De toutes les cuisines régionales chinoises, la cantonaise est la plus connue des Québécois. Mais connaissons-nous la « vraie de vraie » cuisine cantonaise ? Nous posons la question à la veille de Montréal en lumière, qui a invité quatre chefs de Shenzhen, aujourd'hui l'une des villes les plus importantes de la province de Guangdong (Canton).

«Manger à Guangzhou»

La cuisine cantonaise est vaste et difficile à définir en quelques paragraphes. Malgré son important rayonnement, elle n'est, de surcroît, que l'une des huit grandes cuisines de Chine, sans oublier toutes les variations régionales. Portrait.

Bien que nombre d'Occidentaux ET de Chinois lui préfèrent aujourd'hui la cuisine plus épicée (comme la sichuanaise), la cuisine cantonaise est historiquement considérée comme la meilleure du pays. De là le fameux dicton chinois : « Il faut naître à Suzhou, manger à Guangzhou (Canton), vivre à Hangzhou et mourir à Liuzhou. »

Jeu de textures (mou, croustillant, caoutchouteux, gélatineux, etc.), de méthodes de cuisson (vapeur, friture, sauté, braisé, mijoté, etc.) et de goûts (sucré, salé, amer, acidulé, parfois piquant), c'est une cuisine complexe, développée entre autres pour atteindre un équilibre, une certaine harmonie entre le yin et le yang.

En cuisine cantonaise, on évite de masquer les ingrédients de base avec beaucoup d'herbes et d'épices. Certains diront qu'elle est un peu fade. « Pas beaucoup de goût », affirme Liu Li, directrice adjointe de la restauration au Holiday Inn du quartier chinois. La jeune femme vient du nord et préfère les plats plus épicés.

Accessibilité à la vraie cuisine cantonaise

Chose certaine, lorsqu'elle est exécutée dans les règles de l'art et dans toute sa variété, la cuisine cantonaise est loin d'être banale et ennuyeuse. Mais avons-nous accès à cet authentique art culinaire millénaire au Québec ?

« Allez dans un restaurant à dim sum un dimanche après-midi, vers 14 h 30. À cette heure-là, toute la brigade de cuisine s'assoit pour manger. Regardez ce qu'il y a dans leurs assiettes. Vous verrez qu'ils ne mangent pas du tout le même genre de plats que vous ! », suggère Normand Laprise, pour illustrer à quel point les restaurants cantonais fonctionnent encore à deux vitesses, dans la métropole.

Au restaurant Chez Chine, dans le Holiday Inn du quartier chinois, Liu Li n'y va pas par quatre chemins : les Québécois n'ont tout simplement pas le palais pour manger certaines spécialités chinoises.

En effet, lorsqu'on regarde le menu du Shangri-La de Shenzhen, où officie le président d'honneur du festival, Anthony Dong, on aurait tendance à comprendre pourquoi. Soupe aux pattes de poulet et crocodile, tête de poisson braisée, oreille de mer (abalone), méduse, etc., sont quelques-unes des spécialités qui se retrouvent sur les tables du Shang Garden. 

Prenez aussi le concombre de mer. Cet animal marin est abondant au large de la Gaspésie, mais personne n'ose l'apprêter et encore moins le manger ici. Le Québec en exporte donc la majorité en Chine.

Cela dit, lorsqu'on voit des images des miracles qu'ils réussissent à concocter avec des intestins d'oies, on ne s'étonne plus d'entendre dire que la cuisine de la province de Guangdong (Canton) est la meilleure des huit traditions culinaires de Chine, voire l'une des meilleures au monde.

Bref, si les Chinois sous-estiment les goûts des Nord-Américains, ces derniers ont peut-être levé le nez une fois de trop sur ceux des Chinois.

Il faut dire que les expatriés chinois ont aussi toujours su s'adapter aux goûts de leurs hôtes.

