Arrivé au Canada en 1998 pour étudier à l'Université Laval, où il a obtenu un MBA en gestion internationale, Youri Mourog parle un français très châtié, qu'il a appris au Bélarus, son pays natal. Ses parents, Vassil et Iryna, tous deux chirurgiens, sont venus le rejoindre à Montréal en 2010, lorsqu'ils ont pris leur retraite.

République du Bélarus (ou Biélorussie)

Superficie : 207 600 km2

Population : 9,4 millions d'habitants

Capitale : Minsk

Nombre de personnes d'origine bélarusse au Canada : 8050 (recensement de 2011)

Dans l'appartement des Mourog, la table est dressée avec soin pour ce Noël anticipé qu'ils ont accepté de partager avec nous : éclatants napperons rouges et somptueuse nappe de lin blanc tissée main (rouge et blanc, couleurs du drapeau bélarusse), rutilants couverts d'argent, jolis verres de cristal à bordure dorée.

À un bout de la table, deux poupées de paille remplacent le foin que l'on plaçait autrefois sous la nappe pour rappeler la crèche de l'enfant Jésus, mais aussi (et surtout ?) pour s'assurer de bonnes récoltes à la saison prochaine.

« Les gens fêtaient le solstice d'hiver bien avant que la chrétienté ne récupère ces rituels à son profit, explique Youri. Beaucoup de nos rites religieux ont des origines païennes. » C'est peut-être ce qui fait qu'ils ont survécu malgré la chape du communisme, qui décourageait toute manifestation religieuse...

En tout cas, au Bélarus, les Fêtes, c'est du sérieux ! Après 40 jours de carême, il est temps de faire bombance, de célébrer le retour de la lumière et de conjurer le malin. « Plus il y a la fête, plus le mal s'en va loin de la maison », explique Youri.

Mais on ne fête pas n'importe comment ! Avant toute chose, le 25 décembre, on sert le premier de trois koutia (un entremets à base de grain, généralement de l'orge). Il est additionné de miel et de fruits secs pour rompre le jeûne et commencer la fête en douceur.

On servira le deuxième koutia le 1er janvier, et l'orge sera cette fois mêlé à de la viande et à du bouillon gras, à l'image du festin qui s'annonce.

Le troisième koutia est servi le 7 janvier, et l'orge n'est plus agrémenté que de sel. « Là, ça veut dire qu'on a tout bouffé, qu'il n'y a vraiment plus rien à manger ! dit Youri en riant. On dépose les restes dehors pour les partager avec les dieux du froid. »

Et pour s'assurer que le malin, qu'on a mis tant d'effort à chasser, ne reviendra pas, le père de famille fait le tour de la demeure pour tracer des croix à la craie au-dessus des portes et des fenêtres.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Youri Mourog (au centre) avec ses parents, Iryna et Vassil.

RIPAILLE ET BOMBANCE

Entre les trois koutia symboliques, les tables bélarusses se chargent d'un nombre incalculable de plats. « Il y a beaucoup de viande, de saucisses, de ragoûts et, bien sûr, de patates. On surnomme les Bélarusses les mangeurs de pomme de terre, ce n'est pas pour rien ! C'est une cuisine du Nord, un peu comme au Québec. Mais de toutes les cuisines "viande-patates" d'Europe de l'Est, la bélarusse est sans doute la meilleure ! », dit Youri. 

On en veut pour preuve la paliandvitsa, étonnante et délectable rencontre entre le smoked meat et le prosciutto. C'est une longe de porc longuement marinée dans le sel et les épices, puis séchée à l'air libre pendant trois semaines. Iryna et Vassil la préparent chaque année en prévision des Fêtes. Tranchée mince, rosée, tendre et fondante, la viande est servie en apéro, accompagnée de vodka ou d'une eau-de-vie amère aux herbes (un « balsam ») que l'on boit cul sec. « Il ne faut pas que l'alcool reste dans la bouche. Il doit descendre directement dans l'estomac pour l'ouvrir », explique Youri en joignant le geste à la parole.

Comme ça, il y aura de la place pour la suite, en l'occurrence le bulba w garshtchotchkah - littéralement : « patates au pot ». Comme son nom l'indique, c'est un plat de pommes de terre, mais pas seulement. On y met de l'oignon, des champignons sauvages, des aromates et de la viande de porc et de boeuf. Iryna fait soigneusement sauter séparément les ingrédients avant de les répartir dans de jolies cassolettes individuelles en terre vernissée. Couronné de crème sure et longuement mijoté au four, c'est le genre de plat qui console, réjouit, rassure et rassasie. Au moment de déguster, il faut tout bien mélanger à la cuiller. La crème sure répand son onctuosité, les pommes de terre fondent, la viande se défait, les champignons dégagent leur arôme... Du bonheur en pot.

Smatchna yéstsi ! (Bon appétit !)

Paliandvitsa

INGRÉDIENTS

1 longe de porc

2-3 c. à soupe de gros sel

Au goût, mais en bonne quantité : graines de cumin, de carvi, de coriandre et d'aneth, baies de genièvre, poivre noir moulu, feuilles de laurier émiettées.

PRÉPARATION

1. Frotter la viande avec le sel et la couvrir d'aromates en quantité. Déposer dans un contenant de verre, couvrir d'une étamine ou d'une serviette de lin (pour laisser passer l'air) et laisser macérer deux ou trois jours au frigo en retournant de temps à autre.

2. Retirer la viande du plat, bien l'éponger et la poser sur une étamine. Couvrir la viande d'aromates de tous les côtés, l'envelopper avec l'étamine et la ficeler. Suspendre dans un endroit frais et bien aéré, à l'abri des intempéries, pendant trois semaines (ou plus si on préfère une viande plus sèche).

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La table des Mourog est dressée avec soin, avec ses éclatants napperons rouges et sa somptueuse nappe de lin blanc tissée main.