Vous n'avez jamais goûté de cassis frais de votre vie? À moins d'avoir grandi à Dijon, il n'y a pas lieu de rougir. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la production de ce petit fruit noir est encore marginale au Québec. Mais elle progresse...

L'an dernier, 17 producteurs de cassis en ont planté à peine 24 hectares dans toute la province, un chiffre en croissance constante depuis la fin des années 90, mais à des années-lumières de la superficie consacrée aux fraises (1588 ha), aux bleuets (24 471 ha) ou aux framboises (518 ha) et s'en procurer, frais, dans une épicerie, relève de l'exploit.

Pourquoi? D'abord parce que le fruit, qui pousse en grappes de 5 à 10 baies de 1 à 1,5 cm est très fragile et supporte mal le transport.

Mais surtout, parce que le cassis n'aime pas tellement être dans son plus simple appareil, nu et cru. Même ses plus grands amateurs - les cultivateurs - constatent qu'avec sa peau épaisse et son goût aigrelet, la petite baie n'est pas de ces aliments dont on tombe follement amoureux à la première bouchée, ni même aux suivantes... «Frais, il est peu attrayant», va jusqu'à écrire le centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec dans un rapport.

Ceci explique cela: le cassis préfère être sucré, confit, pressé, séché, mis en compote ou vinifié, et on le lui rend bien puisque l'essentiel de la production de la province est transformé avant d'arriver sur nos étalages.



Photo Mathieu Bélanger, collaboration spéciale La Presse

Bernard Monna s'est lancé dans la culture du cassis dans les années 70. Aujourd'hui, son entreprise de l'Île d'Orléans accueille les touristes curieux de découvrir la mystérieuse baie noire.

Liqueur

À ce propos, le produit le plus connu est sans aucun doute la liqueur produite par Bernard Monna et ses filles, à l'Île d'Orléans. Et pour cause : la riche boisson violacée a remporté en 1995 le premier prix du concours européen de Ljubljana, l'équivalent des Oscars des liquoristes - un événement marqué d'une pierre blanche dans l'histoire du cassis au Québec. «Avant ce prix, personne ne connaissait ce fruit ou presque, raconte Catherine Monna, qui a repris l'entreprise paternelle avec sa soeur Anne. Il s'en cultivait vraiment très très peu.»

Dernier descendant d'une lignée de liquoristes français, Bernard Monna, lui, possède déjà de solides connaissances lorsqu'il se lance en affaires dans les années 70. Il est convaincu que le Québec est un terreau fertile pour le cassis et l'avenir lui donnera raison.

Après ce couronnement à Ljubljana, les Québécois découvrent que la liqueur de cassis n'est pas l'apanage de Dijon et de la Bourgogne et la demande pour les produits locaux progresse. Bernard Monna convainc alors un premier cultivateur de pommes de terre, Vincent Noël, de troquer ses gros tubercules pour les baies délicates. Coup de coeur: 15 ans plus tard, Vincent Noël est devenu le plus important cultivateur de cassis bio de l'Amérique du Nord! Quant à la maison Monna, portée par le retour au bercail des filles Anne et Catherine il y a 10 ans, elle écoule désormais 30 000 bouteilles par année, héberge un restaurant et un économusée du cassis.

Photo Mathieu Bélanger, collaboration spéciale La Presse

La liqueur de cassis produite par Bernard Monna et ses filles, à l'Île d'Orléans.

Recettes de chef

«C'est un fruit qui offre une belle complexité, ce n'est pas une saveur unique comme la banane», dit Vincent Noël, qui a développé depuis cinq ans toute une gamme de vinaigres fabriqués à l'ancienne, à partir de vin de cassis et vieilli en barriques de bois de 1 à 3 ans avant l'embouteillage. Au fil du temps, des chefs l'ont aussi ajouté à leur menu, utilisant un sirop ou une liqueur pour parfumer une crème brûlée, garnir une glace à la vanille, relever la sauce d'un gibier, colorer la vinaigrette d'une salade, alouette. Le cassis peut être salé ou sucré, il accompagne autant les viandes blanches que les rouges.

Quoiqu'encore très rares, quelques producteurs offrent aussi maintenant des fruits congelés, entiers ou en purée, à cuisiner soi-même. «On peut le mélanger avec des fraises, des framboises ou des bleuets pour en couper l'acidité», explique Denis Tremblay, de la fraisière Saint-Alexandre, producteur de baies noires depuis 15 ans. Son péché mignon: une tartinade mélangeant 20% de cassis et 80% de fraises. «Avec des céréales et un peu de sirop d'érable, c'est un délice», dit-il.

Photo Mathieu Bélanger, collaboration spéciale La Presse

Pionnières de la culture du cassis au Québec, les soeurs Catherine et Anne Monna (et leur père Bernard) transforment le petit fruit en plusieurs élixirs.

Un super aliment

Le cassis remplace avantageusement la canneberge dans les recettes de muffins ou des jus de fruits, fournissent une dose accrue de vitamines C et E et autres molécules antioxydantes. Les vertus pour la santé qu'on lui prête depuis des siècles ont été confirmées par les scientifiques, confirme Yves Desjardins, de l'Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels (INAF): «Comme tous les petits fruits, il peut réduire les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et les maladies neurodégénératives ». À condition, cela dit, d'en consommer une tasse par jour environ.

Très bien adapté à notre climat, porté par l'engouement du public pour les «super aliments», le cassis détrônera-t-il le bleuet de nos étalages? «Non», tranche Daniel Bergeron, expert de la culture au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ). La mise en marché du cassis est trop complexe et la concurrence des producteurs de France et d'Europe de l'Est est féroce. «Mais il va certainement continuer à progresser», dit 

M. Bergeron. La palette des couleurs s'élargit dans l'assiette. Habituez-vous à y ajouter du noir, pour le plaisir et la santé.

Autocueillette

Le cassis est particulièrement bien adapté aux rigueurs du climat québécois et on le trouve maintenant de l'Abitibi à la Gaspésie, en passant par les Laurentides et le Saguenay-Lac-Saint-Jean. La saison est toutefois de courte durée et la récolte s'étire rarement sur plus d'une dizaine de jours, entre la fin juillet et le début du mois d'août. L'auto-cueillette est offerte, entre autres, à La Petite paysanne, à Sainte-Sophie, dans les Laurentides, (www.lapetitepaysanne.ca, 450-431-2522), à la fraisière Saint-Alexandre, à Saint-Alexandre-d'Iberville (www.fraisieresaintalexandre.com, 450-347-2707) et à la vinaigrerie Cass'île, à  l'Île d'Orléans. (418-956-2614). La fraisière Saint-Alexandre et Cass'île vendent des fruits congelés (autour de 3,50 $ la livre ou 30 $ pour 12 chopines). Téléphonez avant de vous déplacer pour vérifier qu'il reste des fruits dans les champs. En version cuisinée: le restaurant-terrasse La Monnaguette, jouxtant la maison Monna et filles, sert un menu entièrement consacré au cassis. 721, chemin Royal, Saint-Pierre, Île d'Orléans (info@cassismonna.com, 418-828-2525).