Sans devenir de proches amis, bon nombre de voisins se donnent volontiers un coup de main. Nous avons rencontré une dizaine de personnes qui donnent sans nécessairement recevoir.

DU TEMPS... ET DE L'INSTINCT



Huguette Gougeon et André Frappier ont le temps. Ce couple à la retraite établi à Rosemère depuis 38 ans constitue les voisins idéaux de Caroline Tremblay, qui habite la maison d'en face avec sa famille.

D'accord, vous avez plus de temps libres que vos voisins, mais qu'est-ce qui vous motive à être si gentils avec Caroline et sa famille ?

Huguette Gougeon : Ce n'est pas parce qu'on a du temps libre qu'on est de bons voisins. On a élevé nos enfants ici, on connaît tout le monde dans la rue, les enfants, les petits-enfants, on se croise tous les jours, on se parle, on se donne des nouvelles et on se donne un coup de main. Avec Caroline, mais avec tous nos voisins. C'est comme ça, c'est tout...

Quel genre de services leur rendez-vous ?

André Frappier : Quand ils partent en vacances, on s'occupe de sortir les bacs, on ramasse le courrier. L'hiver, j'ai une souffleuse à neige, donc j'enlève la neige chez mes voisins d'à côté, ça me fait plaisir. Avant, je faisais l'entrée de plusieurs maisons et je déneigeais des toits, mais là, j'en fais un peu moins. On a déjà appelé la police parce que quelqu'un rôdait autour de leur maison...

Donc, vous faites cela avec tous vos autres voisins ?

André : Absolument. On a une voisine qui a un problème à la colonne, donc, parfois je sors ses ordures. Ce sont des petites choses pour alléger sa tâche. Avant, on promenait les chiens d'autres voisins. Ça nous fait plaisir de les aider si on peut. On a d'ailleurs les clés de plusieurs d'entre eux... On leur a dit qu'on ne les voulait pas, mais ils insistent !

Vous êtes conscients qu'ils ne peuvent pas en faire autant pour vous, non ? Ça ne vous dérange pas ?

Huguette : Nos voisins nous rendent aussi service. Il y a un hiver où André a eu une opération à un genou et moi, des problèmes de dos ; nos voisins nous ont aidés à déblayer la neige. Mais non, ça ne nous dérange pas. On ne calcule pas. On n'aide pas les gens dans un but précis, on le fait de façon instinctive.

Caroline, qui habite le quartier depuis 11 ans, reconnaît sa chance. « On essaie de leur rendre la pareille », dit-elle.

Vous n'êtes pas de proches amis. Vous n'êtes pas de la famille non plus. Comment qualifiez-vous votre relation ?

André : Joyeuse et amicale. Caroline a un défaut, elle sourit tout le temps...

Huguette : C'est une relation d'entraide, mais qui n'est pas du tout intrusive. On se dit bonjour, on échange quelques mots, mais on ne passera pas nécessairement une journée ensemble. On garde notre intimité. [Elle a fondé un comité de résidants pour limiter la circulation automobile dans sa rue. Ça aussi, ça crée des liens.]

Comment envisagez-vous l'avenir ? Pensez-vous déménager un jour ?

André : On n'a pas l'intention de partir. Tranquillement, on fait faire certains travaux qu'on ne peut plus faire. Mais on est bien ici et on s'entend bien avec nos voisins.

Huguette : Quand quelqu'un quitte la rue, ça nous attriste toujours un peu. On a des voisins d'à côté qui sont partis après 17 ou 18 ans et on a eu un deuil à faire.

Même loyauté pour Caroline : « Notre voisinage joue beaucoup sur notre désir de rester. Je ne me vois pas ailleurs. »

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Caroline Tremblay et Huguette Gougeon

UN ANGE DANS LA CAMPAGNE

« Un ange. » C'est le terme choisi par Marjolaine Cloutier pour qualifier Mireille Voisard, voisine de son père Jean, qui s'est éteint l'an dernier. Nous sommes allés à la rencontre de cette « fille extraordinaire », qui vit avec son mari dans le canton de Melbourne, en Estrie.

