Le sirop d'érable, on connaît. Les bleuets et les canneberges aussi. Mais détrompez-vous si vous croyez que le terroir québécois n'a plus de surprises pour vous. La Presse vous propose de découvrir cet été quatre trésors gourmands associés au fleuve Saint-Laurent. Premier de quatre: la mye commune, aussi appelée coque.

Qu'on l'appelle coque ou mye commune, tout le monde connaît le mollusque aux Îles de la Madeleine. On apprend à le pêcher avant de savoir écrire son nom, et l'on continue jusqu'à ce que l'on soit en âge de l'oublier. C'est si facile de le pêcher! Et de l'aimer. À condition de ne pas négliger son dessablage...

Il y a deux choses à savoir à propos de la pêche aux coques aux Îles de la Madeleine. Un: elle n'a rien de bucolique. Deux: elle peut vite tourner au carnage.

Rien de bucolique? Pas à première vue, quand on voit débarquer, à marée basse, les pêcheurs avec leur étrange attirail incluant... un siphon de plastique, le même que celui utilisé pour déboucher des toilettes. Pas techno pour deux sous, mais ultraperformant pour déterrer les coquillages enfouis dans le sable des lagunes.

Du coup, quand Jérôme Miousse descend de sa camionnette, on parierait son salaire annuel qu'il est plombier, pas pêcheur. Il n'a pas de filet ni même d'épuisette. Juste de grandes bottes de pluie à bretelles. «Quand j'étais petit, ma mère utilisait une grosse fourche, se souvient le gaillard de 73 ans. Elle la plantait dans le fond de l'eau pour soulever le sable et sortir les coques.»

Maintenant, c'est le siphon qui est le plus utilisé parce qu'il est plus facile à manier. Il suffit de repérer un petit trou dans le sol - un indice qu'il y a de la vie en dessous - et d'y faire, tout près, une vingtaine de coups avec le siphon pour soulever le sable sur une trentaine de centimètres d'épaisseur. Quand l'eau troublée s'éclaircit, il suffit de tendre la main pour cueillir les coquillages dégagés.

Et c'est là que le risque de carnage survient. Enfin, le mot est sans doute trop fort, mais les pêcheurs inexpérimentés - comme nous - auront vite fait de massacrer l'enveloppe de quelques myes s'ils agitent un peu trop vigoureusement le siphon. L'opération est simple, mais elle requiert du doigté. «La coquille des coques n'est pas comme celle des palourdes, elle est beaucoup, beaucoup plus fragile», explique Marina Petitpas, copropriétaire des Trésors de la lagune, une agence qui organise des parties de pêche aux coques pour les touristes aux Îles de la Madeleine. Les myes sont aussi plus petites que les palourdes, et elles sont plus faciles à capturer, car elles vivent près des berges, enfouies assez peu profondément.

Cette pêche se perpétue maintenant depuis des générations, «sans doute depuis que l'homme habite les environs», remarque le professeur Jean-Claude Brêthes, de l'Institut des sciences de la mer de Rimouski). Déjà, en 1920, le frère Marie-Victorin rapportait dans son livre Croquis laurentiens que la récolte des coques était «l'une des plus rudes besognes des Madelinots et des Madelinotes». Jérôme Miousse se rappelle bien que sa mère s'y astreignait pour nourrir ses 17 enfants, recevant 50 cents pour chaque panier de deux gallons de coques, qui servaient ensuite souvent d'appât pour la morue. «Maintenant, on ne les pêche plus pour des raisons de subsistance, mais pour le plaisir de se retrouver en famille ou avec des amis», précise Marina Petitpas. Elle en sait quelque chose: c'est en pêchant des coques qu'elle a rencontré celui qui est devenu son mari et le père de ses deux enfants.

Certains pêcheurs aiment les manger crues, tout juste sorties de l'eau - et donc toujours vivantes - sur un banal craquelin beurré. Elles ressemblent à de petites palourdes royales. On apprécie si on n'est pas dédaigneux - et qu'on aime les huîtres. Quand les dents attaquent la panse du mollusque, un fort goût d'iode envahit la bouche. La chair est à la fois juteuse et légèrement caoutchouteuse. «Ce n'est pas ce que je préfère», avoue Jérôme Miousse.

Cuites, c'est une autre histoire. Les myes se révèlent d'une grande finesse, légèrement plus sucrées et moins coriaces que les palourdes.

L'une des meilleures façons de les apprécier est encore une des plus simples: préparées comme des moules, cuites dans un bouillon au vin blanc et aromates, servies avec des frites maison ou de bonnes pâtes. Elles semblent néanmoins encore plus populaires, aux Îles de la Madeleine, passées dans la friture. Dommage? Pas toujours! Celle préparée avec du panko par les chefs de La table des Roy, aux Îles, est aussi fine que croustillante et réveille à merveille la texture mollassonne du mollusque. On en redemande, à condition, bien sûr, que les myes aient bien été dessablées au minimum trois fois pour ne pas se casser les dents sur des grains de sable!

Où en trouver?

Le meilleur moyen pour trouver des coques est encore de les cueillir soi-même: consultez le site de Pêches et Océans Canada pour connaître les secteurs ouverts à la pêche aux myes récréative disséminés sur tout le littoral du fleuve Saint-Laurent. Les touristes en trouveront dans certains restaurants et poissonneries des Îles de la Madeleine, ou en participant à une excursion en mer comme celles proposées par Les Trésors de la lagune (tresorsdelalagune.com). À Montréal, la poissonnerie Fou des Îles en reçoit sur une base irrégulière, l'été. Téléphonez avant de vous déplacer.

Les dernières évaluations menées par Pêches et Océans Canada confirment une certaine abondance des stocks, grâce à la faiblesse des pêches commerciales. «C'est une activité assez difficile, manuelle, pour laquelle il faut se synchroniser avec les marées», remarque Sylvie Brulotte, biologiste chez Pêches et Océans Canada.

Cela dit, pour assurer le suivi de la ressource, il est formellement interdit de prélever des coques mesurant moins de 51 mm et la pêche récréative est limitée à 300 prises par personne par jour (ce qui permet tout de même de préparer un copieux repas pour une dizaine de convives).

Plus que tout, c'est la pollution du fleuve Saint-Laurent qui menace les myes. Ces organismes filtreurs ingèrent des algues toxiques qui sont susceptibles de provoquer des intoxications chez l'homme, explique Jean-Claude Brêthes, professeur à l'Institut des sciences de la mer de Rimouski. Plusieurs lieux de pêche ont été fermés de manière permanente par Pêches et Océans Canada, et plusieurs autres encore le sont temporairement chaque été lorsque le seuil de contamination rend les mollusques impropres à la consommation.