À la naissance des enfants, très souvent, les relations avec nos parents changent. Les joies se multiplient... tout comme les tensions qu'il peut y avoir entre les générations. Les grands-parents sont souvent d'un grand soutien pour les parents, mais peuvent-ils critiquer ou intervenir dans l'éducation de leurs petits-enfants?

Grands-parents, mode d'emploi

Quand nous devenons parents, des changements surviennent dans les relations que nous entretenons avec nos propres parents, qui deviennent, eux, grands-parents. Comment gérer et définir les rôles de chacun? Entrevue avec la docteure en psychologie Vittoria Cesari Lusso, elle-même grand-mère et auteure de Parents et grands-parents, rivaux ou alliés?

Qu'est-ce qui a le plus changé d'une génération à une autre?

L'allongement de l'espérance de vie. C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que trois, parfois quatre (et même cinq) générations vivent de longues années ensemble. On se rend des services mutuels, on se fait plaisir les uns et les autres, mais il n'y a pas eu d'apprentissage à vivre ensemble pendant tout ce temps! Être des grands-parents s'invente tous les jours, et c'est un rôle qui doit être négocié avec les parents. Il y a aussi, à travers les années, le rôle de la femme qui a changé. Elle a intégré le monde du travail, ce qui fait que les grands-parents ont eu une plus grande place dans la garde des petits-enfants. L'autre phénomène que nous vivons, c'est l'éclatement des modèles familiaux. Les valeurs attachées à la vie de couple et à la vie familiale ont changé, on doit s'épanouir avant tout et viser haut dans la qualité de sa relation de couple, mais elle s'avère souvent décevante! Il y a davantage de ruptures des jeunes parents, et il y a là des conséquences sur le quotidien des grands-parents. C'est donc plein de nouvelles choses à gérer!

Quelles sont les tensions les plus fréquentes entre les parents et les grands-parents?

La sensation, parfois, qu'ont les grands-parents, c'est que les parents sont trop sévères avec leurs enfants, qui sont leurs petits-enfants! Une bonne partie des grands-parents se demandent s'ils doivent intervenir ou non. Se taire ou pas? D'autres sujets de divergence, ce sont les disputes entre cadets et aînés. Il y a aussi les questions d'éducation: les parents se plaignent que chez les grands-parents, il n'y a pas de limites et que les enfants sont insupportables quand ils reviennent chez eux! Ou alors, j'entends toujours des commentaires du genre: «Ma mère me prend toujours pour une gamine, elle me donne des conseils et me fait des listes, alors que je suis une mère responsable!» Il y a aussi des grands-parents qui s'approprient un peu trop leurs petits-enfants - par exemple, ils les emmènent chez le coiffeur sans consulter les parents, ce qui peut énerver!

Les grands-parents doivent-ils suivre les consignes d'éducation que leur donnent leurs enfants pour les petits-enfants?

Oui, évidemment. Il y a des grands-parents qui me disent: «J'ai des consignes à suivre comme si j'étais une employée de ma fille ! Elle pourrait me faire confiance!» C'est vrai que pour les bébés, par exemple, les choses ont tellement changé d'une génération à l'autre que, parfois, il est bon d'avoir des limites et des consignes très claires à suivre.

Quel est le rôle des grands-parents?

Il y a un rôle psychologique et affectif qui est très fort. Ça élargit la sphère affective des petits-enfants. Les petits-enfants, vers 4 ou 5 ans, commencent à comprendre la lignée des générations et demandent à leurs grands-parents comment étaient leurs parents quand ils étaient petits, ça les amuse beaucoup! Les grands-parents, aujourd'hui, apportent du soutien aux parents qui ont des vies très occupées (les grands-parents aussi!) en gardant leurs petits-enfants.

Vous écrivez que les rapports entre les beaux-parents et les belles-filles, ça peut être un terrain volcanique?

Ou glacial... Chaque famille a des habitudes différentes, et on a parfois l'impression d'être en terrain inconnu avec sa belle-fille ou son gendre, ou avec la famille de ceux-ci. Vous savez, des personnes complètement étrangères l'une à l'autre se retrouvent à faire partie de la même famille, quel que soit leur degré de sympathie. Les petites rivalités, ça fait partie de la nature humaine, à petites doses, disons.

Y a-t-il un stress physique et psychologique quand on garde ses petits-enfants?

Oui. Quand les grands-parents gardent leurs petits-enfants, ils peuvent être envahis par l'anxiété devant ces petits-enfants à protéger. On veut les rendre sains et saufs au papa et à la maman ! Quand l'âge avance, il faut aussi que les grands-parents acceptent leurs limites physiques, car c'est une grande responsabilité de garder des petits. On ne veut pas qu'il leur arrive quoi que ce soit. Les demandes des parents sont aussi trop grandes, parfois ils voudraient que leurs parents gardent leurs enfants pendant de longues périodes. Ils ne sont pas à leur disposition! Même les grands-parents qui sont très enthousiastes à garder leurs petits-enfants sont les premiers à dire qu'ils manquent souvent de reconnaissance de la part de leurs enfants. «Ils pourraient nous remercier de notre disponibilité!» C'est une joie d'avoir ses petits-enfants, mais c'est bien d'avoir aussi un petit signe de reconnaissance. Il ne faut pas non plus que les parents deviennent dépendants des grands-parents pour garder leurs petits-enfants, ça nuit aux relations familiales.

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Parents et grands-parents: rivaux ou alliés? Dre Vittoria Cesari Lusso. Éditions Favre.