Au téléphone, Mireille Voisard s'étonne de notre intérêt, encore plus de notre intention de lui rendre visite. « Je n'ai rien fait, je vous assure », se défend-elle. Après qu'on eut insisté et parlé de cette jolie lettre de Marjolaine Cloutier, elle accepte de nous rencontrer. « D'accord. Mais vous n'avez pas peur des chiens, j'espère ? J'en ai deux. »

En fait, ce sont deux molosses qui nous accueillent. Cochise - du nom d'un chef apache - est le doberman fringant marron ; Geisha est le danois gris géant. À eux deux, ils forment le système d'alarme de Mireille et de son conjoint Philippe Trabat, installés à Melbourne depuis 14 ans.

C'est en faisant des travaux manuels chez les Cloutier, qui habitaient à moins de cinq minutes de chez eux, que Philippe a fraternisé avec Jean Cloutier, professeur de communications à la retraite et consultant globe-trotter, fasciné par l'Afrique ; mais aussi avec sa femme Christiane, d'origine alsacienne.

« Un jour, on s'est invités pour l'apéro, se rappelle Mireille, 60 ans, qui travaille au Maxi de Richmond. Il nous racontait ses voyages humanitaires en Afrique, il adorait nos chiens. Lui-même en avait un. Il avait aussi des poules, comme nous, et même un âne ! On ne se côtoyait pas toutes les semaines, nuance Mireille, mais on s'appréciait. »

UN DEUIL DIFFICILE

Il y a environ trois ans, Christiane est morte quelques semaines à peine après avoir appris qu'elle souffrait de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. À 82 ans, Jean Cloutier s'est retrouvé seul dans sa ferme estrienne. Moins de 18 mois plus tard, c'est lui qui a appris qu'il avait un cancer métastatique... Il a décidé de rester à Melbourne.

« Quand il a perdu sa femme, Philippe allait le voir un peu plus souvent et moi, j'ai commencé à lui faire des petits plats. » - Mireille

« Je me suis dit qu'il ne devait pas avoir faim et qu'il ne devait pas manger comme il faut, donc je me suis mise à en faire un peu plus pour lui... Du pâté chinois, des sauces à spaghetti, des coquilles Saint-Jacques, ça, c'était son plat préféré ! », dit Mireille.

Deux fois par semaine, elle allait lui porter ses petits plats. « Le week-end, je ne le dérangeais pas parce que ses enfants venaient le voir », précise-t-elle.

Mireille se rappelle un homme cultivé, toujours engagé dans des projets. « Je l'appelais "Mon M. Cloutier". J'avais beaucoup d'affection pour lui. Il ne m'a jamais rien demandé, ce que je faisais, je le faisais de plein coeur, sans aucune obligation. C'était pas une tâche, c'est pour ça que ça me faisait si plaisir et que, pour moi, ce n'était pas grand-chose... »

Jusqu'à la fin de sa maladie, Jean Cloutier a mangé les petits plats de Mireille. Quand il s'est éteint l'été dernier, sa voisine avoue s'être ennuyée de ne plus cuisiner pour lui... Elle a continué à prendre son courrier dans les mois qui ont suivi. « Vieux, il était parfois bougon, nous a écrit sa fille Marjolaine. Pourtant, il disait de Mireille : "Quelle fille extraordinaire !" »

« C'est rien d'aider quelqu'un en deuil, quelqu'un qui est vulnérable, plaide Mireille. Quand on est en fin de vie, peu importe notre situation, si on a beaucoup d'argent ou non, si on est important ou pas, qu'on soit fermier ou millionnaire, ce qui compte, c'est l'amour et la chaleur humaine. L'orgueil ne compte plus, tout ce qui importe, c'est quelqu'un qui te tend la main. »

« Pendant un an, elle lui a apporté de bons petits plats sans qu'il sente qu'elle prenait soin de lui », précise Marjolaine dans sa lettre envoyée à La Presse. Après la mort de Jean Cloutier, Marjolaine a offert à Mireille un pendentif émeraude d'Afrique, en souvenir de son père. « Ça m'a fait pleurer, avoue la voisine de Jean. Qu'on me qualifie d'ange, c'est le plus beau compliment qu'on m'ait fait de toute ma vie. Moi, j'ai juste voulu l'aider un peu. » 

Les mois ont passé, Mireille et Philippe voisinent un peu avec Renaud, le fils de Jean, mais voilà, ce n'est pas la même chose... « C'est surtout Philippe qui le voit, parce qu'ils font du quatre-roues... » Mireille interrompt soudainement son récit et ouvre une petite glacière branchée à l'extérieur. « J'oubliais, je vous ai préparé des petites bouchées au saumon fumé ! J'ai aussi de l'ail des bois... »

