L'été tire à sa fin, mais il reste encore une dizaine de jours avant la rentrée. Pour occuper les enfants alanguis, on peut les envoyer jouer dans la cour d'école... à condition qu'elle ne soit pas cadenassée pour l'été. La Presse a visité 12 cours : six étaient ouvertes et six, fermées.

Paul-Bruchési (CSDM) - Ouverte

1310, boulevard Saint-Joseph Est Montréal (Québec) H2J 1M2

Cette belle cour du Plateau-Mont-Royal offre deux filets de hockey, des paniers de basketball, des jeux de poche et des buts de soccer. Merveilleux pour les enfants du quartier.

Saint-Albert-le-Grand (CSDM) - Ouverte

5050, 18e Avenue, Montréal (Québec) H1X 2N9

Dans Rosemont, la grande cour de l'école Saint-Albert-le-Grand est ouverte. Avec son asphalte craquelé squatté par les herbes, elle ne paie pas de mine, mais il est possible d'y jouer au ballon ou d'y apprendre à faire du vélo.

L'école Garneau (CSDM*) - Fermée

1808, avenue Papineau, Montréal (Québec) H2K 4J1

La grande cour de l'école Garneau, à proximité de l'entrée du pont Jacques-Cartier, est cadenassée. Impossible pour les jeunes du quartier d'utiliser les terrains de sport colorés qu'on y trouve. Exception: une section transformée en potager est fréquentée par les enfants des camps de jour. C'est Élizabeth Deit, animatrice de l'organisme Sentier Urbain, qui les accueille.

Carlyle (CSEM) - Fermée

109, avenue Carlyle, Mont-Royal (Québec) H3R 1S8

«Tout le voisinage aimerait y avoir accès, témoigne Myriam Gehami, mère de deux enfants. Il y a une immense cour gazonnée, des paniers de basket, des filets de soccer et un terrain de baseball.»

Marie-Favery (CSDM) - Fermée

7750, avenue Christophe-Colomb Montréal (Québec) H2R 2S9

Six cadenas font en sorte que l'accès à la grande cour d'école de Villeray est impossible, à moins de grimper par-dessus la clôture. Lors du passage de La Presse, seuls de petits oiseaux en profitaient. Dommage.

Lévis-Sauvé (CSMB*) - Fermée

655, rue Willibrord, Montréal (Québec) H4G 2T8

«Un des rares espaces publics auxquels les enfants avaient accès dans le quartier a été enlevé, les privant d'un endroit pour apprendre à faire du vélo, jouer au tennis sur le mur et dans les modules de jeux», dénonce Benoit Gratton, père de trois enfants. La cour de Lévis-Sauvé a été fermée il y a un an.

Hochelaga (CSDM) - Ouverte

3349, rue Adam, Montréal (Québec) H1W 1Y2

La cour de l'école Hochelaga est ouverte, mais petite et triste. Impossible de jouer au basketball: les paniers ont été enlevés. Çà et là, le sol est jonché de canettes de bière et de mégots de joints. Heureusement, un beau parc se trouve à côté.

Champlain (CSDM) - Fermée

2260, rue Logan, Montréal (Québec) H2K 4K7

Les deux cours de l'école Champlain, dans le Centre-Sud, sont fermées. Tant les terrains sportifs que le module de jeux coloré, avec glissade, sont inaccessibles. Cette école est pourtant la voisine immédiate du quartier général de la Sûreté du Québec. Y a-t-il vraiment des gens suffisamment effrontés pour aller y faire du vandalisme?

Edinburgh (CSEM*) - Fermée

500, avenue Hudson, Montréal-Ouest (Québec) H4X 1X1

«Ici, les enfants sont rois!», lit-on sur un panneau planté dans la belle aire de jeux inaccessible de l'école Edinburgh. Rois pendant l'année scolaire, indésirables l'été venu...

Adélard-Desrosiers (CSPI) - Ouverte

12 600, rue Fortin, Montréal (Québec) H1G 4A1

Un garçon faisait de la planche à roulettes dans cette immense cour, très propre, lors du passage de La Presse. On y trouve aussi un module de jeux avec glissade. «Attention, une caméra vous surveille», prévient une affiche.

Saint-Rémi (CSPI*) - Ouverte

10152, rue Rome, Montréal (Québec) H1H 4N6

Choyés, les enfants de Montréal-Nord ont accès à un beau module de jeux dans la cour de l'école Saint-Rémi, ainsi qu'à des paniers de basketball et à un jeu de poches.

Madeleine-de-Verchères (CSDM) - Ouverte

6017, rue Cartier Montréal (Québec) H2G 2V4

«Notre cour d'école est ouverte en tout temps, dit Mireille Azema, dont la fille fréquente Madeleine-de-Verchères. Il y a un potager créé par les élèves. L'été, on peut aller s'en occuper et récolter les légumes.»

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Lexique: Commission scolaire de Montréal (CSDM), Commission scolaire de la Pointe-de-l'Île (CSPI), Commission scolaire English-Montréal (CSEM) et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB).

