De nombreuses mères s'intéressent désormais à la fabrication de savonfait avec leur propre lait. Un moyen pour ces femmes d'ajouter un peu d'elles dans les soins qu'elles fournissent à leurs enfants. L'idée peut surprendre, mais elle fait son chemin.

Entre le sein et l'heure du bainL'idée séduit plusieurs mères qui allaitent leur bébé: si on intègre du lait de chèvre aux produits pour le corps, pourquoi alors ne pas utiliser son lait maternel pour fabriquer ses propres savons? Sur les réseaux sociaux, les recettes pour créer ce type de savons connaissent un certain succès... et ne laissent personne indifférent.

«On utilise déjà le lait des animaux dans plein de produits. Je trouve que ça a du sens d'utiliser notre lait dans un savon doux qui sert à laver notre enfant. Moi, quand j'ai entendu dire que d'autres mères faisaient du savon avec leur lait, j'ai eu envie d'essayer», raconte tout simplement Marie Bussières.

La jeune mère de 23 ans fabrique elle-même son savon depuis plusieurs années. Puis, son fils Lionel est né. Parce qu'elle a déjà tout le matériel à la maison, Marie a eu envie de mettre un peu du sien dans les soins qu'elle prodigue à son fils.

Lors de notre passage, elle a accepté de préparer devant nous ce savon qu'elle réserve à Lionel, qui a aujourd'hui 5 mois. Le procédé qu'elle préconise, la saponification à froid, implique l'utilisation de soude caustique et demande plusieurs précautions. Un savoir-faire qu'il est possible d'acquérir dans des boutiques spécialisées. De main de maître, Marie prépare d'abord un savon classique à base de gras végétaux. À la fin du processus, elle ajoute son lait. La mixture prend alors une teinte crème.

«C'est un savon très doux, qui mousse bien. J'ai fait mes calculs en fonction du gras du lait maternel, très bon pour la peau d'un enfant.»

Le pourcentage de gras dans le lait maternel peut varier légèrement, mais il oscille généralement autour de 4 %.

Faire partager l'expérience

Marie a enseigné à des amies comment faire ce type de savon, mais l'étudiante en adaptation scolaire ne compte pas commercialiser ce service. Murielle Fortier, de la petite entreprise Créations Rafia, accepte toutefois de transformer le lait de clientes en savon, si elles viennent le lui porter en mains propres, sur la Rive-Sud, dans la région de Québec.

«Quand j'ai vu qu'on pouvait faire du savon au lait maternel sur un groupe Facebook, je me suis dit: "C'est donc bien intelligent!" On sait que le lait maternel est bon pour les bébés, mais c'est moins connu que c'est bon pour la peau, aussi. Ça m'a vraiment accrochée. J'ai commencé à lire sur le sujet, et je me suis dit que je pourrais en faire pour les mères qui le souhaitent», explique Murielle Fortier, mère de quatre enfants.

Puisqu'elle n'allaite plus son fils de 2 ans, elle s'est tournée vers une connaissance à qui l'idée souriait aussi. «Cette maman était ouverte, explique d'abord Murielle. Je vous dirais qu'il n'y a pas une grande ouverture à ce sujet. Quand j'ai commencé à en parler, certaines personnes ont fait le saut! Mais quand même : on fait des savons au lait de chèvre, et tout le monde se lave avec ça. Quand on parle de lait maternel, c'est comme plus tabou... Par contre, cette maman a adoré», explique Murielle Fortier.

L'entrepreneure est maintenant prête à offrir ce service au grand public. Elle propose aux mères de lui apporter 6 oz de leur lait en personne, et trois semaines plus tard, elle leur remettra 600 g de savon, soit environ huit pains.

Murielle utilise de la soude caustique, de l'huile de canola, de l'huile de tournesol, de l'huile de noix de coco et du beurre de karité, en plus du lait maternel, pour faire son savon. Selon la volonté de la cliente, elle peut ajouter une huile essentielle pour parfumer le savon.

Des questionnements

Marie Bussières prend soin d'ajouter que la fabrication de savon demeure secondaire dans son expérience d'allaitement. «On s'entend, mon lait, c'est pour nourrir mon bébé, lance-t-elle en souriant. Par contre, pour faire du savon, on peut prendre du lait qu'on a tiré un soir après avoir bu de l'alcool et qu'on ne peut pas donner à un bébé, ou encore prendre du lait congelé depuis trop longtemps.» Tous les savons produits à partir d'une seule recette lui suffiront d'ailleurs pour plusieurs mois.

