Carlo Petrini, 61 ans, fondateur de Slow Food, défend dans une interview à l'AFP sa philosophie consistant «non seulement à bien manger» mais aussi à «respecter la valeur de la nourriture et la dignité de celui qui la produit».

Créé il y a 24 ans en Italie, le mouvement symbolisé par un escargot rouge (https://www.slowfood.it/) a essaimé dans le monde entier.

Question: Comment définir le concept Slow Food ?

Réponse: c'est à la fois un mouvement engagé dans la culture alimentaire et un réseau de producteurs, paysans, pêcheurs et aussi de chefs cuisiniers, donc une grande alliance entre la gastronomie et l'agriculture qui regroupe 100 000 membres dans 163 pays.

La nouvelle gastronomie doit être bonne, propre et juste. Nous ne sommes pas des gastronomes «vieux style» seulement attentifs au goût ou aux aspects ludiques, il faut aussi que ce soit une nourriture propre qui ne détruise pas l'environnement comme les élevages intensifs polluant les nappes phréatiques. Il ne faut pas non plus payer trop peu le producteur ou traiter comme des esclaves les immigrés venus comme main d'oeuvre en Europe.

Ces 50 dernières années, la nourriture a perdu sa valeur, c'est devenu une commodity, un simple produit de base. Nous avons détruit la société agricole et l'opportunité pour les jeunes de revenir à la terre, avec une proportion d'agriculteurs tombée de 50% dans l'immédiat après-guerre à 3%. Slowfood veut défendre la valeur des aliments et la dignité de ceux qui les produisent.

Q: N'êtes-vous pas des utopistes alors que des organisations comme la FAO encouragent à produire d'énormes quantités pour nourrir une population mondiale à croissance exponentielle ?

R: La FAO a sur le terrain des gens qui travaillent sérieusement mais ces 20 dernières années aucun des objectifs fixés n'a été atteint, notamment la réduction de moitié du nombre d'affamés (d'ici 2015). Si nous sommes utopistes, alors les autres ne sont certainement pas réalistes non plus.

Est-ce que le concept de développement doit être synonyme de multinationales, d'OGM et de propriété des semences, ou de petites communautés utilisant des modes de production vertueux pouvant nourrir des millions de personnes.

Q: que pensez-vous de tendances comme le fooding (né en France il y a 10 ans) et jusqu'où ira le mouvement slow food qui a déjà débouché sur le réseau de villes «lentes», Cittaslow ?

R: c'est très bien, nous ne sommes pas dans une logique de concurrence, pour nous cela signifie que la sensibilité à la qualité de l'alimentation augmente.

Quant aux villes «slow», c'est une émanation de slow food. Bien avant le livre de Milan Kundera «La Lenteur», Slow Food est né en opposition à la rapidité du fast food. Philosophiquement retrouver la lenteur est essentiel, nous avons besoin d'en consommer à dose homéopathique tous les jours, pour revenir à un rythme de vie plus supportable et commettre moins d'erreurs.

Parmi les autres organisations nées de Slow Food, nous misons beaucoup sur Terra Madre, un réseau extraordinaire. Nous ne pourrons pas changer le monde mais les humbles de la terre doivent être écoutés. Nous sommes conscients de notre dimension, nous sommes une petite association. Mais désormais c'est la société civile qui fait bouger les hommes politiques pas le contraire. Nous ne savons pas jusqu'où nous irons, on verra bien, slow, slow, tranquillement...

Propos recueillis par Françoise KADRI