Parents et grands-parents témoignent 

Florence, 43 ans mère de deux enfants de 13 et 10 ans

«À l'époque de mes parents, les enfants étaient des accessoires de leur vie, alors que pour nous, nos enfants sont le centre du monde. Mes parents avaient d'abord leur vie, et ensuite, ils avaient leurs enfants. On n'a pas les mêmes priorités aujourd'hui, au point où ma mère me demande souvent : ‟Est-ce que tu ne dévoues pas trop ta vie à tes enfants? Tes enfants ne sont-ils pas trop gâtés?" Quand on devient mère, on se questionne sur l'éducation qu'on a reçue et on remet beaucoup de choses en question. Depuis que j'ai des enfants, je dirais que je suis plus proche de ma mère, même s'il y a des tensions nouvelles. [...] Quand ma mère me fait des remarques sur l'éducation de mes enfants, ça m'énerve, et elle ne se retient pas pour critiquer!»

Céline Dupont, 67 ans grand-mère de deux petits-enfants de 5 et 7 ans

Il y a 11 ans, elle a déménagé de Sept-Îles à Montréal pour se rapprocher de sa fille, qui n'avait pas encore d'enfants.

«Je suis surprise de voir à quel point mes petits-enfants ont pris une si grande importance dans ma vie! Je ne pensais pas que j'allais être une mamie comme je suis ! C'est de l'amour inconditionnel, et ça m'apporte tellement de bonheur de m'occuper de mes petits-enfants. Mon lien avec ma fille a énormément changé depuis qu'elle a des enfants... Je me suis vraiment rapprochée d'elle, et nos relations se sont adoucies. On a une relation plus humaine, plus chaleureuse, plus intime, nos liens sont plus forts. J'aime la façon dont elle élève ses enfants et j'admire sa façon d'être maman. Je ne suis pas une grand-mère envahissante, je ne vais pas dire à ma fille quoi faire, je vais donner mon opinion quand ma fille me demande conseil.»

Pascale*, 57 ans mère de deux enfants de 26 et 29 ans

«Quand on devient mère, on traverse la ligne et on entre dans le camp des parents! On a énormément de caractère, ma mère et moi, et j'ai reçu une éducation très stricte. Et je dis souvent que si ma mère avait été aussi indulgente avec moi qu'elle l'est avec mes fils, je serais peut-être moins folle aujourd'hui! Je dis ça en plaisantant, mais ce n'est pas innocent comme propos! Ma mère a 84 ans, elle m'a beaucoup aidée avec mes fils quand ils étaient petits, elle a développé une relation privilégiée avec eux et je ne suis pas du tout jalouse de leur complicité, au contraire, mes fils l'adorent et je suis très contente. Et je me dis que le fait d'être une grand-maman gâteau, peut-être est-ce une façon de réparer sa maternité ? Par contre, j'avais un rapport difficile avec mon ex-belle-mère. Elle n'en faisait qu'à sa tête avec les enfants et ne respectait absolument pas nos principes d'éducation.»

Mélanie*, 40 ans mère de deux enfants de 4 et 5 ans

«Ce qui a changé depuis que je suis devenue mère de famille, c'est que je vois mes parents plus souvent. Ce qui est surprenant, c'est que mon père, qui a 80 ans, a développé une quasi-obsession pour ses petits-enfants, à tel point que c'est très difficile d'avoir une conversation avec lui si ça ne porte pas sur le sujet des petits-enfants. Ça occupe 100 % de son esprit! Il vient me voir presque tous les jours, sans ma mère! Ce qui est bien, c'est qu'il me donne un coup de main même si très rapidement, quand un enfant pleure, il dit: ‟Oh, il a besoin de sa maman, ce petit", et il me le redonne. Il passe parfois des petits commentaires sur certains éléments de l'éducation, mais il est très diplomate. Pour ce qui est de ma belle-mère, elle est toujours patiente, disponible et jamais envahissante, franchement, je suis contente de l'avoir.»

Marcel Rondeau, 67 ans grand-père de deux petits-enfants de 1 an et 3 ans

«Je suis le premier répondant pour la garde de mes petits-enfants ! Je suis beaucoup plus présent depuis que ma fille et son conjoint ont des enfants. Ça me fait plaisir de les voir et de m'amuser avec eux, et je suis content aussi de pouvoir aider ma fille à avoir un peu de répit. J'ai été absent dans le passé avec mes enfants lors de ma séparation, je les voyais environ deux fois par mois, alors c'est important pour moi d'être présent. Je suis à la retraite, j'ai du temps, et ça me fait tellement plaisir!»

Sylvie, 66 ans grand-mère de trois petits-enfants

«Ma relation avec mes deux filles a changé depuis qu'elles sont devenues des mères de famille. Il y a des désaccords sur certaines choses, par exemple, quand je vois tout l'équipement électronique de mes petits-enfants, je trouve qu'ils devraient passer plus de temps dehors! Par moments, ça manque de discipline, mais ce ne sont pas mes enfants! Je ne suis pas là pour faire leur éducation. J'offre un rôle de soutien, je prépare des repas, je vais garder, et j'ai une belle complicité avec mes petits-enfants. Oui, j'écoute les consignes que me donnent mes filles, et je me le fais rappeler si je ne les suis pas! Je crois qu'il est plus difficile d'être parents aujourd'hui! Le rythme des parents est fou, et c'est pour cette raison que les grands-parents sont plus présents aujourd'hui.»

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* Pour se confier en toute liberté, Pascale et Mélanie ont demandé l'anonymat.