En 2017, il est généralement admis que les responsabilités familiales incombent autant au père qu'à la mère. Les mentalités ne changent toutefois pas comme par magie, et la conciliation travail-famille ne va pas de soi dans tous les milieux de travail majoritairement masculins.

Olivier est devenu papa il y a huit ans. Comme tous les hommes de son entourage, il a voulu prendre le congé de paternité de cinq semaines mis en place en 2006. Conscient que son absence poserait un défi à la PME qui l'employait comme contrôleur comptable, il a proposé de l'étaler: deux blocs de deux semaines et une autre par la suite. Son offre a été reçue avec une brique et un fanal.

«On m'a dit que c'était un congé de paresseux et le président [de l'entreprise] m'a fortement conseillé de ne pas prendre mon congé », raconte le père de famille aujourd'hui à l'orée de la quarantaine. Il a fait à sa tête et pris ses congés. Moins de trois mois après la naissance de son enfant, il a été congédié. « Je suis sûr que c'était une vengeance reliée à ça», dit-il.

Olivier n'exerce pas un métier traditionnellement masculin. Son expérience démontre par contre que si l'implication auprès des enfants est une valeur très importante pour les pères d'aujourd'hui (1), le monde du travail n'a pas encore appris à en tenir compte. Et ce serait encore plus vrai dans les milieux de travail majoritairement masculins.

Défis en usine

Une récente étude menée par le ministère de la Famille ainsi que celui du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale (2) constate en effet que la conciliation travail-famille ne va pas de soi partout. «L'absence de mesures prévaut chez les employeurs relevant du secteur de la construction et chez ceux employant des travailleurs spécialisés majoritairement de sexe masculin», soulignent ses auteurs. Les congés de paternité constituent une source d'irritation importante dans ces milieux, selon l'étude.

«Il est plus facile de remplacer quelqu'un pour un an que pour cinq semaines», convient Alana Beaulieu, vice-présidente aux ressources humaines chez Quadco. L'entreprise de Saint-Eustache, qui fabrique de la machinerie pour la foresterie, a néanmoins mis en place des mesures de conciliation travail-famille il y a déjà une douzaine d'années pour tenir compte, entre autres, de la réalité des parents séparés.

Quadco, comme d'autres entreprises, mise d'abord sur l'aménagement des horaires de travail: plutôt que de faire 40 heures en une semaine, un employé peut faire 30 heures la semaine où il a besoin de flexibilité et 50 heures la suivante. L'accommodement se fait «à coût nul» puisque les deux parties conviennent que c'est un déplacement du temps de travail et non du temps supplémentaire. Cette mesure, dont se sont prévalus quelques-uns des 66 employés d'usine au fil des ans, ne nuit ni à l'organisation du travail ni à la production.

«On est compréhensifs quand on sait qu'une personne vit des moments difficiles. C'est du cas par cas et on est toujours ouverts à trouver des solutions», dit Marie-Claude Fontaine, responsable environnement, santé et sécurité au travail chez Soprema, spécialisée dans la fabrication de membranes d'étanchéité. Or, si l'entreprise de Drummondville offre quantité de mesures de conciliation «travail et vie personnelle», l'aménagement des horaires n'y est pas toujours possible. Même pour les pères séparés en situation de garde partagée.

«Il faut qu'ils trouvent une autre solution. Ou qu'ils postulent sur un poste dont l'horaire est moins complexe», dit Mme Fontaine. Pour le reste, chez Soprema, hommes et femmes sont traités sur un pied d'égalité. «Les hommes sont encouragés à prendre leur congé de paternité», assure-t-elle.

Et la construction?

Réconcilier travail et vie de famille demeure un enjeu important dans les négociations du secteur de la construction, qui se poursuivront sous peu devant un arbitre. «[Les travailleurs] sont extrêmement sensibles à toute modification d'horaire qui peut toucher la conciliation travail-famille», dit Michel Trépanier, porte-parole de l'Alliance syndicale.

La stabilité est désormais plus importante que le salaire pour les employés de la construction, secteur qui ne compte que 2 % de femmes. Ces travailleurs sont en phase avec les autres pères du Québec: un papa sur deux changerait d'emploi et quatre sur dix accepteraient une baisse de salaire pour faciliter leur vie familiale, selon un sondage réalisé au printemps (1).

Luc Bourgoin, directeur général de l'Association de la construction du Québec, insiste toutefois sur le fait «qu'il y a toutes sortes de petits éléments de flexibilité dans les horaires qui sont disponibles». La partie patronale est ouverte à étendre certaines de ces pratiques, selon lui. Il n'est par ailleurs pas question de forcer la reprise des journées de travail manquées en raison des intempéries. Cette mesure serait «volontaire», dit-il.

Ces mesures de flexibilité sont peu appliquées, selon Michel Trépanier. François, travailleur de la construction depuis plus de 20 ans, croit que l'horaire est une question délicate dans la construction. «Si tu travailles pour une grosse compagnie et que tu fais trop de caprices, ils vont peut-être juste te dire qu'ils n'ont plus besoin de tes services», songe-t-il.

Séparé, avec deux jeunes enfants en garde partagée, François a lui aussi dû réaménager son horaire. Ses patrons se sont montrés compréhensifs. Il rentre plus tard, prend moins de pauses et travaille parfois plus tard les jours où il n'a pas ses enfants. «Il faut que ce soit donnant-donnant. Du vrai donnant-donnant. [...] Je ne suis pas un numéro dans la compagnie, ça aide», dit le charpentier de formation, qui travaille pour une entreprise comptant une dizaine d'employés.

François s'est fait taquiner une fois par un collègue qui trouvait qu'il arrivait tard sur le chantier. «Je lui ai dit de demander à sa femme si ça avait de l'allure que je lève mes enfants avant 6 h du matin pour venir travailler. Je n'en ai plus entendu parler après», raconte-t-il.

«Les entrepreneurs sont conscients que des mesures favorables à la conciliation travail-famille vont avoir des effets positifs sur la motivation, la mobilisation, mais aussi la rétention de leur personnel», assure Luc Bourgoin. Michel Trépanier estime pour sa part qu'on est «tous gagnants dans la société si on est capables d'avoir un équilibre entre nos responsabilités familiales et nos obligations professionnelles».

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1. Un sondage SOM réalisé au printemps 2017  pour le Regroupement pour la valorisation de la paternité

2. Les pratiques d'affaires des employeurs en matière de conciliation travail-famille: une étude exploratoire réalisée auprès de quelque 8000 employeurs québécois appartenant à une quarantaine de secteurs d'activité (2017)