Note: Certaines écoles ont été choisies au hasard, d'autres ont été suggérées par des lecteurs.

Ouvre-moi ta cour

Myriam Gehami, mère de deux enfants de 10 et 12 ans, habite «à 60 secondes de marche» de l'école Carlyle, à Mont-Royal. «Il y a une immense cour gazonnée, des paniers de basket, des filets de soccer et un terrain de baseball», décrit-elle.

Gros hic: la cour est cadenassée pour l'été. «C'est choquant pour les parents qui paient des taxes et pour les enfants, dénonce M me  Gehami. Tout le voisinage aimerait y avoir accès.»

Au cours de la dernière année scolaire, le ministère de l'Éducation a consacré 2,4 millions au financement de 134 projets d'embellissement de cours d'école. «Comme l'adoption d'un mode de vie physiquement actif doit être encouragée tôt, l'école a un rôle important à jouer à cet égard», a dit François Blais, le ministre de l'Éducation, lors de l'annonce de la rénovation de la cour de l'école Maria-Goretti de Québec, en mai.

Avec des cours fermées en soirée, les week-ends et l'été, oublie-t-on que les enfants continuent d'exister une fois la cloche sonnée ? À la Commission scolaire English-Montréal, dont relève l'école Carlyle, l'accès aux cours est généralement possible, selon le porte-parole Michael Cohen.

Mais «nous avons beaucoup de cas où les gens promènent leurs chiens, qui font [leurs besoins] sur la pelouse», précise-t-il.

«Nous avons aussi eu des situations où des gens traînaient dans nos cours, buvaient et laissaient des bouteilles cassées. Donc, pour certaines écoles, nous devons garder les portes verrouillées.»

Orphelins de cour

Or, des études démontrent «que donner accès aux cours d'école en dehors des heures de classe est une façon d'augmenter la pratique d'activité physique des jeunes du voisinage, indique une publication de l'Institut national de santé publique du Québec (Topo, juillet 2011). Particulièrement en milieu urbain, où tous n'ont pas accès à une cour arrière.»

Heureusement, le message passe: 88 % des écoles primaires et 89 % des écoles secondaires publiques permettent aux jeunes d'accéder à la cour d'école en dehors des heures de classe, selon le site internet Veille action pour de saines habitudes de vie, édité par Québec en forme. Contre seulement 39 % des écoles secondaires privées...

Cela laisse tout de même bien des jeunes orphelins de cour. Parmi eux se trouvent Éloi, 4 ans, Maxence, 6 ans, et Jeanne, 8 ans. Les trois enfants de Benoit Gratton et Marie-Andrée Bénard habitent en face de la cour de l'école Lévis-Sauvé, dans l'arrondissement de Verdun.

Depuis un an, ils ne peuvent plus y faire de vélo, jouer au ballon et s'amuser dans les modules. «À notre grand désarroi, elle est cadenassée les soirs, fins de semaine et tout l'été», dit M. Gratton, qui est président du conseil d'établissement de Lévis-Sauvé.

Explication: l'ombudsman de Montréal a reçu une plainte dénonçant le bruit fait par des fêtards dans cette cour. «On a communiqué avec la direction de l'école. La solution qui a été trouvée par l'école, c'est la fermeture. Ce n'est pas venu de notre bureau», dit Lucie Legault, conseillère à l'ombudsman de Montréal.

«En règle générale, les cours sont accessibles, à moins qu'il y ait des cas répétés de vandalisme», explique Jean-Michel Nahas, porte-parole de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, dont relève Lévis-Sauvé.

«Dans ce cas, la direction de l'établissement peut décider de fermer la cour en dehors des heures régulières d'école.» C'est ce qui est arrivé à Verdun, a précisé M. Nahas.

Autres solutions proposées

«Si le conseil d'établissement avait été consulté, nous aurions eu plusieurs solutions à proposer pour régler le problème», plaide M. Gratton. Parmi elles: demander à la police de mieux surveiller la cour, fermer les grilles au coucher du soleil, optimiser l'utilisation des caméras de surveillance déjà présentes et améliorer l'éclairage.

«Ils pourraient trouver une autre solution que la fermeture, reconnaît M me  Legault. Une solution qui permettrait à la fois aux enfants d'avoir accès à la cour et de préserver la quiétude du quartier. Il n'y a jamais une solution unique dans un dossier.»

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Myriam Gehami, mère de Noah photographié ici avec son ami Philippe Gratton, devant la cour de l'école Carlyle qui est cadenassée.

Seulement 10 % des jeunes sont suffisamment actifs

Jeune, Jean-Philippe Chaput allait jouer au hockey-bottines dans une cour d'école de Granby. Aujourd'hui professeur adjoint à la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa, il remarque que plusieurs cours d'école sont cadenassées. «On n'a plus le droit de vouloir jouer, observe-t-il. C'est malheureux.» La Presse l'a joint à Ottawa.