« La cuisine chinoise est la plus omniprésente au monde. Elle est servie sur les sept continents, même en Antarctique ! » raconte la journaliste américaine Jennifer 8. Lee, dans sa conférence Ted intitulée : The Hunt for General Tso. Chaque pays a sa version de la cuisine chinoise : en France on fait des cuisses de grenouilles sel et poivre, en Louisiane on propose de l'alligator sichuanais, en Italie on sert du gelato frit. Il y a des « mets chinois » jamaïcains, mexicains, brésiliens, japonais, espagnols, etc.

Le chef Jean Chen, communicateur et auteur de livres de recettes, constate néanmoins que les choses ont beaucoup évolué depuis son arrivée au Québec, en 1970.

« Vous vous souvenez de l'époque où l'on ne mangeait que du riz frit au poulet, des egg rolls, du poulet à l'ananas et toutes sortes de préparations aigres-douces ? Eh bien ! on n'en retrouve plus autant, du moins dans les grandes villes. Tiki Ming n'est plus la référence en matière de cuisine chinoise. Ce qu'on mange dans les restaurants cantonais de Montréal est plus authentique que jamais. Les Québécois se sont beaucoup ouverts. »

Reste que plusieurs d'entre nous sourcilleraient sûrement devant certaines préparations plus « exotiques ». 

« En Chine, on mange tout, tout, tout : la tête, le cou, les tripes, etc. On ne jette rien », raconte Normand Laprise, qui a eu l'occasion de visiter la République populaire à quelques reprises. Et nous, Occidentaux, qui nous vantons aujourd'hui d'avoir recommencé à pratiquer la cuisine "du museau à la queue". Les Chinois ont une longueur d'avance ! »

Un défi de logistique

Shenzhen a été élue « Grande ville à l'honneur » de Montréal en lumière au lendemain de la mission commerciale du maire Denis Coderre en Chine. Située tout juste au nord de Hong Kong, avec un climat presque tropical, c'est une ville jeune qui a grandi très vite et qui représente bien la Chine actuelle. Mais Chine actuelle n'est pas nécessairement synonyme de Chine accessible.

« Les Chinois ne sont pas les gens les plus communicatifs ni les plus expansifs au monde, explique Laurent Saulnier, vice-président à la programmation et production de l'Équipe Spectra. Il fallait trouver des chefs qui parlent anglais, qui pourront échanger avec leurs hôtes québécois. Nous avons donc choisi des chefs de grands hôtels, souvent plus ouverts sur le monde. »

En Chine, du reste, les restaurants d'hôtels sont souvent ceux qui servent la cuisine la plus raffinée.

Entre les chefs montréalais et leur contrepartie chinoise, les échanges ont commencé. Des menus, des listes d'ingrédients circulent, mais les ingrédients ne sont pas toujours faciles à trouver. Il faut penser à des substitutions.

« Heureusement, à la Brasserie T !, j'ai un employé qui parle cantonais et un autre qui parle mandarin. Le chef que je reçois, Scott Xu, m'a demandé une sorte de volatile pour faire une soupe. Après des recherches, j'ai compris que c'était un canard qui a la grosseur d'une caille. Il faudra que je trouve un équivalent ! », indique M. Laprise.

Alors que retrouverons-nous dans nos bols et dans nos assiettes lors des quatre repas cantonais de Montréal en lumière ? Le mystère reste entier !

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le dim sum est un repas composé d'une variété des mets en petites portions qui se prend le midi. 

Cantonais ou pas?

Les biscuits de fortune

Non

Il aurait été inventé par les Japonais, popularisé par les Chinois et est consommé surtout par les Américains. La journaliste américaine Jennifer 8. Lee explore d'ailleurs l'histoire du biscuit chinois dans son livre The Fortune Cookie Chronicles.

Les pattes de poulet

Oui

Elles sont d'abord frites, puis mijotées dans une sauce bien parfumée. Leur texture est tendre et plutôt spongieuse. On les mange en croquant dans une patte puis en recrachant les petits os.

