Ça vous dit de travailler 10-12 heures par jour en échange d'un week-end plus long? La semaine comprimée - à ne pas confondre avec celle de 32 heures - est de plus en plus populaire au Québec. Certains y voient bien des avantages: solution aux problèmes de main-d'oeuvre dans les hôpitaux, réduction de la circulation, économie d'essence. D'autres, au contraire, perçoivent un certain essoufflement. De longues heures quotidiennes, est-ce vraiment un avantage pour la vie familiale?

La semaine comprimée sur quatre jours est de plus en plus populaire au Québec. Un nombre croissant d'entreprises acceptent que des employés travaillent davantage quotidiennement pour ajouter une journée à leur fin de semaine. Certains syndicats estiment même qu'il s'agit d'une façon de réduire les coûts dans le domaine de la santé tout en diminuant les problèmes d'épuisement professionnel. Sans compter l'économie d'essence: un aller-retour de moins vers le boulot...

Depuis deux ans, les employés des urgences du Centre hospitalier régional de Trois-Rivières ont la possibilité de comprimer leur horaire pour bénéficier de trois ou même quatre jours de congé par semaine, sans perte salariale.

 

La Centrale des syndicats du Québec, qui représentent ces travailleurs, avance même que les horaires comprimés pourraient régler le problème de la pénurie de personnel et de l'absentéisme dans les hôpitaux.

De l'autre côté de la rivière des Outaouais, une cinquantaine de licenciements ont été évités cet été chez le fabricant de chaudières Babcock&Wilcox, en banlieue de Toronto, quand les employés ont accepté de travailler quatre jours de dix heures. Et chez nos voisins du Sud, Chrysler a proposé cet horaire à ses employés pour réduire les coûts. L'État de l'Utah entend économiser annuellement 3 millions$US en frais de chauffage et d'éclairage en faisant travailler ses fonctionnaires de 7h à 18h quatre jours, plutôt que de 9h à 17h, cinq jours. Pour sa part, le leader démocrate au Congrès croit que cette solution pourrait permettre d'épargner des frais de carburant aux fonctionnaires fédéraux.

«Même si elle est loin d'être la norme, la semaine comprimée est de plus en plus populaire» , estime Norma Kozhaya, directrice de la recherche au Conseil du patronat du Québec.

Pour une fois, les intérêts des travailleurs et ceux des employeurs semblent se rejoindre. «Pour les employés, ça aide souvent la vie de famille» , explique Alain Lampron, président de la Fédération de la métallurgie de la CSN. Et pour l'entreprise, un horaire de quatre jours la semaine et trois jours la fin de semaine permet de produire sept jours sur sept, au lieu de seulement cinq, pour le même investissement.»

Il est toutefois difficile d'obtenir des chiffres précis. «Les dernières statistiques au Canada remontent à 1994, indique Tracy Hecht, professeure de gestion à l'Université Concordia. À ce moment, entre 14 et 24% des entreprises offraient des horaires comprimés. Il semble que les employés sont plus satisfaits, qu'il n'y a pas d'impact sur la productivité et que pour plusieurs secteurs, les horaires ne sont pas particulièrement difficiles à gérer. Par contre, l'absentéisme ne baisse pas.»

À la FTQ, la directrice de la recherche, Dominique Savoie, confirme que l'horaire comprimé est «de plus en plus fréquent» dans le secteur manufacturier. La tendance, qui a commencé voilà 15 à 20 ans, montre toutefois des signes d'essoufflement, selon elle. «Ça commence à ruer dans les brancards. Pour les jeunes, ce n'est pas très bon pour la conciliation travail-famille. Ce n'est pas super quand papa n'est jamais là la fin de semaine. Et avec le vieillissement de la main-d'oeuvre, travailler 10 heures par jour, ce n'est pas toujours possible.»

M. Lampron a un point de vue différent. «Avoir congé la semaine, ça permet aux gars d'aller chercher les enfants à la garderie ou à l'école, de faire des choses seuls avec eux. Et on perd beaucoup moins de temps avec les commissions dans les magasins, parce qu'on attend moins à la caisse, et les rendez-vous médicaux.»

La réduction du temps passé à se rendre au travail compte pour beaucoup. «Avec l'essence qui est de plus en plus cher, éliminer deux ou même quatre allers-retours, ça fait une différence, dit M. Lampron. On peut aussi éviter le trafic. Même sans le temps comprimé, je vois beaucoup de quarts qui commencent à 7h ou même 6h, plutôt qu'à 9h.»

Du point de vue de l'employé, le temps consacré à se rendre au travail fait d'ailleurs partie de sa journée, souligne Gary Johns, professeur de gestion à l'Université Concordia et spécialiste de l'absentéisme. «C'est en quelque sorte du temps supplémentaire non rémunéré. Si on peut couper de 20% ce gaspillage de temps, ce n'est pas négligeable.»

La semaine comprimée permet aussi de contourner l'inconvénient majeur de la semaine de quatre jours à 32 heures: la perte de salaire. «Très peu de gens peuvent se le permettre, explique Marjolaine Perreault, relationniste à la CSQ. Il n'y a que dans l'éducation que les gens semblent prêts à accepter une perte salariale. C'est un signe de l'essoufflement des enseignants. Le problème, c'est que souvent, ils ne sont pas remplacés, ce qui augmente la pression pour les autres.»