Photo fournie par Mireille Voisard

Mireille Voisard en compagnie de Jean Cloutier, avec le serpent de Mireille et de Philippe

Photo Maxime Picard, La Tribune

« C'est rien d'aider quelqu'un en deuil, quelqu'un qui est vulnérable, plaide Mireille Voisard. Quand on est en fin de vie, peu importe notre situation, ce qui compte, c'est l'amour et la chaleur humaine. »

VOISINS EN CRESCENDO

Voici l'histoire d'un voisinage qu'on pourrait qualifier de progressif. Deux voisins qui se côtoient de loin depuis près de 40 ans dans le secteur de Plage-Idéale, à Laval, mais que la vie rapproche chaque jour un peu plus.

Pierrette Paré et son mari Aref Korkmaz habitent cette maison de Laval depuis 36 ans. C'est là qu'ils ont élevé leurs deux enfants, Antoine et Claudia (qui nous a mis sur leur piste). Richard Levasseur, lui, habite à quelques maisons de là depuis aussi longtemps. Il y est toujours, avec sa compagne Linda. La relation des deux hommes et de leurs familles s'est approfondie avec le temps. Voici les grandes étapes de cette relation de proximité.

LES ENFANTS

« Notre rue est un cul-de-sac, commence par nous dire Aref, d'origine libanaise. Quand on a emménagé ici, il y avait plein d'enfants. Ils jouaient tous ici, se retrouvaient chez un voisin, chez l'autre, tout le monde se connaissait. Parle parle, jase jase, c'est comme ça que les adultes ont commencé à se parler. Mais ce n'est pas allé plus loin. On ne se fréquentait pas, on ne s'invitait pas à la maison. »

LES TRAVAUX

Une fois la glace brisée, les deux hommes commencent à s'emprunter des outils. « Ça a été la première forme d'entraide », souligne Pierrette. « On se parlait régulièrement de nos travaux, nous dit Richard, donc quand on pouvait s'aider ou se prêter des outils, on le faisait. » « On avait un autre voisin, M. Nolin [aujourd'hui disparu], qui avait tous les outils, se rappelle Aref. On l'appelait Rona ! » Encore là, du bon voisinage, point barre.

DES COMMÉRAGES

La relation entre les deux hommes est amicale, mais on ne peut pas dire qu'ils sont amis. « Pendant des années, c'était plus des commérages de rue, avoue Aref. Richard est au courant de tout ce qui se passe ici, lance-t-il, blagueur. C'est le terminus Berri. » L'engagement politique d'Aref dans un mouvement d'opposition au maire Vaillancourt l'incite à multiplier les discussions de quartier.

LE JARDIN

Une des passions d'Aref est son jardin. Un énorme potager à la lisière de la forêt où poussent de multiples légumes, laitues et fines herbes, dont d'immenses tomates rouges. « C'est sûr qu'à un moment donné, j'en ai eu beaucoup et j'ai voulu partager mes récoltes avec Richard et Linda, avec qui on avait des affinités. Je lui ai dit : "Tu viens quand tu veux." C'est ce qu'il a fait. »

LA RETRAITE

La relation entre les deux familles voisines prend un tournant lorsque Richard prend sa retraite. C'était il y a quatre ans. « J'avais plus de temps, admet-il. Je venais plus souvent. Je venais faire un tour dans le jardin d'Aref, je leur apportais parfois des petits plats comme des sauces à spaghetti. » Aref lui rend la pareille en lui préparant des « mets libanais » comme du poulet au riz et une salade fattouche. Des liens se créent.

LA MALADIE

Aref a eu un premier cancer il y a une dizaine d'années. Mais la maladie est réapparue. Aujourd'hui, il vit avec un cancer métastatique. Au cours de la dernière année, sa santé a décliné. Ses enfants sont présents, mais au quotidien, ce sont ses voisins qui ont joué un rôle de premier plan. Richard, d'un naturel discret, a pris les devants. « Il s'est offert pour entretenir mon jardin, se rappelle Aref avec émotion. Aujourd'hui, il repeint ma maison ! Un jour il m'a dit : "Je suis sûr que tu ferais la même chose pour moi." »

Photo Olivier PontBriand, La Presse

Aref Korkmaz et Pierrette Paré, avec Richard Levasseur et sa compagne Linda