Manger moins de viande est une préoccupation alimentaire en croissance. De petits gestes quotidiens peuvent déjà contribuer à notre santé et à la diminution de l'empreinte écologique de notre alimentation. À plus long terme, on mangera peut-être des insectes et des hamburgers cultivés en laboratoire.

DES GESTES CONCRETS

Limiter son empreinte écologique en modifiant son alimentation, c'est possible, sans même avoir à devenir végétarien. Petit guide des gestes qu'on peut faire au quotidien.

MANGER DE LA VIANDE À L'OCCASION

« Plus j'étudie la diète méditerranéenne, plus je trouve que c'est l'idéal. Elle n'exclut pas la viande, mais suggère d'en prendre deux fois par semaine seulement », expose Nathalie Jobin, directrice scientifique d'Extenso, le Centre de référence sur la nutrition de l'Université de Montréal. La viande demeure néanmoins intéressante sur le plan nutritif. « C'est facile pour le fer, par exemple, d'avoir accès à des quantités suffisantes de viande », ajoute la nutritionniste.

DIMINUER LA QUANTITÉ

« Un bouillon de viande apporte beaucoup de saveur à un plat », estime Richard Béliveau, qui suggère de se servir de la richesse aromatique de la viande plutôt que d'en faire l'élément principal d'un repas. Il pense entre autres à un couscous au bouillon d'agneau, avec peu de viande et beaucoup de légumes. Une fois de plus, la diète méditerranéenne donne des pistes, selon Nathalie Jobin. « [La viande] n'est pas la base de leur alimentation. C'est surtout pour le punch que ça donne au plat », dit-elle, en suggérant, par exemple, de faire un ragoût de boeuf... en y ajoutant plein de lentilles.

DIVERSIFIER SES PROTÉINES

Nathalie Jobin conseille d'ailleurs d'intégrer davantage de protéines végétales dans notre alimentation parce qu'il y a des bénéfices pour la santé et qu'elles ont un impact environnemental « beaucoup plus faible ». « C'est polyvalent et économique, fait-elle valoir, en citant le tofu, le tempeh, les légumineuses, les noix et les graines. Juste manger les bonnes quantités de fruits et de légumes par jour et moins de produits transformés, ce serait un pas en avant pour la santé. »

CHOISIR DES COUPES MOINS POPULAIRES

L'une des façons de limiter son impact écologique serait d'aider, en quelque sorte, les bouchers à exploiter au maximum les bêtes qui ont été élevées pour notre alimentation. Comment ? Aruna Antonella Handa, d'Alimentary Initiaves, une entreprise torontoise qui s'intéresse à l'alimentation de l'avenir, suggère de s'intéresser « aux coupes de viande moins populaires » ou d'apprendre à cuisiner « le coeur de boeuf au lieu du boeuf émincé ou du steak de faux-filet ». Selon un sondage mené auprès de 500 chefs au Canada, cette approche fait également partie des 10 tendances en restauration de 2016 au pays.

MANGER PLUS PETIT

Des partisans d'une alimentation saine et durable précisent que « nous sommes ce que nous mangeons » pour rappeler que notre empreinte environnementale va au-delà de ce qu'il y a concrètement dans notre assiette. Manger du thon, par exemple, c'est aussi manger les autres poissons ou les calmars qu'il a ingurgités pour grandir... Et les métaux et autres polluants qu'il aura accumulés, tout comme ses proies. Les petits animaux exigent aussi moins de ressources.

ACHETER LOCAL ET BIO

Opter pour les produits locaux, issus d'une agriculture respectueuse de l'environnement, est une bonne solution pour réduire l'empreinte écologique de notre nourriture. Encore mieux : achetez d'une personne de confiance ou directement du producteur, suggère Aruna Antonella Handa. « Quand on connaît la personne qui a cultivé ou élevé nos aliments, on est moins porté à les jeter, à les gaspiller », avance-t-elle.

GASPILLER MOINS

Environ 20 % de la viande qu'on achète se retrouve à la poubelle, selon l'Environnemental Working Group. À l'échelle planétaire, c'est un tiers (33 %) de toute la nourriture produite qui prend le chemin des poubelles, mentionne Michel Leboeuf dans Homo Carnivorus. Mieux planifier, c'est bon pour l'environnement... et le portefeuille.

