L'une, Reine Sammut, est l'une des toques françaises depuis quarante ans, la seconde, Nadia Sammut, est chimiste de formation. Mère et fille sont aux fourneaux de l'auberge de la Fenière, à Lourmarin, dans le sud-est de la France, un restaurant 100% sans gluten étoilé au Michelin, une rareté dans le paysage de la haute gastronomie mondiale.

Très jeune, Nadia a développé une allergie au gluten et au lactose. Mais «il y a 35 ans, les médecins ne connaissaient pas la maladie coeliaque», raconte-t-elle. Sa croissance en est retardée. A 29 ans, elle est hospitalisée. «Les médecins m'ont dit que j'avais détruit mon système immunitaire, j'étais au paroxysme de la maladie». Nadia restera alitée deux ans avant de découvrir le secret de la maladie, le gluten.

Passionnée par la chimie, sa formation d'origine, et la gastronomie, Nadia a trouvé en sa mère, Reine, une alliée enthousiaste qui a vite fait de troquer les produits classiques pour le «sans gluten».

«Les produits de base ne sont pas si simples à trouver. Mais Nadia déniche tout, je n'ai plus qu'à tester» à partir des expériences qu'elle mène, précise Reine.

Le restaurant la Fenière, une étoile au guide Michelin, est devenu le premier établissement gastronomique 100% «sans gluten» en France.

«J'ai remplacé la gastronomie avec gluten par de la gastronomie sans gluten», explique Reine, «et tout le monde adhère». Les clients, dont beaucoup suivent des cours particuliers d'initiation, «sont passés de l'un à l'autre sans s'en rendre compte», assure la chef, dont le restaurant présente «un menu à 55 euros au lieu de 110, pour que les gens testent».

«C'est un projet que j'ai hissé (...) pour que tout le monde puisse manger à la même table», résume Nadia qui s'est lancée dans la formation au sans gluten de chefs prestigieux à travers le monde, mais aussi dans des centres de formation d'apprentis cuisiniers pour les sensibiliser à la problématique allergène, à la sécurité alimentaire et à la traçabilité, en développant notamment «l'institut de la cuisine libre».

Un Paris-Brest revisité

La traçabilité, explique Nadia, c'est avant tout le choix de «produits exceptionnels» de producteurs, triés sur le volet, comme ce riziculteur camarguais qui fait pousser du riz sans pesticide en faisant manger les mauvaises herbes par des canards. La viande de porc vient elle d'un éleveur de la région, dans le nord Luberon, qui nourrit ses cochons aux pois chiches. Quant au poisson, il vient de Martigues, près de Marseille, et «s'il n'y a pas de pêche, il n'y a pas de poisson» au menu.

Parmi les plats maison, la truffe en croûte de pâte fut une gageure. Pour la pâte feuilletée, réputée «impossible à faire sans gluten», Nadia a inventé une pâte avec deux farines, châtaigne et quinoa.

Le dessert phare est le «Paris-Lourmarin», un Paris-Brest (pâtisserie française en forme de couronne avec de la pâte à choux fourrée, NDLR) revisité à base de farine de courge et jus d'amande.

Le pain, évidemment sans gluten, est confectionné dans des pots de terre, reprenant une méthode ancestrale de cuisson. «Je suis passionnée par la panification, poursuit Nadia. Je suis retournée à l'époque égyptienne. Ils étaient cuits sur la pierre. Et à l'époque, les farines étaient pauvres en gluten. C'est ensuite qu'il a été rajouté, notamment dans les miches et baguettes, pour les faire gonfler».

Quant à l'effet de mode du sans gluten, les deux chefs sont conscientes qu'«il existe. Mais pour nous, c'est une conscience active. On doit savoir ce qu'on mange, l'assiette c'est le volant qui contrôle la vie», affirme Nadia.