En gastronomie comme ailleurs, le bling-bling n'a plus la cote ! La crise aidant, les grands restaurants traditionnels ont du mal à faire le plein au profit de tables tout aussi soucieuses de gastronomie mais moins luxueuses, selon des professionnels interrogés par l'AFP.

«Qui peut suivre des additions à 550 $ ?» lance le critique Thibault Leclerc, du Bottin Gourmand. Selon lui, une «cuisine bling-bling» a sévi ces dix dernières années, avec «de très grandes tables aux moyens lourds», des palaces «aux cuisines plus flamboyantes les unes que les autres», mais nous la «voyons disparaître».

Les établissements de grand luxe «n'ont plus le vent en poupe», affirme-t-il. Ils sont souvent ouverts seulement à temps partiel ou ont été obligés de s'adjoindre des bistrots, souligne-t-il. On voit en revanche «exploser littéralement, en termes de fréquentation et de chiffre d'affaires», des tables plus modestes, des bistrots gastronomiques dont les chefs ont d'ailleurs souvent fait leurs classes dans des palaces.

La crise économique a été «un révélateur» et un accélérateur de ce mouvement mais «c'est une tendance de fond» qui l'a précédée, affirme M. Leclerc. «Il y a un vrai changement» dans le comportement et les attentes des consommateurs.

Ils ne sont plus disposés «à se ruiner pour financer des locaux somptueux, une main-d'oeuvre pléthorique, une porcelaine précieuse et des couverts en argent», estime son confrère Marc de Champérard, auteur du guide du même nom. Selon lui, «les restaurants gastronomiques de luxe dans les palaces», avec leurs additions à plusieurs centaines d'euros, sont voués à disparaître au profit de «brasseries d'exception» avec des additions «autour d'une centaine d'euros».

Même la clientèle très riche «ne va plus systématiquement manger dans un grand restaurant», lui préférant parfois un petit bistrot, relève l'historien des pratiques culinaires Patrick Rambourg. Rien à voir avec les années 70-80 où «quelqu'un qui avait les moyens aimait bien le montrer» en fréquentant régulièrement les tables de luxe.

Pour la chef Hélène Darroze, «ça fait quatre ou cinq ans» que le comportement des consommateurs a changé. «Ils ne sont plus prêts à dépenser tant d'argent», constate-t-elle. Elle-même vient de baisser le prix de son menu de 178 euros à 125 euros (de 280$ à 200$ )(sans les vins). Elle a aussi «dépoussiéré» son restaurant parisien : «Il n'y a plus de nappes, on a simplifié le rituel», dit-elle.

«Les gens cherchent autre chose», approuve Guy Martin, le chef du Grand Véfour à Paris. «On est en mouvement vers quelque chose de plus léger, plus fun, moins ampoulé».

Alain Senderens l'a compris avant tout le monde, estime M. Leclerc, quand il a rendu en 2005 les trois étoiles Michelin de son restaurant parisien Lucas-Carton pour ouvrir «Senderens», aux prix plus abordables. Il a «divisé par trois le prix du menu», souligne M. Rambourg, et proposé des produits modestes jusqu'alors peu prisés par les établissements de grand luxe, comme la sardine.

Il restera cependant toujours «des maisons un peu temples» de la gastronomie de luxe, estime Guy Martin, mais «les additions devront correspondre» à la qualité. «On va vers des années vérité, c'est-à-dire où il n'y a plus d'esbroufe».

«La clientèle est de plus en plus exigeante par rapport à l'argent qu'elle accepte de donner», elle «ne se laisse plus trop berner comme elle s'est laissé faire dans les années 80-90», renchérit M. Rambourg. Il n'est pas inquiet pour autant : le grand restaurant «a toujours su s'adapter», dit-il.