DES INSECTES BIENTÔT DANS VOTRE ASSIETTE

Meringue aux fourmis, pain enrichi au ténébrion, smoothie de sauterelle... Autant d'aliments qui pourraient peut-être se tailler une place sur nos ardoises. Une mauvaise plaisanterie ? Le sujet est actuellement étudié le plus sérieusement du monde par des acteurs de premier plan en alimentation.

Le restaurant danois Noma, considéré comme l'une des meilleures tables du monde, incorpore des insectes à ses plats. Pour goûter aux créations culinaires de son chef, René Redzepi, vous devrez cependant réserver plusieurs mois d'avance et payer le prix fort.

Peu connue en Occident, la consommation d'insectes fait partie du régime alimentaire des humains depuis toujours. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que plus de 1900 espèces d'insectes sont consommées par au moins 2 milliards de personnes sur Terre.

Le sujet suscite l'intérêt, observe Anne Charpentier, directrice de l'Insectarium, qui a organisé sa première rencontre internationale sur l'entomophagie en 2014. Et pour cause : sur 1,4 million d'animaux connus sur Terre, 1 million sont des insectes, ce qui en fait l'espèce la plus riche du règne animal et une solution plausible aux enjeux auxquels fait face la population mondiale.

DE NOMBREUX AVANTAGES

Les insectes constituent une occasion de nourrir efficacement la planète en raison de leur rapidité de croissance, de leur accessibilité, de la simplicité des techniques d'élevage et de leur valeur nutritionnelle. Ils sont riches en protéines, moins gras que les viandes et sont une source de fer, de zinc et calcium.

Sur le plan environnemental, leur élevage exige beaucoup moins de nourriture, d'eau et de surface terrestre, et émet moins de gaz à effet de serre que celui du bétail traditionnel, soutient Laura Shine, doctorante en entomophagie à l'Université Concordia.

L'idée de les nourrir de résidus organiques - des aliments non consommés ou des déchets industriels comme la drêche des brasseries - fait également son chemin. Faisant d'une pierre deux coups, nous pourrions donc produire des aliments de qualité en diminuant le gaspillage et notre empreinte écologique. Et puisque l'élevage est relativement facile et peu coûteux, il pourrait être établi à petite échelle dans une municipalité ou même à la maison. Encore faut-il modifier les perceptions.

AU-DELÀ DU DÉGOÛT

En Amérique du Nord, on mange principalement des aliments qui ont été produits pour la consommation humaine, alors que les insectes sont perçus comme étant sales, dangereux et nuisibles. Sans le savoir, nous consommons toutefois des particules d'insectes dans nos farines et dans la plupart des produits transformés.

« Quand la moissonneuse-batteuse passe dans les champs, elle ne prend pas le temps de faire le tri entre le grain et l'insecte. Et si on pense au miel, c'est physiologiquement un vomi d'abeilles. »

- Laura Shine, doctorante en entomophagie à l'Université Concordia

Ce qui fait qu'on mange ou non un aliment est culturel. Les insectes ne sont d'ailleurs pas une nourriture de famine, mais un aliment qu'on mange pour son intérêt culinaire. Les grillons auraient un goût de noix grillées, les fourmis, une pointe d'agrumes... « Quand je défends mes positions sur les insectes en cuisine, je le fais avec rigueur », précise Jean-Louis Thémis, qui s'y intéresse pour les saveurs nouvelles qu'ils offrent.

NOURRIR LES ANIMAUX QU'ON MANGE

L'idée de manger des insectes fera peut-être son chemin dans nos esprits. Or, la solution la plus plausible dans un avenir rapproché, et celle qui pourrait avoir le plus grand impact écologique, serait de les utiliser pour nourrir les animaux d'élevage, notamment en aquaculture et en aviculture, estime Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki. Les animaux, eux, ne font pas de discrimination...

Le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) soutient actuellement deux projets de recherche. L'été dernier, l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) a donné son aval à Enterra, une entreprise de Vancouver spécialisée dans la production d'une moulée d'insectes destinée aux poissons et aux poulets à griller. Le projet pourrait ouvrir la voie à d'autres initiatives semblables, comme celle de l'entreprise montréalaise Larvatria, qui souhaite remplacer la farine de poisson avec son produit à base de larves de mouches domestiques.

POUR S'INITIER

Les entreprises uKa protéine et Naak produisent des barres protéinées destinées aux sportifs. La Québécoise Wilder & Harrier se lance dans les gâteries pour chiens, tandis que Gourmex fait l'importation de gourmandises entomophagiques pour leurs maîtres. « On peut facilement intégrer une farine d'insectes à une recette dans un ratio de 10 à 20 % », suggère aussi le chef Jean-Louis Thémis, qui est l'auteur du livre Des insectes à croquer. On en trouve sur le site de la ferme ontarienne Entomo Farms.

