Un mille-feuilles vertical. Pas pour faire joli, mais pour éviter de massacrer la délicate pâtisserie et la découper proprement. C'est l'une des réalisations les plus emblématiques du designer culinaire français Marc Brétillot, qui forme des étudiants à ce métier d'avenir.

Cuisiniers et pâtissiers ne voient pas toujours d'un bon oeil cet intervention de «concepteurs» dans leur univers. Mais le design ne s'empare pas seulement du contenu de l'assiette, il «questionne l'acte de manger dans sa globalité, y compris les ustensiles de dégustation ou les principes du service», explique à l'AFP l'enseignant à l'Ecole du design de Reims (ESAD).

Pour un traiteur, il a par exemple mis au point un plateau en porcelaine transpercé d'une tige en bois. Il permet au serveur d'élever le plateau pour traverser la salle et de le baisser pour proposer ses petits fours.

Avec les charcutiers du Limousin, il a mis au point le «cabossé», un pâté en croute ondulé qui rappelle les paysages vallonnés de la région, mélangeant veau, agneau, porc et chataîgnes.

Passé par l'école Boulle, Marc Brétillot, 44 ans, a enseigné le design de meubles avant de glisser progressivement vers l'alimentation, qui représente aujourd'hui 100% de son activité.

En septembre, l'ESAD lance d'ailleurs un diplôme post-doc pour les étudiants qui veulent se spécialiser dans ce domaine porteur. «Le marché reste largement à créer»: Il y a encore quelques années, le métier de designer culinaire n'existait pas, note-t-il dans son atelier de Ménilmontant à Paris.

Aujourd'hui, il est sollicité pour conseiller l'industrie agroalimentaire, créer pour des artisans de métiers de bouche ou de grandes épiceries, faire des installations pour l'événementiel.

«C'est difficile d'évaluer quelle va être la valeur ajoutée du design - c'est du concept, de la matière grise - mais une fois qu'il est là, on a du mal à s'en passer», note-t-il.

Un designer «arrive sur un domaine, regarde ce qui se fait, se pose des questions candides: Est-ce que c'est légitime de faire comme ça ? Est-ce qu'on peut faire autrement ?», explique M. Brétillot, qui a publié en avril «Culinaire design», retraçant ses dix dernières années d'activité.

Parmi les cuisiniers précurseurs, il évoque le Catalan Ferran Adria, le pape de ce qu'on a appelé la cuisine moléculaire, ou Michel Bras, un autodidacte qui use de concepts pour traduire son attachement au plateau de l'Aubrac, comme pour son célèbre «Ombre et lumière» à base de lotte et d'huile d'olive noire.

Comme les designers, ces deux prodiges de la cuisine se servent de la photo et du dessin pour créer.

Mais la plupart du temps, «le dialogue avec les chefs est compliqué: ils nous perçoivent comme une concurrence à leur ego créatif», dit M. Brétillot. «Ils ont peur d'y perdre leur âme, qu'on leur vole quelque chose». Même si ce regard «a radicalement changé ces cinq dernières années». Ils comprennent aussi que certaines collaborations, y compris avec des designers culinaires, «peuvent les amener plus loin».

Le design souffre encore souvent d'être confondu avec le stylisme culinaire, qui vise à rendre esthétique et appétante la nourriture, alors que les designers cherchent à générer des produits cohérents, sans négliger le goût.

Amateur de bonne bouffe, Marc Brétillot trouve d'ailleurs que les nourritures «trop léchées, moulées, calibrées perdent de leur gourmandise».