Tout l'été, La Presse donne la parole à ceux qui réinventent notre terroir. Des gens qui ont pris de sérieux risques pour se lancer dans des cultures moins populaires que d'autres ou qui ont décidé de faire les choses différemment. Ils créent maintenant dans leurs champs, leurs fermes, leurs brasseries, leurs fromageries, des produits qui se trouveront bientôt sur votre table. Chaque samedi, découvrez ces gens d'avant-goût.

On lui avait dit qu'elle avait peu de chances de succès. Les champignons sont difficiles à apprivoiser et comme le taux de faillite de ses prédécesseurs était pratiquement de 100%, les banques n'étaient pas chaudes à l'idée de courir le risque avec elle. Aujourd'hui, Danielle Ricard cueille ses pleurotes jusqu'à trois fois par jour, au pied du mont Grand-Fonds à La Malbaie.

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Une douce odeur flotte dans l'air de sa champignonnière. Unique mélange d'humidité, de désinfectant et de végétation. Le coup d'oeil est encore plus impressionnant que les arômes. Car ses champignons ne poussent pas dans un charmant sous-bois, mais bien dans des seaux de plastique. Les seaux sont alignés à l'intérieur de petites salles de culture et des champignons s'en échappent par les trous, sur les côtés. Comme une explosion-surprise.

Mais ce n'est pas par surprise, mais grâce à un mélange de connaissances et de patience que les pleurotes ont finalement décidé d'obéir à cette néorurale, possédant une maîtrise en arts plastiques. Il a fallu plusieurs essais et autant d'erreurs. Champignons Charlevoix fait tout, de la création du mycélium jusqu'à la récolte.

«On ne peut jamais quitter la champignonnière, c'est un travail sept jours sur sept», explique Danielle Ricard, rencontrée sur place. Son conjoint, Jean-Pierre, et elle font plusieurs fois par jour l'aller-retour entre la champignonnière et leur maison voisine. Ils observent tous les stades de développement des champignons. Du moment où ils ne sont qu'une petite tache grisâtre qui se pointe à la surface du seau jusqu'à la grappe de pleurotes, prête à être arrachée de son tronc de plastique. Le moment de la séparation est ponctué d'un faible «crac» sonore, preuve que ses champignons sont nettement plus fermes que les pleurotes qui se trouvent généralement sur le marché et qui viennent souvent d'Europe de l'Est ou des États-Unis et de l'Ontario.

Pour les faire pousser, Danielle remplit chaque seau de bran de scie et de résidu de céréales. L'essence du bois donnera des arômes aux pleurotes, rappelant leur milieu naturel.

Six ans après ses débuts, la culture est toujours aussi fragile, mais nettement plus productive. Au début, chaque seau lui donnait une demi-livre de champignons. Maintenant, le rendement est de plus de sept livres par seau.

Quelques producteurs orphelins

Il y a peu de producteurs de champignons au Québec. Combien? La Fédération des producteurs maraîchers n'a aucune statistique à ce sujet. Les producteurs de champignons sont membres de l'UPA, mais n'appartiennent à aucune fédération. «Nous sommes dans une zone grise», estime Christophe Marineau, qui fait pousser une dizaine de variétés de champignons depuis quatre ans, en Outaouais. Des champignons exotiques, dit-il, parce qu'ils se distinguent de ceux que l'on retrouve communément au supermarché, les champignons blancs, de café ou le portobello.

Les cultivateurs de champignons «exotiques» du Québec qui commercialisent leur production se comptent sur les doigts d'une main. Ils ont pris beaucoup de risques en se lançant dans cette culture marginale, mais maintenant, ils ont le champ libre. Le marché leur appartient et il explose.

Les consommateurs sont avides de nouveautés et de produits de qualité. Et comme le champignon frais voyage et se conserve mal, les produits québécois partent avec une longueur d'avance sur les produits importés. À condition que le consommateur leur porte attention. «Les produits importés entachent la réputation des champignons, dit même Christophe Marineau. Quand les gens voient la différence entre un produit médiocre et un produit de qualité, ils redécouvrent le champignon.»

Denis Campagna, de la jeune entreprise Champs Mignons, en Estrie, nourrit aussi de grands espoirs quant à l'avenir du champignon de spécialité au Québec. Les gens veulent manger plus nutritif, plus local et plus raffiné, ce qui ne peut qu'aider ses pleurotes à prendre du galon. «Les pleurotes québécois trouveront bientôt le chemin de la grande distribution», assure le producteur.

Mais ce ne sera pas sans avoir trimé. Ces maraîchers de spécialité développent eux-mêmes leurs marchés. Denis Campagna fait de l'agrotourisme à sa plantation de Fitch Bay. Il travaille avec des chefs, puisque, c'est bien connu, les consommateurs vont être tentés de reproduire à la maison ce qu'ils ont mangé au restaurant.

L'entreprise de Christophe Marineau, Le Coprin, vend presque tous ses champignons aux grandes tables et au marché public. Danielle Ricard, elle, écoule tous ses pleurotes en Gaspésie. Mais ils ont fait bondir le taux de succès des cultivateurs de champignons. Que les sceptiques et les banquiers se le tiennent pour dit!