La présidente de l'Union des infirmières et des inhalothérapeutes (CSQ), Monique Bélanger, pense que les horaires comprimés contribueront à régler la pénurie de personnel dans le secteur de la santé. «Nous avions déjà proposé des modèles hybrides lors des derniers négociations collectives. Sept jours sur quatorze la nuit, huit jours sur quatorze le soir, ou une combinaison de jours de huit et de douze heures. Ça se fait dans le secteur anglophone, je l'ai constaté quand j'ai été hospitalisée au Royal Vic voilà quelques années. À notre avis, il y aurait moins d'absentéisme. Et personne n'y perdrait sur le plan financier.»

L'autre secteur où la semaine comprimée est populaire est celui des médias. «C'est très courant dans les quotidiens et à la télévision» , dit Chantale Larouche, présidente de la Fédération nationale des communications à la CSN. «Mais ça tient probablement à la nature particulière du travail. Les journalistes s'arrêtent rarement de travailler s'ils n'ont pas fini leur reportage.» Ainsi, lors du récent conflit au Journal de Québec, les syndiqués ont accepté d'allonger leur journée de travail de 8h à 9h22 pour conserver la semaine de quatre jours.

Les patrons sceptiques

À la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI), le constat est clair: la semaine de quatre jours, qu'elle soit de 32 heures ou comprimée, est beaucoup plus difficile à accepter que les horaires flexibles.

«La semaine de quatre jours est marginale et le restera parce qu'elle est compliquée pour les entreprises», explique Simon Prévost, vice-président québécois de la FCEI. «Nous avons fait un sondage auprès de nos membres. Six sur 10 avaient des mesures d'horaires flexibles, mais seulement 15% étaient en mesure d'offrir la semaine comprimée à leurs employés. C'est non seulement compliqué mais coûteux. On présume que l'employé fera le travail de cinq jours en quatre, c'est audacieux comme hypothèse. Et dans bien des boulots, il faut remplacer la personne. Or, on vit une pénurie de main-d'oeuvre, et il faut compter les frais de formation et d'embauche.»

Au Conseil du patronat, la directrice de la recherche, Norma Kozhaya, confirme les données de la FCEI. «Dans les petites entreprises et dans celles qui font du service à la clientèle, c'est très difficile. On voit que la semaine de quatre jours existe, notamment pour les préretraités, afin de favoriser la rétention des travailleurs plus âgés. Il faut aussi reconnaître qu'il est plus facile de combiner deux horaires à temps partiel, deux jours-trois jours, que de trouver quelqu'un qui va faire une seule journée.»

Ce n'est pas un hasard si la semaine de quatre jours est plus fréquente dans les services gouvernementaux, selon Jennifer Hunt, économiste du travail à l'Université McGill. «Les gouvernements ont un monopole, alors ils peuvent imposer des services réduits le vendredi, dit-elle. Ce n'est pas possible pour les entreprises de services qui font face à la concurrence. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il n'y a pas d'effet sur la productivité: à la fin d'une journée de 10 heures, on est nécessairement plus fatigué intellectuellement et physiquement.»

Il peut même y avoir des problèmes de santé et de sécurité au travail. «Il existe des normes pour le travail atypique, et même un calculateur pour réviser les limites d'exposition au bruit et aux produits chimiques pour les journées plus longues, indique Jean Dussault, directeur du service d'éducation de la FTQ. Mais souvent, les entreprises ne les appliquent pas. Ce n'est pas nécessairement de la mauvaise foi. Mais la personne qui fait les horaires ne pense pas nécessairement à demander son avis à la CSST.»

Une planification plus rigoureuse

Depuis trois ans, les quelque 400 cadres de Gaz Métro peuvent aménager leur temps de travail comme ils l'entendent. La mesure a été si populaire que tous y souscrivent maintenant.

«Nous avions fait un constat que la main-d'oeuvre devenait de plus en plus difficile à attirer, explique Caroll Carle, directeur du soutien à la performance et aux relations avec les employés. Il fallait offrir quelque chose de différent, pour aider nos cadres à atteindre leurs priorités.»

Certaines balises demeurent. Il faut choisir entre trois horaires: la semaine comprimée - quatre jours et demi, ou une alternance de quatre jours et cinq jours (neuf jours sur dix) - ou la semaine de cinq jours avec des heures d'arrivée au travail flexibles, le matin et le soir.

«Ça demande une planification plus rigoureuse des horaires, parce que nous offrons un service cinq jours par semaine, dit M. Carle. Mais ça a été positif: les gestionnaires sont simplement devenus meilleurs.»

L'impact sur l'absentéisme et la rétention n'ont pas été formellement mesurés. «Mais nous avons toujours un absentéisme assez faible, environ 4%, ce qui est bon par rapport à la moyenne canadienne.» Les employés syndiqués de Gaz Métro, eux, ont depuis une demi-douzaine d'années la semaine de 36 heures et demie sur quatre jours.