Le poulet du général Tao

Non

Tso Tsung-tang ou Zuo Zongtang (1812-1885) était un général de la dynastie Qing, originaire du Hunan, qui est venu à bout de la révolte des Taiping, l'un des conflits les plus meurtriers de l'histoire. Son lien avec le plat qui porte son nom n'est qu'honorifique. La recette aurait été créée dans les années 50 par le chef Peng Jia, originaire du Hunan comme le général, mais exilé à Taiwan. En Amérique, le poulet du général Tao (ou Tso) est passé de plat épicé à plat plutôt sucré, que le chef lui-même ne reconnaît plus aujourd'hui !

Le chop suey

Oui et non

Les origines lointaines du chop suey, qui signifie « mélange de morceaux », nous mènent à Taishan, une ville côtière au sud de Canton. La recette aurait voyagé dans l'Ouest américain avec les immigrants cantonais, puis serait apparue sur la côte Est (New York, Boston) lorsque les travailleurs des chemins de fer ont fui les violences raciales à l'autre bout du pays. La version d'origine du « mijoté » comportait des abats et du poisson. Elle s'est adaptée au fil du temps pour plaire aux palais américains.

Dim sum

Oui

Les premières maisons de dim sum ont vu le jour dans la province de Canton. Les petites bouchées étaient autrefois conçues pour accompagner le thé. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Le dim sum est tout à fait intégré dans la vie des Cantonais et des Hongkongais, qui le prennent en famille ou entre amis le midi ou le week-end. À Montréal en lumière, les restaurants Lili.Co et Ikanos feront un clin d'oeil au dim sum.

PHOTO THINKSTOCK

Dim sum

Où goûter la cuisine cantonaise à Montréal

À Montréal en lumière

Quatre restaurants accueillent des chefs de Shenzhen pendant le festival. L'Europea reçoit Mark Wu dans ses cuisines les 23 et 24 février. Au Toqué !, on cède les fourneaux à Scott Xu, les 24 et 25 février. Ruitian Yu s'installe au Chez Chine, restaurant du Holiday Inn centre-ville, les 26 et 27 février. Mêmes dates au Renoir, dans l'hôtel Sofitel, où officiera le président d'honneur du volet gastronomique, Anthony Dong. Dans tous les cas, malgré les substitutions d'ingrédients, ce seront sans doute les repas cantonais les plus actuels qu'on puisse goûter à Montréal.

Visitez le site de Montréal en lumière.

Chez Chine, Holiday Inn Centre-Ville

L'hôtel a été rénové de fond en comble sous la nouvelle administration. Nous y sommes allés récemment prendre le dim sum (tous les midis, de 11 h 30 à 14 h) et il était très bon, plus fin que dans bien des restaurants du quartier chinois. La piscine de carpes, les passerelles et la pagode ajoutent au dépaysement. Le restaurant est aussi ouvert le soir, avec un menu plus élaboré de plats cantonais, sichuanais, etc.

999, rue Saint-Urbain, Montréal

Visitez le site.

À La Maison Kam Fung, Montréal et Brossard

Pour vivre l'expérience d'une grande salle à manger ouverte et animée, c'est la place ! Jean Chen, qui habite à Brossard, nous avait donné rendez-vous au Kam Fung du boulevard Taschereau. Nous y avons mangé de bons plats sans chichis, dont le meilleur (pour nos palais de Québécois !) était sans doute celui de crevettes aux zestes d'orange.

7209, boulevard Taschereau, local 111, Brossard

1111, rue Saint-Urbain, Montréal

Keung Kee et Chez Maxim Oriental

Ce sont les deux restaurants cantonais du quartier chinois que Jean Chen a le plus fréquentés, même si aujourd'hui, il préfère de loin cuisiner chez lui tout en peaufinant son cinquième livre de recettes !

Keung Kee: 70, rue de la Gauchetière Ouest

Chez Maxim Oriental: 1059, boulevard Saint-Laurent

PHOTO FOURNIE PAR SHANG GARDEN

Les gâteaux de rix aux huit trésors du chef Anthony Dong.