Sur le plateau désertique de l'Aubrac, surmonté d'un ciel immense, chaque éleveur, chaque commerçant évoque spontanément le chef étoilé Michel Bras, célébrité mondiale installé dans cette région du centre de la France.

Peu savent que c'est désormais son fils Sébastien, 38 ans, qui dirige la cuisine de l'établissement familial.

«Il continue à venir très régulièrement passer une matinée avec l'équipe, pour tailler par exemple les légumes du gargouillou», son plat de légumes, herbes et fleurs devenu mythique, confie Sébastien à l'AFP, dans son bureau vitré au sein de la cuisine. Autour, une brigade de plus de 20 cuisiniers, tenue blanche impeccable et tablier vert vif, taille, cuit, mixe dans une atmosphère studieuse.

«Lui interdire la cuisine, ce serait comme le pendre au fond d'un bois», plaisante le chef à l'accent chantant, qui assume sereinement et s'enorgueillit d'être à la fois le fils de son père, son prolongement, tout en affirmant une personnalité forte et vive.

Sébastien, qui parle à toute vitesse, dit n'avoir jamais envisagé un autre métier. «J'ai passé mon enfance dans cette ambiance, le stress des services, le retour des marchés, le goût des belles et bonnes choses».

Le jeune homme s'est évadé quelques années pour se former ailleurs aussi. Après son bac et trois ans d'école hôtelière à Lyon, il a passé quelques mois inoubliables chez les trois étoiles Pierre Gagnaire et Michel Guérard avant d'intégrer la cuisine de son père.

Sébastien Bras aurait bien prolongé un peu ces expériences. Mais au début des années 1990, ses parents quittent le bourg de Laguiole pour prendre de la hauteur sur une colline dominant l'Aubrac, où ils font construire un bâtiment futuriste aux contours de verre. Sébastien rejoint alors l'entreprise, passant par tous les postes de la cuisine.

«Mon père ne m'a pas fait de cadeau. Il y a eu des moments difficiles. Quand vous vous faîtes houspiller devant une vingtaine de gars qui rigolent dans votre dos», se souvient-il en grimaçant. Mais aujourd'hui, «ce que je sais, je ne le dois qu'à moi-même. Mon métier m'appartient», affirme-t-il avec assurance.

Il dit aimer qu'une carte soit vivante, évolue, mais n'imagine pas enlever les plats phare de Michel, comme le célèbre «ombre et lumière», une lotte à l'huile d'olive noire, ou l'omniprésent gargouillou, «aujourd'hui on ne peut plus contemporain» en raison de l'engouement actuel pour les légumes. Bien à sa place, le cuisinier n'éprouve aucun besoin de «tuer le père».

Sur les trois menus qu'il propose, midi et soir, l'un d'entre eux reste entièrement consacré aux légumes de saison. «Dans les années 1980, on en préparait un ou deux par semaine. Aujourd'hui, c'est presque 10% des ventes», explique le chef.

Chez Bras, prononcé «brass» dans la région, le lien au terroir passe d'abord par le végétal. «Chez nous, c'est souvent la garniture, généralement jugée secondaire en cuisine, qui sert de fil conducteur pour une recette», explique Sébastien.

Plusieurs fois par semaine, le chef se lève avant quatre heures du matin pour aller au marché à Rodez, à une cinquantaine de kilomètres. Outre les 50 à 70 variétés d'herbes aromatiques et fleurs comestibles cultivées par son père, en complément des cueillettes sauvages, il se fournit auprès de maraîchers qu'il connaît depuis l'enfance et qui produisent certaines variétés exclusivement pour le restaurant.