Dans la nuit de Shanghai, dix clients gastronomes sont conduits à l'emplacement secret d'un mystérieux restaurant. Au menu: 22 plats, à déguster immergé dans autant d'ambiances olfactives, visuelles et musicales, des Beatles aux arômes de truffes.

C'est une expérience culinaire à 360 degrés que propose Paul Pairet, le chef français de 53 ans qui gère l'Ultraviolet, l'un des établissements les plus singuliers - et onéreux - du monde.

Après un bref trajet dans une ancienne zone industrielle, les convives s'asseyent dans une salle minimaliste autour d'une table unique, entourés d'une ambiance sensorielle qui évolue en permanence.

Le homard est servi? Un système pulvérise aussitôt un air iodé dans la pièce, dont les murs se tapissent d'images de vagues s'écrasant sur des rochers. Au tour des truffes? Des saveurs de forêt automnale le remplacent.

Le fish-and-chips est accompagné d'une averse typiquement londonienne et d'une chanson des Beatles. L'itinéraire culinaire se poursuit en Grèce, en Indonésie, ou encore en Chine, sur fond de musique classique ou de hard rock d'AC/DC.

Chaque thème est censé provoquer ce que Paul Pairet appelle le «goût psychologique». L'idée: placer le plat dans son «environnement naturel» pour enlever toute perturbation susceptible d'en altérer les saveurs.

L'addition revient au minimum à 4000 yuans (770 $) par personne, voire 6000 yuans (1150 $) le weekend. Mais cinq ans après son ouverture, le restaurant fait toujours le plein et la place se réserve trois mois à l'avance.

«Dans un moule»

La consécration est arrivée en septembre: le restaurant a obtenu trois étoiles au guide Michelin. C'est seulement le deuxième de Chine à être ainsi honoré et un signe de la sophistication culinaire croissante de Shanghai, la plus internationale des villes du pays.

Pour Paul Pairet, qui qualifie sa cuisine de «française mais sans être française», le fameux petit livre rouge qui référence les meilleurs établissements gastronomiques, est sorti de «sa zone de confort» en le récompensant.

«C'est un encouragement pour tenter des choses différentes. On n'est pas obligé d'être dans un moule», dit-il.

Patron d'un établissement parisien il y a une vingtaine d'années, Paul Pairet s'est ensuite expatrié à Istanbul, Hong Kong, Sydney et Jakarta, avant de s'installer en 2005 à Shanghai, où il possède deux autres restaurants.

Dès les années 1990, ce quinquagénaire décontracté à la barbe de trois jours imaginait un endroit qui puisse «faire le lien» entre l'esprit et le palais.

«L'unité de lieu est extrêmement importante dans la perception du plat et le souvenir qu'on en conserve», explique M. Pairet. Il faut «déclencher l'atmosphère propice à chaque assiette».

Agneau et CO2

Son menu propose des plats classiques comme de l'agneau ou du boeuf japonais wagyu. Mais aussi des cigarettes de foie gras servies dans un «cendrier», ou des huîtres qui crépitent littéralement sous la dent, grâce à l'ajout d'acide citrique et de dioxyde de carbone en poudre.

«Mais la nourriture reste toujours le plus important», assure le chef, qui se vante d'avoir un ratio de 2,5 employés au service de chaque client.

La haute cuisine a décollé ces dernières années à Shanghai à mesure de l'enrichissement et de la sophistication des citadins. Une tendance qui a poussé Michelin à lancer un guide rouge shanghaïen en 2016, le seul de Chine continentale.

«On utilise vraiment tous ses sens pour ressentir cette expérience», s'enthousiasme Cheryl Chen, employée à Shanghai d'un cabinet de conseil, venue dîner avec son petit ami.

«Il y a ce côté multi-dimensionnel par rapport aux autres restaurants qui servent eux-aussi de la bonne cuisine dans un bel environnement. Mais celui-ci est probablement unique en son genre».