Malgré tout, ce procédé ne fait pas l'unanimité.

«La première réaction des gens, quand on en parle, c'est souvent: eurk! On fait plein de produits avec du lait animal, mais dès qu'on touche aux fluides corporels d'un humain, on n'aime pas ça», précise Murielle Fortier.

L'entrepreneure précise toutefois que jamais elle ne vendrait du savon fait avec du lait maternel à une autre personne que la mère à qui appartient ce lait. «Ce ne serait pas hygiénique, ou pas éthique», ajoute-t-elle. Pour le moment, les savons au lait maternel qu'elle a fabriqués ont aussi été utilisés pour laver les bébés de ses clientes.

Des bienfaits réels?

Pour créer un savon avec le procédé de saponification à froid, le lait est en contact avec de la soude caustique. Que reste-t-il des composantes du lait maternel après cette étape? «La soude détruit certaines propriétés, évidemment, mais on peut affirmer que ça crée tout de même un savon très doux pour la peau, très crémeux et très hydratant, explique Murielle Fortier. Le gras du lait maternel n'est pas saponifié, et il reste dans le savon, qui est adapté à la peau de bébé.»

On trouve aussi sur l'internet plusieurs recettes simplifiées, où le lait n'est mélangé qu'à du savon doux (comme le savon de Marseille) râpé et fondu, puis à un soupçon d'huile de coco. «Si on a du lait au congélateur qu'on ne peut plus donner à bébé, on peut l'ajouter à l'eau du bain, suggère Marie. On n'a pas besoin d'une grande quantité si on veut l'essayer.»

D'autres utilisations

Le lait maternel est évidemment tout d'abord destiné à nourrir bébé, s'entendent toutes les mères interrogées. D'autres avenues s'offrent toutefois à celles qui ont un petit ou un grand surplus à écouler.

Le don de lait

Faire du savon demande généralement moins qu'un seul biberon de lait. Cependant, certaines mères qui allaitent pourraient également vouloir offrir leur lait en surplus à la banque d'Héma-Québec. L'organisation distribue ensuite ce lait aux grands prématurés. «Chaque année, de nombreux bébés prématurés contractent une maladie intestinale sévère. Pour trop d'entre eux, cette maladie est mortelle, écrit Héma-Québec sur son site web. Le recours au lait maternel de banque réduit jusqu'à trois fois le risque des grands prématurés de développer ce type de maladie.» L'organisme a établi tout un protocole pour encadrer les dons.

Consultez le site d'Héma-Québec: https://www.hema-quebec.qc.ca/lait-maternel/donneuses-lait/banque-publique-lait-maternel.fr.html

Un bijou en souvenir

Karine Lajoie a récemment lancé un service de fabrication de bijou à partir de lait maternel. Elle offre aux mères de créer une «perle» avec une toute petite quantité de leur lait et de l'intégrer à un bijou. Pour y arriver, elle solidifie le lait maternel, puis elle le mêle à de la résine transparente. «Ça n'a aucune odeur et ça se conserve bien, explique Mme Lajoie, qui vit en Colombie-Britannique. Chaque mère a son histoire avec l'allaitement. Ce bijou, c'est un rappel tangible de cette période. C'est important pour beaucoup de mères qui me parlent de leur allaitement.»

Consultez le site de La joie en rose: https://lajoieenrose.ca

Des bienfaits pour la peau

D'après l'Institut national de santé publique, le lait maternel contient plusieurs «facteurs antimicrobiens». En clair, ce lait fournit aux bébés une protection contre les infections provoquées par les bactéries. Or, plusieurs mères utilisent leur lait pour soulager la peau irritée, soigner un début de conjonctivite et même comme hydratant naturel pour leur propre peau, constate Renée Boudreau, de la petite entreprise Melons et clémentines, spécialisée dans l'allaitement. Les recherches à ce sujet sont toutefois rares. «Effectivement, [il n'y a] pas de sources scientifiques fiables, mais ce sont de petits trucs de mamans qui me disent que ça fonctionne bien, sans plus», nuance la pédiatre Gaëlle Vekemans.

Photo David Boily, La Presse

Il est possible de donner son surplus de lait à la banque d'Héma-Québec selon certaines conditions.