Dix millions de dollars pour créer l'école secondaire de l'avenir. Voilà le cadeau que vient de recevoir la commission scolaire de Grand Rapids, au Michigan. Les fonds versés par un organisme présidé par Laurene Powell Jobs, veuve du fondateur d'Apple, vont servir à aménager un high school public dans un musée. Une idée inspirante qui a germé dans une ville ayant déjà une école dans un zoo et une autre dans un parc-nature.

La classe au musée

«Nous sommes passés du modèle T à la Tesla, du standard téléphonique au cellulaire intelligent. Mais l'école secondaire est restée gelée dans le temps.» Ce constat lapidaire, c'est le XQ Institute de Californie - dont le conseil d'administration est présidé par Laurene Powell Jobs, veuve du fondateur d'Apple - qui le fait.

Cet organisme à but non lucratif a lancé un concours, The Super School Project, visant à façonner l'école de l'avenir. Près de 1500 projets ont été soumis. Seuls 10 ont été retenus, dont celui d'ouvrir un high school dans le Musée public de Grand Rapids, une ville située à 250 km à l'ouest de Detroit, au Michigan. La bourse reçue à la mi-septembre fait rêver : 10 millions US par projet.

Il est déjà possible de visiter la future école muséale, ou presque. En septembre 2015, un middle school (une école qui accueille les élèves de 11 à 14 ans, avant le high school, qui reçoit ceux de 14 à 18 ans) a ouvert ses portes au coeur du Musée public de Grand Rapids. «On a dépensé 4,5 millions US pour rénover le quatrième étage du musée et y accueillir les élèves», explique John Helmholdt, directeur des communications des Grand Rapids Public Schools (l'équivalent de la commission scolaire).

Tirage au sort

Dès 8 h, Christopher Hanks, directeur du Museum School, attend «ses» enfants devant l'entrée du musée, un café à la main. «Ils doivent traverser tout le musée pour arriver en classe», fait valoir le directeur, qui était professeur adjoint à la Grand Valley State University avant de se lancer dans cet audacieux projet.

Un total de 120 élèves de 6e et 7e années fréquentent actuellement l'école du musée. Deux classes de 8e année s'ajouteront en septembre. Aucune sélection n'est faite, les places (convoitées!) étant attribuées par tirage au sort.

Les ados choisis ont accès aux 250 000 artefacts du musée - dont un squelette de baleine mesurant plus de 20 m - quasi quotidiennement. Aidés d'un conservateur, ils ont par exemple monté de A à Z leur propre exposition. «On souhaite rendre 75 % de notre collection accessible aux élèves et aux visiteurs, soit librement, soit avec l'accompagnement d'un membre de notre personnel, indique Dale Robertson, président du Musée public de Grand Rapids, en faisant visiter ses archives à La Presse et à une délégation du XQ Institute. À l'heure actuelle, seulement 5 à 10 % des artefacts le sont.»

Autre lieu d'apprentissage: la rivière Grand, qui coule à côté du musée. Les élèves du Museum School élèvent 200 oeufs de saumon qu'ils relâcheront dans le cours d'eau au printemps.

«Ce qui est plate dans les autres écoles devient super intéressant ici, assure Nate Beurkens, blondinet de 13 ans, président du conseil des élèves du Museum School. Par exemple, les fractions: ça sert à calculer l'âge des fossiles, avec la demi-vie des éléments. C'est fascinant.»

Parce qu'on est en 2016

La pédagogie de Museum School s'appuie sur deux concepts. D'abord, la «Place-Based Education», qu'on peut traduire par «éducation axée sur la communauté». 

«Nos salles de classe, c'est notre communauté. On se sert de notre environnement immédiat comme d'une lentille qui nous permet ensuite de voir le monde», estime Christopher Hanks, directeur du Museum School.

Autre inspiration: le «Design Thinking», une méthode d'apprentissage par projet qui valorise la créativité. Selon cette approche, les élèves définissent un problème, y réfléchissent lors de remue-méninges, puis créent des prototypes qu'ils testent réellement, pour trouver des solutions.

