La cuisine mexicaine traditionnelle vient de faire son apparition sur la prestigieuse liste du patrimoine immatériel mondial de l'Unesco. Pour plusieurs, cette entrée est perçue comme une victoire sur un passé marqué par la répression d'une culture indigène pourtant infiniment riche. Pendant de nombreuses décennies, la cuisine mexicaine était une affaire de paysans et d'incultes.

Mais cette reconnaissance ne vient pas sans travail. Pour conserver le «sceau» international, les Mexicains devront se pencher attentivement sur les difficultés que chaque région doit surmonter, croit Pilar Fausto, chef, chercheure et professeure à l'Institut de gastronomie de Querétaro.

«Il faudra, par exemple, préserver les ingrédients, les méthodes agricoles et les procédés de cuisson d'origine, arrêter de dénaturer les sols et les produits naturels. Nous devons sauver de l'oubli tout cet héritage qui n'a jamais été couché sur papier, puisqu'il a été transmis de bouche à oreille depuis des siècles. Et puis nos papilles, dénaturées par trop de malbouffe, ont un urgent besoin d'être rééduquées. Aujourd'hui, on a du mal à distinguer un bon mole (ndlr: cette sauce unique préparée à partir d'un très grand nombre d'ingrédients, dont le chocolat, différents types de piments, du sésame, etc.) d'un mauvais», déclarait Mme Fausto, dans un article du magazine mexicain Negocios.

Forte de tous ses métissages, la cuisine mexicaine a adopté et transformé ce que les autres cultures ont déposé (pour ne pas dire imposé) chez elle, comme les vaches, le riz et le vin espagnols, sans jamais renier le maïs, les haricots et le piment chili, sainte Trinité de l'alimentation mexicaine.

Une autre influence culinaire majeure fut importée au Mexique à la fin du XIXe siècle. «Il ne faut pas oublier que, de 1876 à 1911, le Mexique a été gouverné par le président et dictateur Porfirio Diaz, qui était un grand amateur de culture et de cuisine françaises, rappelle la chef Monica Patiño, jointe au téléphone. Ma grand-mère faisait elle-même une cuisine française à base de produits mexicains. Elle pouvait par exemple servir des vol-au-vent avec une sauce crémeuse aux piments poblanos.»

Photo: Marco Campanozzi, collaboration spéciale

Le Chiles en nogada de Patricia Velez

La chef qui sera de passage à Montréal à la mi-février pour le festival Montréal en lumière apprécie pour sa part la cuisine du Sud-Est mexicain (la péninsule du Yucatán), celle des Mayas, avec ses plats parfumés et colorés à l'achiote (roucou). «Elle est demeurée plus vierge, plus protégée des influences extérieures.»

Mme Patiño possède trois restaurants à México: Taberna del Leon, qui sert une cuisine mexicaine traditionnelle, MP Cafe Bistro, où l'Asie flirte avec l'Amérique latine et NAOS, temple de la cuisine mexicaine contemporaine.

Thierry Blouet, lui, est propriétaire du Café des artistes, l'une des meilleures tables de Puerto Vallarta. «Autrefois, dans les grands restaurants de Mexico et des autres grandes villes, jamais on ne trouvait de cuisine mexicaine. Elle n'était bonne que pour être mangée dans la rue ou dans les maisons. Les restaurants étaient européens, français pour la plupart. Aujourd'hui, on trouve tout plein de restaurants qui servent la cuisine mexicaine contemporaine», raconte le chef français installé à Puerto depuis plus de 20 ans. Resté près de ses racines en technique, il travaille les ingrédients locaux d'une région connue entre autres pour sa tequila, son pozole (ragoût réalisé avec de la viande de porc et du maïs cacahuazintle, un maïs blanc à très gros grains) et son pico de gallo (une salsa fraîche).

À l'occasion du Festival gourmet de Puerto Vallarta, en novembre, M. Blouet recevait au Café des artistes le jeune chef Daniel Ovadia, qui revisite dans ses trois restaurants les classiques mexicains comme le cochinita pibil (Yucatán), le mole poblano (Puebla), la torta ahogada (Guadalajara) et... le burrito. Puisqu'il était en saison, on a même pu goûter au surprenant «caviar mexicain» (escamoles), des larves de fourmis récoltées dans les racines de la plante d'agave.

La section Cocina de autor du Café des artistes, où l'on propose un menu dégustation en plusieurs services, était occupée par Roberto Solís, de Mérida, et sa nouvelle cuisine yucatèque. Fort de ses stages dans les grands restaurants que sont Noma, Fat Duck et Per Se, le chef dans la mi-trentaine utilise presque exclusivement des ingrédients de la péninsule pour créer ce qu'il appelle la nouvelle cuisine yucatèque.

Pendant le Festival, la grande Patricia Quintana, auteure du très célébré El sabor de México (1985), officiait quant à elle au restaurant Emiliano. Au panthéon des rénovateurs de la cuisine mexicaine, on pourrait aussi nommer Ricardo Muñoz, Enrique Olvera, Martha Ortiz et Carmen Titita Ramirez.

Mais si les grands chefs sont les ambassadeurs de la cuisine mexicaine contemporaine, les mayoras sont les gardiennes du patrimoine culinaire ancestral. Ces femmes au précieux savoir travaillent souvent dans les cuisines des grands restaurants et s'occupent des préparations plus traditionnelles, comme les soupes, les tamales, les tortillas. On les retrouve aussi dans les maisons.

Chez ses parents, la chef Patricia Velez, installée à Montréal depuis sept ans, a connu une mayora. Elle lui doit une partie de sa formation culinaire, qu'elle a complétée à l'ITHQ et à la faveur de stages auprès de chefs vedettes comme Ricardo Muñoz. Mme Velez s'est donné pour mission de faire connaître la «vraie» cuisine mexicaine, ou du moins, ce qu'elle en connaît. «C'est une cuisine tellement vaste, où chaque grande région - Michoacan, Oaxaca, Yucatan, Jalisco - a des centaines de spécialités.»

Pour vous, Mme Velez a revisité quelques classiques, qui permettent de faire un survol des ingrédients les plus importants (mais peu connus ici) de la cuisine mexicaine: noix, fruits, hoja santa, plantain, fromages, chocolat épicé, cactus, epazote, champignons cuitlacoche, hibiscus, etc.

Photo: Marco Campanozzi, collaboration spéciale

Le flétan d'élevage farcie de cuitlacohe de Patricia Velez