment ils se sentaient. lls étaient en pleine forme. Mais ce que nous voulions réellement savoir, c'était ce qu'ils feraient une fois arrivés à la maison. Eh bien neuf mois plus tard, ils sont venus nous présenter leur bébé!» On dit que les huîtres sont aphrodisiaques. En voilà la preuve!

La meilleure huître qu'elle ait jamais mangée

«L'huître, c'est mon gagne-pain. Je les aime toutes!»

Ses variétés préférées

Glidden Point(Maine)

Hama Hama (Puget Sound dans l'État de Washington)

Lucky Lime (Île-du-Prince-Édouard)

La recrue

Daniel Notkin, fondateur du Old Port Fishing Company, organisateur du Oyster Fest de Montréal, ouvreur d'huîtres au restaurant L'Orignal.

Bien qu'il ait découvert les huîtres sur le tard, Daniel Notkin est aujourd'hui un ambassadeur passionné de la petite bête. Sa soeur Joanna a d'ailleurs remporté plusieurs concours d'ouverture d'huîtres. Aujourd'hui, c'est lui qui fait métier dans le domaine, à titre de distributeur et d'ouvreur au restaurant L'Orignal, dans les concours, les fêtes et les festivals.

Le secret d'un bon ouvreur d'huîtres? «Il faut être rapide ET propre, confie-t-il. On ne veut pas massacrer l'huître. Chacune d'entre elles est un défi. Certaines huîtres sont particulièrement dangereuses à ouvrir.» Daniel Notkin décrit d'ailleurs les ouvreurs d'huîtres professionnels comme une bande d'«escrimeurs ivres se battant contre des créatures préhistoriques». On imagine facilement des dizaines d'hommes à tuques entassés dans un bar de l'Île-du-Prince-Édouard en train d'ouvrir des huîtres pour leurs admiratrices.

Il y a trois ans, Daniel Notkin a mis sur pied un premier Oyster Fest dans le Vieux-Montréal, célébration jeune et branchée du noble mollusque. Cette année, près de 10000 huîtres y ont été ouvertes et dégustées!

Daniel n'hésite pas à comparer l'huître au vin, chacune représentant les subtilités de son «merroir» (version marine du terroir), ses conditions d'élevage, le temps qu'il faisait la semaine où elle a été récoltée (a-t-il beaucoup plu? venté?), etc. Suivant le principe de la dégustation de vin, l'homme au couteau vite comme l'éclair aime faire goûter les huîtres de la plus douce à la plus corsée. Un vrai régal.

L'histoire de pêche de Daniel Notkin

«Un beau soir d'hiver, un couple âgé est entré à L'Orignal. L'homme a commandé des huîtres. J'ai demandé à la dame si elle en voulait également. Elle m'a répondu qu'elle ne mangeait pas d'huîtres parce qu'elle avait toujours gardé un mauvais souvenir de celles qu'elle avait mangées enfant. Elle devait avoir à peu près 75 ans. Je lui ai donc offert d'y regoûter. Elle a accepté... et elle a adoré. Je me suis alors tourné vers l'homme et je lui ai dit: "Voilà! Vous avez une nouvelle partenaire d'huîtres".»

La meilleure huître  qu'il ait mangée

Celle de Colville Bay, à l'Île-du-Prince-Édouard, cultivée par la famille Flynn.

Ses variétés préférées

Colville Bay (Île-du-Prince-Édouard)

Deepwater Wellfleets(Massachusetts)

Effingham(Colombie-Britannique)

Kawa Kawa(Nouvelle-Zélande)

Marina's Top Drawer de l'île Cortes(Colombie-Britannique)