Le retour aux ingrédients locaux et saisonniers a poussé les chefs à être délicieusement débrouillards. Ça tombe bien. Quand le céleri et le brocoli deviennent hors de prix, on se tourne vers les carottes et le rutabaga. Astuces de chefs pour cuisiner les légumes d'hiver avec créativité.

Retour aux racines hivernales

Déjà tanné des carottes, panais, betteraves, choux, céleris-raves et rutabagas ? Imaginez les chefs qui insistent pour cuisiner exclusivement avec des ingrédients locaux ! Par chance, ces « créatifs » ont créé de nouvelles recettes pour requinquer les légumes d'hiver. L'austérité de la nature en hibernation est ainsi transcendée par leur infinie créativité.

Au Lili.Co, David Pellizzari prépare un caramel de carottes, qu'il sert avec une crêpe de sarrasin farcie aux endives et au bleu. Chez M.Mme, Stelio Perombelon met du panais dans son gâteau servi avec crémeux au chocolat blanc et ajoute des champignons candy cap déshydratés dans ses profiteroles. Chez Larrys (petit frère du Lawrence), Marc Cohen touille ses légumes racines avec une anchoïade. Au nouveau Hoogan et Beaufort, Marc-André Jetté s'amuse à faire « brûler » des carottes et des oignons dans le four à bois.

« L'idée, c'est de ne pas faire que des légumes racines rôtis », lance John Winter Russell, un des nouveaux visages de la cuisine locale québécoise, dans son restaurant Candide. C'est d'ailleurs sa délicate « dentelle » de chou - un chip fait à partir de jus de chou rouge ou de chou noir - qui nous a donné l'idée de ce reportage.

« En utilisant toutes sortes de petites techniques que nous avons à notre disposition, il est possible de faire du nouveau avec des ingrédients assez communs », dit-il.

Pour « rendre ça bon », justement, John Winter Russell fait d'abord griller ses tranches de rutabaga, ce qui accentue ses notes caramélisées tout en atténuant son côté sulfureux. Il termine ensuite la cuisson au four.

Depuis son ouverture il y a bientôt deux ans, le Manitoba s'est donné la contrainte de travailler quasi exclusivement avec des ingrédients du Québec, dont bon nombre de plantes sauvages. Mais l'hiver, le pourcentage de légumes locaux au menu baisse à 50-70 %, admet Michael Dalla Libera, en poste dans la cuisine depuis l'automne dernier. « Et on est chanceux d'avoir Société-Orignal, sinon on aurait difficilement accès à des produits locaux à ce temps-ci de l'année », lance le chef, tout en tâtant un gros sac de rutabagas, qui devrait lui durer jusqu'au printemps. C'est sans compter un incendie mineur qui a obligé le restaurant à annuler sa Saint-Valentin dimanche dernier et à fermer pendant quelques jours.

Au menu du Manitoba récemment, on trouvait un plat principal végétalien composé de carottes braisées (sous vide) dans l'huile de tournesol, servies avec une demi-glace de légumes et une purée de betteraves, mais aussi des accompagnements de chou en purée, de céleri-rave, de topinambours et d'ail noir, par exemple.

Puisqu'il est arrivé au Manitoba à la fin des récoltes, Dalla Libera n'a pas eu le temps de faire beaucoup de réserves pour l'hiver, bien que sa poudre de maïs, ses cendres de poireaux, ses champignons déshydratés et ses cornichons de piments soient exceptionnels.

« Je viens d'une famille italienne de fermiers, chasseurs, cueilleurs, raconte l'ancien du Nora Gray. J'essaie souvent d'imaginer comment je cuisinerais si je n'avais pas accès à l'épicerie. J'utilise des techniques anciennes. J'essaie de faire le plus de transformation possible. Je vais me reprendre à l'été ! »

Des cultures à développer

Des légumes racines, on pourrait en avoir beaucoup plus au Québec, et des moins usités, comme le salsifis, le tubercule de dahlia, les patates en chapelet, le persil racine, les radis d'hiver (melon, noir, etc.), etc., croit Alex Cruz, cofondateur de Société-Orignal. Les 400 lb de salsifis que le distributeur a réussi à obtenir cet hiver se sont envolées en deux semaines.

« Ça leur prendrait un soutien gouvernemental, une sorte de garantie pour mauvaises récoltes pendant les premières années », poursuit le passionné défenseur d'une agriculture québécoise « à dimension humaine ».

Alexandre Faille, lui, connaît le bonheur d'avoir carte blanche pour faire pousser des légumes d'hiver dans les jardins du restaurant Panache de l'Auberge Saint-Antoine, à Québec. En 2014-2015, il a testé les carottes de glace, le panais, le persil racine, le salsifis et la scorsonère. « Je plante pendant l'été, puis je récolte vers la fin octobre. Après, comme je n'ai pas de caveau pour les conserver, j'entrepose les légumes dans un trou que j'ai creusé dans la terre, avec du sable, de la paille et une bâche par-dessus », explique le jardinier du Panache.

Par chance, d'autres petites fermes familiales avec un penchant pour l'expérimental, comme la Ferme des Monts, dans Charlevoix, puis des grossistes comme Les Vallons maraîchers mettent suffisamment de légumes racines de côté pour permettre aux chefs de tenir jusqu'aux premières asperges !

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

«En utilisant toutes sortes de petites techniques que nous avons à notre disposition, il est possible de faire du nouveau avec des ingrédients assez communs», affirme John Winter Russell, chef du restaurant Candide.

Des idées pour...

Comment préparer des mets originaux avec des légumes d'hiver ? Voici quelques pistes qui vous permettront de redécouvrir racines et autres tubercules, et de ne pas vous en lasser.

Les carottes



La carotte dans le premier rôle ? Pourquoi pas ! Si vous avez regardé la série Chef's Tablesur Netflix, vous avez entendu Dan Barber parler de son steak de carottes, accompagné d'une sauce à la viande. Sur le site Epicurious.com, on explique comment faire cuire des carottes comme un steak, d'après une recette de Christian Puglisi, chef du Relae, à Copenhague.

Lisez la recette sur Epicurious.com (en anglais).

Le chou

Oubliez le cigare au chou farci à la viande hachée et inspirez-vous de celui d'Emma Cardarelli, au Nora Gray, avec viande braisée et pommes de terre croustillantes au safran. Au restaurant Le coq de l'Est, nous avons même goûté à un chou d'inspiration pakistanaise, farci au riz biryani.

Le panais

Louis Pacquelin, chef du Panache, roule ses panais dans l'huile d'olive avec de l'ail et du poivre des dunes. Il les fait rôtir au four tout doucement, pour concentrer les sucres. « Il y a de la perte sur le légume, puisque l'extérieur est séché et, à moins de vouloir en faire une purée rustique, on s'en débarrasse. Sinon, on sert ça tout simplement, en morceaux dans l'assiette. »

Les épluchures

On peut faire de délicieux fonds avec les chutes et épluchures des légumes d'hiver (carottes, panais, courges d'hiver, rutabagas, etc.). Après, il suffit d'ajouter des petits cubes de ces légumes dans le bouillon pour faire une minestrone d'hiver, suggère Louis Pacquelin. Le jeune chef du Panache fait même un caramel avec ses pelures de courges d'hiver, auxquelles il donne un goût « viandeux » en les faisant fumer.