Quand Lucie Forcier et Pierre Lazure ont acheté une belle maison de campagne, en 2009, ils avaient en tête d'utiliser la terre incluse dans la vente lorsqu'ils prendraient leur retraite.

Quatre ans plus tard, coup du destin: Lucie se retrouve sans emploi après 26 ans dans la même entreprise.

D'autres auraient été découragés de se retrouver ainsi sans emploi. Lucie Forcier a plutôt vu dans tout ce temps retrouvé l'occasion de cultiver la terre avant la retraite.

«On avait une belle preuve de concept dans le jardin derrière la maison», dit Pierre, son expression trahissant du même coup son métier d'informaticien.

Le couple y faisait pousser de l'ail avec succès, si bien qu'il a exporté la culture de l'autre côté de la route, sur une terre qui n'avait pas été cultivée depuis un quart de siècle. «On a quatre enfants, on est tous les deux gestionnaires en informatique, on est habitués d'être occupés», dit Lucie Forcier.

Trois ans plus tard, la production d'Ail Bercail est passée de 300 à 15 000 bulbes.

«Ils ont une patience d'ange», dit d'eux leur voisin cultivateur Paul qui, à son tour, récolte les éloges du couple pour l'aide qu'il leur fournit. L'automne, au moment de planter, tout se fait à la main. Même chose pour le désherbage lorsque les tiges sortent au début de l'été.

Une plante exigeante

Avec 200 000 bulbes produits chaque année, Édith Lachapelle est l'une des productrices les plus prolifiques de la province. Elle cultive dans Lanaudière depuis 17 ans, résultat d'une «passion de jouer dehors». Son entreprise s'appelle À Fleur de pot. 

L'ail du Québec est de plus en plus connu, dit-elle, si bien que l'offre devra s'efforcer de suivre la demande. 

«Ne devient pas producteur d'ail qui veut. Ça prend beaucoup de persévérance avec l'ail. C'est une plante qui est exigeante. Tout est fait à la main.»

Plus d'une centaine de producteurs d'ail du Québec sont regroupés depuis trois ans dans l'association Ail Québec, dont l'un des objectifs est de montrer que l'ail d'ici a des avantages par rapport à l'ail importé de Chine, d'Argentine ou d'Espagne. On insiste notamment sur le fait que bien des producteurs québécois sont certifiés ou visent la certification biologique.

Un produit frais

Les avantages de l'ail du Québec par rapport à l'ail de la Chine, Édith Lachapelle les répète inlassablement depuis près d'une vingtaine d'années.

«Je dis souvent que l'ail de Chine, souvent mou et déjà germé, est mort quand il arrive chez nous. Ça ne se compare en rien avec l'ail du Québec. Juste à l'odeur, on s'en rend compte», dit-elle.

L'ail du Québec étant plus digestible, plus goûteux, plus dense, il n'y aurait donc que sur le plan financier que l'ail de Chine l'emporterait, puisqu'il se vend moins cher au supermarché.

L'argument irrite Édith Lachapelle. 

«Un sachet qui renferme quatre bulbes d'ail de Chine est plus léger qu'une seule tige d'ail du Québec... Faut le répéter: quand tu manges ce que ton voisin fait, tu sais comment c'est fait...»

À savoir: même produit au Québec, le bulbe d'ail peut réserver des surprises. «L'ail est beaucoup plus fragile qu'une pomme, dit l'agricultrice. Il y a tellement de peau que tout est caché à l'intérieur, donc une gousse peut sembler belle, mais elle est vide à l'intérieur.»

PHOTO FRANCOIS ROY LA PRESSE

Le champ d'Ail Bercail.

De la fleur aux gousses

Tant chez Ail Bercail que chez À Fleur de pot, c'est la variété Music, qui résiste bien au climat québécois, qui est cultivée. «C'est un ail dont la tige est dure et qui produit au maximum quatre ou cinq caïeux», explique Édith Lachapelle.

L'ail est plus complexe qu'il ne le donne à penser. En plus du bulbe, qui se terre bien au frais jusqu'à la récolte au milieu de l'été, sa tige, appelée la fleur d'ail, se mange dès le début de la saison estivale. Deux petits tours sur elle-même suffisent à savoir qu'elle est prête à être mangée. Un secret encore assez bien gardé.

«Quand on a fait notre premier kiosque, en juin 2014, on vendait seulement de la fleur d'ail! On avait juste ça à offrir, on se demandait comment on allait vendre ça...», se souvient Lucie Forcier. Et pourtant, à force d'explications sur l'art de l'apprêter, tout est parti.

Une fois que la fleur d'ail est coupée, cela favorise le développement d'un bulbe plus gros, qui sera recueilli environ un mois plus tard. On le fait sécher quelques semaines, puis l'ail du Québec se retrouve sur les étals des marchés au plus tard en août.

Dans leur champ qui borde la rivière Yamaska, Lucie Forcier et Pierre Lazure regardent leurs plants avec une fierté certaine. L'été et l'automne s'annoncent occupés. Lucie a recommencé à travailler, et tous leurs temps libres des prochains mois seront consacrés à cultiver l'ail.

À voix haute, Pierre Lazure se projette dans l'avenir. «Le but, c'est de se tenir en forme, puis d'arriver à se payer un petit luxe, un ou deux voyages l'hiver...» Lucie Forcier coupe court à la rêverie. «On n'est pas rendus là!» Qu'importe si les voyages viennent beaucoup plus tard, pour l'instant l'ail, c'est leur «bonheur».

Photo François Roy, La Presse