Que pensez-vous des cours d'école auxquelles l'accès est interdit durant l'été?

Comme personne qui travaille en médecine préventive, pour la promotion des saines habitudes de vie, je suis contre. Au Canada, on vit une épidémie d'inactivité physique - seulement 10 % des jeunes font une heure d'activité physique d'intensité moyenne à vigoureuse par jour, ce qui est la directive. Du point de vue de la santé, ce serait bien mieux que les jeunes aient accès aux cours d'école, où il y a beaucoup de place pour jouer. C'est un peu stupide que ce soit fermé pendant plusieurs mois l'été, ainsi que les soirs et week-ends.

Que répondez-vous à ceux qui veulent éviter le vandalisme?

C'est secondaire par rapport aux bienfaits sur la santé. Donner accès aux cours d'école, ça ne fait pas juste en sorte que les jeunes sont plus actifs. Ça a aussi un effet positif sur les interactions sociales. C'est sûr que ça prend une volonté politique. Il y a plusieurs questions à prendre en compte. Malgré tout, je pense qu'on doit prioriser l'accès des jeunes aux cours d'école.

Est-il clair qu'avec un accès plus grand aux installations sportives, les jeunes sont plus actifs?

Dans certains quartiers où c'est moins favorisé, où l'accès aux installations est plus difficile, c'est prouvé. Les deux principales barrières à l'activité physique, c'est le temps consacré aux écrans et la sécurité. La sécurité est une mesure subjective: les gens croient que c'est moins sécuritaire qu'avant d'aller dehors, mais quand on étudie les statistiques sur les crimes et les enlèvements d'enfants, ce n'est pas pire qu'il y a 30 ans. Ce qui a changé, c'est qu'on en parle plus dans les médias et ailleurs.

Est-il vrai que la cour d'école a l'avantage d'être connue des enfants et des parents, et est donc possiblement considérée comme sécuritaire?

Oui, c'est sûr. D'autant qu'on y trouve parfois des pancartes: on ne veut pas que les jeunes courent ou qu'ils utilisent leurs planches à roulettes, pour assurer leur sécurité. On n'accepte aucun risque, ce qui a pour conséquence que nos enfants sont sédentaires.

Quand j'étais jeune, je montais aux arbres, je jouais un peu partout dehors, j'avais cette liberté. Il se pouvait que je revienne à la maison avec un coude qui saignait. Ça permet de voir nos limites et d'apprendre la vraie vie.

PHOTO MASTERFILE

«Notre cour est ouverte en tout temps»

Des parents et enseignants nous livrent leurs réflexions quant à l'importance de l'accès aux cours d'école

Un lieu de rencontre

«Notre cour est ouverte en tout temps, dit Mireille Azema, dont la fille Emma, 6 ans, fréquente l'école Madeleine-de-Verchères, à Montréal. Nous en avons beaucoup profité l'été avant son entrée en maternelle, pour la familiariser avec les lieux et enlever les inquiétudes liées à la première rentrée.»

Depuis qu'Emma va en classe, «on y passe la fin de semaine à vélo, on y croise toujours une ou deux familles, les enfants se connaissent souvent, raconte Mme Azema. Des activités sportives sont aussi organisées la fin de semaine, pour les parents et les enfants.»

Cour sans clôture

«Ici, la cour d'école est accessible en tout temps, elle n'est pas clôturée», indique Alice Bélanger, de Saint-Alexandre-de-Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent. À la rentrée, quatre de ses enfants fréquenteront l'école Hudon-Ferland: Laurent, 4 ans, Léonie, 6 ans, Augustin, 8 ans, et Adrien, 10 ans. Flavie, 21 mois, suivra dans quelques années.

«Nous n'avons pas de problème de propreté ou de grands ados qui salissent, assure Mme Bélanger. Du moins, pas à ma connaissance, et je suis présidente du conseil d'établissement.»

Vélo sans petites roues

«Nous sommes à Verdun, et la cour de l'école Notre-Dame-de-la-Garde est accessible soir, week-end et été, dit Catherine Poirier, mère de deux enfants de 6 et 9 ans. Les enfants y jouent presque tous les soirs. C'est d'ailleurs l'endroit où ma fille a appris à faire du vélo à deux roues.»

Bouteilles brisées

«La cour n'est pas verrouillée, donc accessible à tous, indique Marc-André, enseignant dans une école du Plateau-Mont-Royal, à Montréal. C'est bien que la communauté en profite, mais les élèves en subissent les conséquences le matin, à leur retour en classe. On y retrouve des bouteilles de verre brisées, des mégots, du vandalisme. En plus, certains y promènent leur chien et laissent les besoins au sol... Mon choix: je mettrais un cadenas sur la clôture. Je sais, c'est dommage pour les jeunes enfants qui y viennent pour y jouer à la balle au mur ou y faire de la planche à roulettes.»

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Mireille Azema, Mathieu Paradis et Emma, 6 ans, dans la cour de l'école Madeleine-de-Verchères.