Pourquoi apprendre ainsi? Parce qu'on est en 2016. «Être capable de collaborer et de concevoir des idées nouvelles, ce sont des habiletés qu'on doit cultiver chez les jeunes, plaide M. Hanks. Typiquement, l'école fait le contraire: elle demande aux élèves de trouver l'unique réponse que tout le monde a déjà trouvée et de travailler seuls. Nous, on retourne tout à l'envers.»

Ça semble marcher. L'an dernier, les premiers élèves du Museum School «ont eu des résultats au-dessus de la moyenne du district, en lecture et en maths», dit M. Hanks.

«En enseignant sans manuels scolaires, on prend des risques, convient Kim Rowland, une des enseignantes. Mais c'est important pour nous d'appliquer l'information à transmettre à quelque chose qui compte. À la blague, on se dit souvent: "Est-ce que ça se fait dans une école standard?" Si la réponse est oui, il faut aller plus loin.»

Futur high school en 2018

L'ouverture du high school, prévue pour 2018, permettra d'aller beaucoup plus loin. Étonnant mais vrai, ce sont d'anciens locaux du musée (où on croise de lugubres animaux empaillés abandonnés depuis 20 ans!) qui seront transformés en école secondaire à la fine pointe de la technologie.

Prix des travaux: 10 millions US, pour un total de 14,5 millions US en comptant le middle school. Une facture épongée par la bourse du XQ Institute, mais aussi grâce à des emprunts obligataires approuvés par les citoyens, de l'argent de l'agence de développement du centre-ville de Grand Rapids, etc. «Une des grandes forces de ce projet, souligne Michele Cahill, juge au concours The Super School Project, c'est que toute la communauté de Grand Rapids y travaille, ensemble.»

Redonner le goût de l'école publique

Des écoles secondaires à moitié vides. Un taux de diplomation stagnant autour de 45 %. Comme bien d'autres villes, Grand Rapids, au Michigan, avait mal à ses écoles publiques, désertées par les familles des classes moyennes et aisées. Un plan de transformation - lancé il y a quatre ans - permet aujourd'hui de renouer avec l'optimisme. Entrevue avec John Helmholdt, le directeur des communications des Grand Rapids Public Schools (l'équivalent de la commission scolaire).

Vos élèves sont d'origines diverses ou c'est plutôt homogène?

Nous avons près de 17 000 élèves, originaires de 54 pays et parlant 51 langues différentes. De ce nombre, 450 sont des réfugiés. Au total, 38 % de nos élèves sont hispaniques ou latinos, 33 % sont afro-américains et 22 %, caucasiens.

Vos écoles ont connu leur lot de problèmes?

Oui. Au cours des 20 dernières années, il y a eu beaucoup de désaffection à l'égard des écoles publiques de Grand Rapids, qui étaient en déclin. Le district a perdu plus de 8000 élèves, fermé plus de 35 écoles et programmes, éliminé 1000 emplois (surtout des enseignants) et coupé 100 millions US dans son budget. C'était un cercle vicieux qui ne faisait qu'alimenter les coupes, les fermetures et les consolidations, année après année.

Que s'est-il passé pour que cela change?

En 2012, une nouvelle directrice [superintendant], Teresa Weatherall Neal, a été nommée. Elle a mené une consultation à laquelle un millier de personnes ont participé, avant de présenter un plan de transformation. Ce plan a trois objectifs. 1) Investir dans ce qui fonctionne et arrêter de faire ce qui ne marche pas. 2) Investir dans nos talents, avec du recrutement, de la rétention et du développement de personnel. 3) Investir pour assurer la stabilité et la croissance.

Dix écoles ont été fermées d'un coup, dont l'école secondaire que Teresa elle-même avait fréquentée. Mais des écoles primaires, des écoles thématiques et des centres d'innovation ont été ouverts. Des écoles de quartier ont aussi été ciblées, pour être transformées.

Quels sont les résultats?

À peine quatre ans plus tard, nous commençons à être reconnus comme un modèle de transformation en éducation en milieu urbain. Notre taux de diplomation a grimpé de près de 20 points. Il était de 46 % en 2012 et on projette qu'il sera de 66 % en 2016. Je sais que ça paraît bas, mais ça inclut l'enseignement spécialisé et alternatif - les délinquants juvéniles de la prison du comté de Kent sont, notamment, nos élèves. Les résultats aux examens sont à la hausse, l'absentéisme chronique a été réduit de 30 %, les parents s'engagent davantage, le nombre de suspensions est en baisse. Et, pour la première fois en plus de 20 ans, notre population scolaire a augmenté cet automne, de près de 200 élèves.

