Quand un enfant est retiré de sa famille trop malsaine et placé dans un foyer d'accueil, la Direction de la protection de la jeunesse et ses travailleurs sociaux doivent-ils favoriser ou non le maintien de liens avec les parents biologiques? Une chercheuse s'est penchée sur l'épineuse question et l'a posée aux principaux intéressés, les jeunes.

«Ma mère va venir me chercher vendredi! Ma mère va venir me chercher vendredi!»

Quand Ariane* doit voir sa mère, c'est pour elle un tel événement qu'elle se sait un peu «achalante» avec son décompte des jours qui la séparent des retrouvailles. «J'ai tout le temps hâte de la voir. Je m'ennuie souvent d'elle. Je me sens excitée de la voir.»

 

À l'inverse, il y a Guillaume, dont l'expérience est tout autre. «Quand j'allais chez ma mère, elle m'ignorait, elle faisait comme si je n'étais pas là.» Alors fini les visites pour Guillaume. «Je trouve ça facile, maintenant. Elle m'ignore, mais au moins je ne suis plus là.»

Ces témoignages ont été recueillis par Louise Carignan, professeure au département de sciences humaines à l'Université du Québec à Chicoutimi, dans le cadre d'une étude qu'elle présentera cette semaine au congrès de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS).

Les propos des jeunes illustrent bien, comme l'écrit Mme Carignan, à quel point «protéger les enfants est un art difficile et une science inexacte».

En 2007, le Québec a promulgué une loi visant à accélérer le processus d'adoption afin d'éviter que des jeunes soient ballottés d'une famille d'accueil à une autre pendant de nombreuses années.

La question du maintien ou non des liens avec les parents biologiques demeure pourtant entière et a fait l'objet, comme l'indique Mme Carignan, de maints débats entre les chercheurs.

Mme Carignan, qui a travaillé pendant plus de 20 ans comme travailleuse sociale, avait l'intuition que ces visites et ces retours épisodiques dans la famille biologique faisaient peut-être plus de tort que de bien aux jeunes. Pour savoir si son intuition était juste, elle a interrogé, en 2006, 43 jeunes placés jusqu'à leur majorité, sans possibilité de retour permanent dans leur famille biologique.

La lecture des témoignages démontre bien, tout d'abord, combien ces visites brassent beaucoup d'émotions, de l'excitation au malaise jusqu'à la déception, souvent.

«Vu que je ne la connaissais pas beaucoup, j'étais mal à l'aise des fois d'être avec elle. Ce n'était pas un étranger mais un peu», a dit l'un à propos de sa mère.

«Une fin de semaine, c'était trop long. Une journée, ça aurait été correct... Nous étions laissés à nous-mêmes», a dit un autre.

«Je me sentais nerveuse mais j'avais hâte de la voir en même temps, raconte une adolescente. Je voulais savoir ce qu'elle avait l'air, si elle avait changé. Nerveuse de savoir comment s'y prendre... Ça allait mal et on pleurait.»

«Je l'aime beaucoup, ma mère, a dit une autre. J'aime ça être avec elle. Elle est drôle, elle me fait rire. On sort, elle m'achète plein d'affaires, elle essaie de reprendre tout ce qu'elle a manqué dans toute l'année.»

Assurément, pendant ces visites occasionnelles, les jeunes doivent se blinder. Ainsi, l'un d'eux a raconté à Mme Carignan que sa mère lui avait répété qu'il était une erreur. «Dans le fond de moi-même, je le savais, mais de l'entendre dire, ça m'a fait mal. J'aurais mieux aimé la voir à jeun que sous les drogues.»

Certains aiment partager le quotidien de leurs parents, tout simplement. Aller à la pêche avec leur père ou recevoir un petit cadeau de temps à autre. Pour d'autres, il s'agit surtout de ne pas tomber dans l'oubli.

«Je dois mettre des efforts pour prendre contact car mon père travaille beaucoup d'heures et il n'a pas beaucoup le temps de m'appeler. Sinon, il pourrait facilement m'oublier», croit un jeune.

Que conclut Mme Carignan? D'abord et avant tout, qu'on ferait erreur en établissant une règle universelle. Les visites doivent être planifiées en fonction des besoins changeants des jeunes et de la capacité du système de les accompagner dans cette démarche. Elles doivent «être l'objet d'une révision rigoureuse, de façon périodique afin de s'assurer de réduire les obstacles ou les irritants».

Malgré tout, même quand des problèmes surviennent, il ne faut surtout pas jeter l'éponge trop vite. Parce que, aussi souffrantes que puissent parfois être ces visites, quand elles demeurent possibles, tout indique que le maintien d'un lien avec au moins un des deux parents «favoriserait à l'adolescence une meilleure adaptation sociale et personnelle», conclut Mme Carignan.

*Tous les prénoms des jeunes sont fictifs.