Entre le cours de violon et l'entraînement de soccer, les enfants ont de moins en moins de temps pour... être des enfants, tout simplement. Et si on leur laissait la chance d'explorer le monde à leur propre rythme? Regard sur un phénomène qui prend son temps: le slow parenting.

Bernadette Noll est mère de quatre enfants âgés de 8 à 17 ans: Dean, Esme, Otto et Lucy. Son quotidien n'est sûrement pas reposant. Mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, Bernadette Noll n'est pas en train de se faire avaler par un tourbillon. Car elle mène sa vie tranquillement, selon les principes du slow parenting.

Le slow parenting est un mouvement qui fait l'éloge de la lenteur, à l'époque où les familles vivent à un rythme plus effréné que jamais. Mme Noll, qui est aussi auteure, a fondé l'organisation américaine Slow Family Living avec la psychologue Carrie Contey. Ensemble, elles donnent des outils aux familles pour ralentir le rythme au moyen de cours, d'ateliers et de conférences.

Le slow parenting n'implique pas de tout faire à un rythme désespérément lent. Il s'agit plutôt de mener la vie qui nous convient, tout simplement, précise Bernadette Noll. «Il faut se demander continuellement si ce qu'on fait fonctionne pour nous, dit-elle, jointe à son domicile d'Austin, au Texas. Nous pouvons nous poser cette question souvent, chaque semaine s'il le faut. Si la réponse est oui, continuons; mais si on répond par la négative, il faut trouver des façons d'y remédier, petit à petit.»

L'idée n'est pas nécessairement d'en faire moins, mais plutôt de le faire différemment, poursuit Mme Noll.

«Je ne crois pas que l'essence du slow parenting soit de ne plus s'engager dans des activités. L'important est plutôt que, même durant ces moments, nous ayons la capacité d'être présents. Ça ne prend pas d'immenses morceaux de temps pour trouver la connexion que nous recherchons.»

Selon elle, cette connexion entre les membres de la famille peut être établie par de petits moments volés ici et là dans le feu de l'action. «Par exemple, si, après le travail, on doit aller chercher les enfants à l'école puis les reconduire quelque part, au lieu de presser tout le monde pour se rendre au prochain endroit, on peut prendre le temps de se poser pendant 30 secondes ou une minute. Ou encore, prendre quelques moments pour se regarder dans les yeux le matin, au lieu de courir partout.»

Aussi, si les horaires des activités sont trop contraignants, on peut les adapter pour qu'ils nous conviennent. Par exemple, les cours de soccer devenaient un vrai casse-tête à gérer pour la famille de Bernadette Noll.

Quelques autres familles du voisinage et elle ont démarré une ligue «informelle» où ils jouaient pour le plaisir, au moment qui leur convenait le mieux. «Tout le monde participait: les parents, les enfants. Alors, au lieu que le soccer représente une plage de temps où nous ne faisions que déposer chaque enfant sur un terrain différent, c'est devenu un moment privilégié où nous pouvions échanger entre nous.»

Cet allègement d'horaire ne peut qu'avoir des retombées positives sur les enfants, croit Carl Honoré, un Canadien établi à Londres qui a publié plusieurs livres sur la lenteur. «Les parents doivent faire un pas en arrière et donner aux enfants l'espace et le temps d'interagir avec le monde selon leurs propres termes; de commettre des erreurs, et même de se blesser parfois», énonce-t-il. Ainsi, on leur donnera la chance de découvrir eux-mêmes qui ils sont, plutôt qu'ils se conforment à ce qu'on attend d'eux, affirme M. Honoré, lui-même père de deux adolescents.

Il déplore que les enfants d'aujourd'hui aient moins de temps à consacrer à des jeux libres, non structurés. «C'est un vrai problème, car ce type de jeux est essentiel à leur développement. Cela contribue à façonner leur cerveau, leur apprend à être inventifs, et même à trouver un sens à notre monde, ainsi que la place qu'ils y occupent.»

Techno, mais pas trop

Bien sûr, la technologie joue un rôle dans l'accélération de nos vies et, par conséquent, dans notre présence moins soutenue. «Ce n'est pas vrai que notre esprit peut être dans deux conversations à la fois», croit Bernadette Noll.

Heureusement, comme le souligne Carl Honoré, ces petites machines ont un bouton Arrêt qu'il ne faut pas hésiter à enfoncer. «Nous pouvons utiliser la technologie intelligemment, dans l'esprit de la lenteur, et en tirer le meilleur parti», suggère-t-il.

Selon Bernadette Noll, ces moments où nous sommes totalement présents contribuent aussi à bâtir une relation privilégiée avec nos enfants. «Quand on y pense, la proportion du temps où nous vivons tous sous le même toit est très courte par rapport à l'échelle de notre vie, dit-elle. Alors passer du temps avec nos enfants chaque jour nous assure que cette connexion soit bien en place et qu'elle perdure lorsque nous ne vivrons plus ensemble.»

Ce sont également ces moments précieux qui se graveront dans la machine à souvenirs, selon Carl Honoré. «Et non lorsque nous brûlons un feu rouge pour arriver à temps à la pratique de hockey...»