PHOTO FOURNIE PAR JOHN HELMHOLDT

John Helmholdt en planche à pagaie sur la rivière Grand, qui coule au coeur de Grand Rapids, au Michigan.

L'école, ce zoo

Une école publique située dans un jardin zoologique peuplé de grizzlis, de kangourous et de manchots? Ça existe à Grand Rapids, au Michigan. 

Zoo School offre un programme scolaire enrichi à une soixante d'enfants de 6e année, sélectionnés par tirage au sort parmi ceux qui obtiennent des notes au-dessus de la moyenne à un test national. C'est un programme d'un an, à l'image des programmes d'anglais intensif offerts à la fin du primaire au Québec, animaux en prime.

Papier et crayon en main, les élèves rencontrés par La Presse parcouraient le zoo John Ball avec une mission précise: trouver des préfixes et suffixes parmi les noms des animaux. «J'aime travailler ici parce qu'on enseigne par projets, plutôt que de faire de l'anglais, puis des maths, puis une autre matière», indique John Fordney, enseignant au Zoo School.

«Comme les animaux proviennent de tous les continents, on ouvre l'esprit des élèves. Ils développent une vision d'ensemble du monde.»

Heureux comme jamais

Julius Brown, 11 ans, fréquentait une école chrétienne l'an dernier. «On passait toute la journée à l'intérieur, sauf lors des récréations, se souvient le garçon coiffé d'une tuque des Seahawks de Seattle. À l'école du zoo, on sort beaucoup, mais j'ai quand même le sentiment d'apprendre énormément.»

«C'est un excellent programme, très intense pour les enfants, témoigne Jackson Van Dyke, un propriétaire de brasseries dont la fille a fréquenté Zoo School il y a deux ans. Ils ont beaucoup de devoirs. Mais à la fin, ils ressentent un formidable sentiment d'accomplissement.»

Ne serait-il pas possible d'ouvrir les portes de Zoo School à tous les enfants, pas juste à l'élite? «Déjà, les profils des élèves sont assez variés, répond M. Fordney. Plusieurs enfants qui apprennent mieux sur le terrain que dans les livres viennent ici. Leurs parents nous disent qu'ils sont heureux comme jamais. On leur montre à devenir indépendants dans leurs apprentissages, à ne pas faire quelque chose juste parce qu'un professeur leur a dit de le faire.»

Apprendre ailleurs que sur YouTube

Deux salles de classe quasi traditionnelles sont réservées aux élèves de Zoo School. On y trouve des pupitres, mais aussi des tortues, serpents et poissons en aquariums, des squelettes, des plumes...

Dennis Kretschman y enseigne depuis 1974 - soit un an à peine après l'ouverture de l'école. «Ce qui a changé depuis cette époque, c'est que, dans les années 70, les enfants allaient jouer dehors, à moins de regarder un des trois postes de leur téléviseur, fait valoir l'enseignant. Aujourd'hui, ils jouent aux jeux vidéo. Avant, leurs connaissances de la nature venaient de ce que leur grand-père leur montrait dans le bois. Aujourd'hui, tout vient de YouTube. Mais tant que tu n'as pas grimpé dans un arbre, tu ne sais pas ce que c'est... Nous, on tente de combiner la technologie aux vraies affaires.»

Plus de niños

Zoo School a réussi à accroître la proportion de ses élèves qui sont d'origine hispanique de 13 % à 25 %, ces cinq dernières années. Une brochure en espagnol vantant la «Escuela Zoológico» a notamment été produite par les Grand Rapids Public Schools, l'équivalent de la commission scolaire locale. Le nombre d'élèves noirs, amérindiens ou d'autres origines stagne toutefois autour de 3 %, un taux jugé insuffisant par l'école.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Le zoo John Ball était fermé pour l'hiver, mais toujours accessible aux élèves de Zoo School, lors du passage de La Presse, à la mi-novembre.