Une tendance vieille comme le monde (de la bière) fait un retour en force à New York: le cruchon, ou growler, sorte de cruche de près de deux litres, permettant de consommer des bières pour emporter qui ne sont pas nécessairement encore embouteillées.

Un caprice réservé aux fous de la bière? C'est ce que pensaient, à tort, les propriétaires de Bierkraft, boutique de bières spécialisées à Brooklyn, qui a relancé cette mode il y a quelques années. «Dans notre clientèle, nous avons beaucoup de geeks de bière, c'est vrai, mais aussi beaucoup de jeunes familles. Des amateurs qui n'ont plus le temps de sortir!» signale Matt Barclay, responsable des achats de la boutique.

C'est le cas de Michael Endelman, journaliste au Rolling Stone, qui a raconté dans les pages du New York Times ne plus sortir autant depuis qu'il est papa. «Le growler est un excellent moyen de continuer d'être un geek de bière, sans sortir!»

Grâce au cruchon, les consommateurs peuvent en effet se rendre dans des bars ou des boutiques spécialisées (parmi lesquelles Whole Foods, un magasin d'aliments naturels!) munis de leur contenant, et ainsi faire le «plein» de bière en fût, des produits de petits producteurs qui ne sont par ailleurs pas embouteillés. Le concept interpelle évidemment les amateurs, les jeunes familles, mais aussi toute une clientèle écolo, qui apprécie le côté artisanal du produit, et surtout la réutilisation du fameux contenant.

«Nous avons été les premiers à relancer cette mode, mais maintenant, les growlers sont partout en ville!» poursuit Matt Barclay, en expliquant que le cruchon date du XIXe siècle. À l'époque, c'était souvent les enfants (!) que l'on envoyait au bar du coin, pour remplir le fameux growler. D'où le nom, qui évoque ici le son de la bière remuée dans la cruche.

Et au Québec? Impossible de se présenter au Dieu du Ciel, disons, avec un cruchon pour emporter. La loi est ainsi faite. «Question de catégories de permis, explique le porte-parole de la Régie des alcools, Réjean Thériault. La bière artisanale, on ne peut pas la vendre n'importe comment», dit-il.

Pour vendre de la bière artisanale, il faut une panoplie de permis, et surtout respecter une série de règlements. Du coup, loi oblige, pas un bar n'accepte les cruchons. Sauf erreur, seul un établissement au Québec fonctionne avec des commandes pour emporter: les brasseurs du Naufrageur, à Carleton. Mais pas dans le bar. Il faut aux amateurs se rendre dans la salle de brassage, pour un embouteillage en bonne et due forme.

Et toute cette gymnastique est bien dommage, rétorquent plusieurs amateurs. Dommage pour les «trippeux» de bière, bien sûr, mais aussi pour les petits artisans, qui pourraient voir là une manière de se faire connaître, d'écouler leur stock, bref, d'«arrondir les fins de mois», résume Frédéric Tremblay, propriétaire de la microbrasserie Charlevoix et vice-président de l'Association des microbrasseurs du Québec.

«On s'est battus aux débuts des années 2000 pour faire changer cette question des permis, mais ça n'a jamais marché, se souvient aussi Stéphane Ostiguy, de Dieu du Ciel. Notre loi entourant la vente et la production d'alcool est vraiment archaïque.»

Parlez-en à André Trudel, brasseur du Trou du Diable, à Shawinigan: il lui faut un permis pour brasser, un autre pour vendre à l'extérieur de ses murs, un troisième pour vendre à l'intérieur, un autre pour sa terrasse, et un dernier pour son entrepôt. «Nous avons un labyrinthe de lois!» déplore-t-il.