Alors qu'on souhaite donner une enfance privilégiée à nos enfants en leur faisant faire le plus de choses possible, le bonheur pour eux est peut-être beaucoup plus simple, selon Bernadette Noll.

«Je crois que si on demande à n'importe quel enfant ce qu'il désire le plus, il va probablement vouloir passer du temps avec ses parents, et avoir un peu d'attention de leur part», conclut-elle.

Quelques trucs pour ralentir

Comment appliquer les principes du slow parenting dans le quotidien? Voici quelques trucs concrets que Carl Honoré, roi de la lenteur, donne aux familles. Première recommandation: ne pas suivre toutes les recommandations, car l'idée reste d'alléger son horaire!

• Placez les pièces d'un gros casse-tête quelque part dans la maison et laissez la famille (ou les visiteurs) l'assembler sur une échelle de plusieurs jours.

• Désignez certaines heures dans la journée où les écrans sont interdits et, durant cette période, placez tous les téléphones, tablettes et autres appareils électroniques dans une «boîte à gadgets».

• Consacrez une soirée par semaine à faire quelque chose d'agréable et relaxant en famille: regarder un film en mangeant du pop corn, jouer à des jeux de société, inventer des charades...

• Mangez tous ensemble (avec les appareils électroniques éteints) au moins une fois par jour.

• Encouragez les enfants à se retrousser les manches et à travailler dans le jardin : planter, arroser et nourrir quelque chose de comestible (ou de non comestible).

• Réglez l'alarme 10 minutes plus tôt chaque matin, pour que toute la famille puisse commencer la journée de manière plus détendue.

Une maman qui prend son temps

Elisabeth Simard a toujours aimé vivre lentement. Et maintenant que Paul, quatorze mois, et Henri, deux ans et demi, sont entrés dans sa vie, maintenir cette philosophie est devenu plus important que jamais pour la jeune maman.

La vie s'étire doucement et lentement dans sa maison du quartier Saint-Jean-Baptiste, à Québec. La photographe autodidacte immortalise les petits moments du quotidien sur son blogue, Ruban Cassette, un espace virtuel qui lui sert aussi de journal intime. Au fil du temps, une petite communauté de mamans s'est tissée autour de son blogue.

Heureusement, le conjoint d'Elisabeth est exactement comme elle. «On a toujours été très lents dans notre vie, dit-elle. On fait plein d'activités et on a beaucoup d'amis, mais on prend notre temps. On n'aime pas être stressés.»

Ainsi, Paul et Henri n'échappent pas à cette façon de voir la vie. «Oui, ils font des activités, mais je refuse de surcharger leur horaire d'enfant, dit Elisabeth. Si on fait beaucoup d'activités une journée, le lendemain on reste à la maison.» Les enfants ont ainsi du temps précieux pour... ne rien faire, un autre concept important aux yeux de leur maman. «J'essaie de leur donner beaucoup de temps pour s'ennuyer. S'ennuyer, ça fait en sorte que les enfants découvrent beaucoup de choses, et ils jouent très bien tout seuls.»

Les jouets sont d'ailleurs peu nombreux et soigneusement choisis dans leur maison. Mais leurs placards n'ont pas toujours été aussi épurés. «Pendant une période, on avait trop de jouets, dit Elisabeth. Les enfants ne savaient plus où donner de la tête.» Ils ont alors fait un grand ménage auquel seulement quelques jouets triés sur le volet ont survécu, et ceux-ci ont été placés de façon très visuelle. «Chaque jouet est rangé pour qu'il soit vu. On voit l'objet, on voit à quoi il sert. Ça fait vraiment une différence dans leur façon de jouer.»

Elisabeth prend aussi le temps d'impliquer les enfants dans les tâches ménagères. Lorsqu'elle plie le linge, son plus grand, Henri, s'occupe des guenilles. Et dès qu'elle se met aux fourneaux, il tient à participer. «Je ne peux plus cuisiner sans qu'il coure dans la maison en criant: moi aussi, je veux couper!» Elle lui a acheté un petit outil de bois juste assez acéré pour qu'il puisse l'aider, sans toutefois se trancher un doigt. «J'intègre les enfants à ce qu'on doit faire au quotidien dans la famille et ça facilite beaucoup la vie de tout le monde, dit-elle. Mais il faut dégager du temps pour les emmener là, et ce n'est pas évident.»

Son conjoint et elle occupent des emplois qu'ils aiment beaucoup, sans être carriéristes. «On veut avoir un bon niveau de défi et d'intérêt dans notre travail, mais on refuse de faire 80 heures par semaine juste pour monter dans les échelons», affirme Elisabeth. Bien sûr, certains projets personnels doivent attendre, mais ils assument leurs choix. «On remet toujours l'achat d'une auto à plus tard! On a des projets de réno, de voyage, mais on les met sur pause pour pouvoir s'offrir ce temps plus calme.»

PHOTO FOURNIE PAR ELISABETH SIMARD PHOTOGRAPHE

Elisabeth avec ses deux enfants: Paul, quatorze mois (dans ses bras), et Henri, deux ans et demi.