Le design et la cuisine se côtoient peu. En France, le design culinaire fait pourtant tranquillement son entrée chez les traiteurs et dans les galeries. Ici, il suscite surtout la curiosité. Rencontre avec Delphine Huguet, une pionnière de la nouvelle discipline, de passage à Montréal pour l'inauguration du laboratoire culinaire de la SAT.

Pendant sa résidence de deux mois à la SAT, Delphine Huguet travaillera sur son projet MEGA Beat Dessert, qui sera ensuite diffusé dans l'espace immersif situé au nouvel étage de l'édifice de la SAT. Pour créer ce «dessert technologique» à base de fécule de maïs (matière non-newtonienne), l'artiste utilisera non pas un fouet, mais des fréquences sonores impalpables. Elle créera ainsi une bande sonore utilisant différents types de fréquences pour rythmer l'ajout des ingrédients, jusqu'à l'obtention d'un dessert... comestible.

Contrairement à d'autres créateurs culinaires, Delphine Huguet propose toujours des oeuvres qui se mangent, par amour pour la bouffe, mais aussi par soucis écologique.

«Le problème avec le design, c'est que, de manière générale dans notre société, on produit beaucoup trop. Qu'est-ce qu'on fait avec tous ces objets? Avec le design culinaire, je suis libre de produire autant que je veux, puisque ce sera ingéré.»

L'artiste aime bien l'idée que ses créations fassent corps avec le spectateur ou le client. «Il y a un rapport hyper personnel et sensuel, puisque le spectateur mange mon travail!»

En plus de participer à de nombreuses expos et résidences internationales (après Montréal, elle s'envole au Japon), la designer a réalisé plusieurs contrats pour des entreprises très diverses.

Elle a par exemple imaginé une «carte postale gourmande» pour l'ouverture de la saison touristique du Comité régional du Limousin. La salle de spectacle L'International de Paris lui a inspiré des drapeaux comestibles aux saveurs de chaque pays (hareng et myrtilles pour la Suède, saucisse fumée et pomme pour l'Allemagne, wasabi et mûre pour le Japon).

À l'occasion de la sortie du livre Field Notes From a Catastrophe d'Elizabeth Kolbert, elle a réalisé un buffet ludique sur le thème du réchauffement climatique. Il y avait par exemple un dessert représentant la planète Terre. «Après avoir brisé le biscuit à coups de maillet, les convives se délecteront de la planète jusqu'à n'en plus laisser une miette. Ce dessert est accompagné d'une tisane aux vertus apaisantes...» peut-on lire sur le site de l'artiste (huguetpourebullition.ultra-book.com).

Delphine Huguet a étudié à l'École supérieure d'art et de design de Reims. Elle a été particulièrement marquée par l'enseignement de Marc Bretillot et par le travail de Stéphane Bureaux. Ces deux designers culinaires sont parmi les premiers à avoir exploré cette discipline. On retrouve donc un petit noyaux de créateurs en France et quelques artistes éparpillés un peu partout: Hollande (Mariej Vogelzang), Japon (Ayako Suwa), Espagne, Québec (Diane Leclair Bisson, avec son fascinant projet de contenants comestibles).

«La cuisine est la dernière discipline à ne pas avoir eu accès au design, déclarait Marc Bretillot, dans un entretien que l'on peut lire sur son site. On ne se pose pas la question quand un éditeur de meubles fait appel à un designer pour concevoir une chaise. Dans les métiers de bouche, ce n'est pas encore vraiment accepté même si cela suscite beaucoup de curiosité chez les grands chefs. C'est dû au corporatisme et au poids de la tradition.»

Il arrive d'ailleurs que Delphine Huguet se heurte à quelques esprits moins ouverts, lorsque vient, par exemple, le moment d'expliquer ses concepts aux traiteurs qui doivent réaliser la chose. Heureusement, une nouvelle génération de traiteurs plus créatifs est en train de voir le jour en France.

Chez nous, le nouveau laboratoire culinaire de la SAT, qui sera également un lieu d'expérimentation pour les chefs québécois, les mixologues et les chercheurs universitaires devrait développer une certaine curiosité pour cet «art» de l'éphémère en émergence.