L'Insectarium reçoit chaque semaine des demandes de personnes qui sont à la recherche de produits contenant des insectes, note sa directrice. Après plus de 10 ans d'absence, le musée montréalais reviendra avec l'événement Croque-insectes tout l'été.

>>> Visitez le site de l'Insectarium

Photo Érik Ayala Bribiesca

Les insectes sont riches en protéines, moins gras que les viandes et sont une source de fer, de zinc et calcium.

LA VIANDE ARTIFICIELLE, NOURRITURE DE L'AVENIR ?

« La consommation de viande synthétique serait le bonheur sur terre ! », s'exclame Michel Leboeuf. Or, il est le premier à le reconnaître : ce n'est pas demain la veille qu'on verra de la viande cultivée en laboratoire dans les rayons des épiceries. Oui, un chercheur de l'Université de Maastricht, aux Pays-Bas, a bien fait pousser une galette de steak haché qui a été dégustée en hamburger en 2013, mais il a fallu deux ans pour la produire. Détail d'importance : elle a coûté 343 000 $, selon l'Agence France-Presse.

« On est loin du compte », résume Richard Béliveau, du Laboratoire de médecine moléculaire de l'UQAM. Il souligne notamment que la viande in vitro est « encore loin de ce qu'est une viande ». Ce qu'on appelle « viande » est en effet une matière organique complexe faite entre autres de tissus musculaires, de vaisseaux sanguins, de tissus interstitiels et cartilagineux. « Ramener la viande à une culture musculaire, c'est un peu réducteur », juge-t-il.

New Harvest, organisation américaine qui stimule et finance la recherche sur l'agriculture cellulaire, estime aussi qu'on est encore loin de pouvoir cultiver un steak - pas avant au moins une décennie. Or, ses activités ne se concentrent pas seulement sur la viande : le lait, les oeufs et même la soie cultivée en laboratoire sont aussi parmi les produits qu'elle a dans sa ligne de mire. New Harvest avance d'ailleurs qu'on pourrait bien trouver du lait et des oeufs issus de l'agriculture cellulaire au supermarché d'ici quelques années.

L'avantage de la viande in vitro, c'est que sa culture offre en principe un « contrôle absolu » du produit, dit toutefois Richard Béliveau. « Il y a un potentiel de créer une viande plus saine, avec plus d'oméga-3 », croit d'ailleurs Aruna Antonella Handa, qui, avec son entreprise Alimentary Initiatives, observe les tendances culinaires de l'avenir.

« En termes de consommation d'énergie, la viande in vitro, c'est beaucoup plus efficace que d'élever un boeuf dont on va jeter le tiers. »

- Aruna Antonella Handa

Richard Béliveau se méfie néanmoins de la viande de synthèse. « C'est l'illustration de l'industrialisation extrême de l'alimentation, dit-il. On est loin de la nature. » Michel Leboeuf a déjà songé à cette objection. « Les procédés industriels de production sont tout aussi déconnectés de la nature, avec ces poules et ces porcs engraissés dans des cases minuscules, privés de soleil, de verdure et de grand air », écrit-il dans Homo Carnivorus.

« N'industrialisez pas votre alimentation. Restez près du naturel, près du plaisir », insiste le directeur du Laboratoire de médecine moléculaire de l'UQAM. Il rappelle, en citant l'exemple des gras trans, que certaines innovations alimentaires s'avèrent finalement néfastes pour la santé humaine. « Est-ce qu'on va vivre la même chose avec la viande in vitro ? se demande-t-il. Moi, ça ne m'intéresse pas, que l'humanité serve de cobaye aux industriels. »

GRUGER DU RONGEUR ?

« Les plus petits animaux feront sans doute partie de la nourriture de l'avenir parce que l'agriculture urbaine fera partie de l'alimentation de l'avenir », prévoit Aruna Antonella Handa, d'Alimentary Initiatives, en nommant le cochon d'Inde, déjà prisé au Pérou. Laura Shine, de l'Université Concordia, croit aussi qu'on va consommer « de petits rongeurs qui ont un métabolisme plus rapide qui fait en sorte qu'ils peuvent se reproduire plus rapidement ». Comme le rat musqué, l'écureuil ou le lapin.

Photo David Parry, archives LA PRESSE CANADIENNE