L'enfant impulsif est comme une orchidée. Quand on s'en occupe mal, il se fane et risque d'avoir plusieurs problèmes en grandissant. Mais quand on en prend soin, sa vulnérabilité se transforme en force: il s'en tire très bien... voire mieux que les autres.

Une métaphore suédoise compare les enfants à des fleurs. Il y a les enfants pissenlits, qui se développent bien dans n'importe quelle condition. Et il y a les enfants orchidées, qui dépérissent en milieu hostile, mais qui font des fleurs magnifiques et surpassent les autres lorsqu'on en prend soin.

Cette image reflète bien des théories récentes en psychologie du développement. Oui, certains traits de personnalité, dont l'impulsivité, augmentent le risque de développer des problèmes dans un milieu hostile. Mais cette «vulnérabilité» s'avère aussi un avantage lorsque l'enfant évolue dans un bon milieu.

«On n'avait pas de preuve de cela, c'était une théorie, explique Natalie Castellanos Ryan, professeure adjointe à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. Mais dans les dernières années, un certain nombre d'études s'y sont intéressées de façon spécifique. Et on a découvert que c'était le cas.»

L'impulsivité: un avantage

Des chercheurs du CHU Sainte-Justine et de l'Université de Montréal ont obtenu des résultats qui rejoignent la théorie de l'enfant orchidée dans une étude publiée cette année dans la revue scientifique Development and Psychopathology. Ils ont regardé le lien entre les pratiques coercitives des parents à l'âge de 6 ans et la consommation d'alcool à l'âge de 15 ans. L'échantillon comprenait 209 adolescents. Par pratique coercitive, on entend frapper, secouer et crier.

«Quand on comparait un enfant impulsif à un enfant moins impulsif, celui qui était impulsif consommait plus d'alcool quand les pratiques coercitives étaient élevées - c'est la vulnérabilité qu'on a toujours lue. Mais quand les pratiques coercitives étaient faibles, ils consommaient moins d'alcool que ceux qui étaient moins impulsifs», explique Charlie Rioux, candidate au doctorat en psychologie et première auteure de l'article.

La consommation d'alcool avant l'âge de 16 ans est une mesure révélatrice: plus on consomme tôt, plus on est susceptible de développer des problèmes de dépendance, d'avoir des comportements risqués, de ne pas obtenir de diplôme...

Les chercheurs ont aussi réalisé une revue de littérature dont les résultats vont dans le même sens. Lorsqu'ils sont élevés dans un milieu adéquat, les enfants ayant des tempéraments «aventureux» - impulsivité, désinhibition, ou faible niveau de gêne ou de peur - semblent avoir moins de comportements délinquants et antisociaux plus tard.

Il est récent que les chercheurs prennent la peine d'étudier et de comparer la trajectoire des enfants au tempérament «difficile qui ont grandi dans un bon environnement. Ce sujet suscite aujourd'hui beaucoup d'intérêt dans les congrès», souligne Charlie Rioux.

«On testait des interactions statistiques, mais on supposait qu'elles fonctionnaient toujours de la même manière. Il faut que les gens pensent à aller plus loin quand ils ont un résultat statistique», illustre le chercheur Jean R. Séguin, codirecteur de la thèse, qui salue l'initiative de Charlie Rioux.

Plus sensibles

D'accord, l'impulsivité peut s'avérer un avantage dans un bon environnement. Mais pourquoi?

On ne le sait pas entièrement, convient Natalie Castellanos Ryan, codirectrice de la thèse de Charlie Rioux. «La théorie suggère que ces enfants sont plus sensibles à leur environnement, explique-t-elle. Ils vont bénéficier de bonnes habiletés parentales, mais seront aussi plus sensibles aux occasions favorables que la vie leur offre.»

On ignore toutefois l'effet qu'aurait un bon environnement sur eux: est-ce que ça induit des changements dans le cerveau, des changements épigénétiques? L'impulsivité vient-elle avec une autre habileté, comme l'empathie? L'enfant en développe-t-il une? La recherche se poursuit.

D'ailleurs, Natalie Castellanos Ryan et son équipe s'apprêtent à éclaircir davantage la question, mais de façon empirique, en menant un essai randomisé. L'équipe recrute actuellement des parents et leurs enfants au sein d'une cohorte de 2000 enfants suivis depuis la grossesse. Lorsque les enfants auront 4 ans, la moitié des parents vont recevoir un entraînement, et l'autre moitié n'en recevra pas. Les enfants seront ensuite suivis tout au long de leur parcours scolaire.

L'entraînement parental montre aux parents des stratégies adéquates de gestion de comportement : comment faire du renforcement positif quand les comportements sont adéquats, comment apprendre à son enfant à répondre de façon non agressive, comment éviter de crier quand les enfants nous mettent en colère...

«Si ces enfants étaient dans une trajectoire risquée à l'âge de 4 ans, peut-on changer cette trajectoire en entraînant les parents pour modifier leurs pratiques?», se questionne Natalie Castellanos Ryan.

D'ici à ce qu'on en sache davantage, une chose semble claire aux yeux de Charlie Rioux: «Il ne faut pas être découragé d'avoir un enfant impulsif, parce qu'il ne va pas nécessairement avoir plus de problèmes. Il peut bien s'en sortir. Et il peut même aller mieux que les autres.»

Impulsivité et TDAH

Avec l'inattention et l'hyperactivité, l'impulsivité est l'un des principaux symptômes du trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH), mais un enfant peut être impulsif sans satisfaire aux critères diagnostiques du TDAH. Les études qui mettent en lumière les avantages de l'impulsivité n'ont pas tenu compte des diagnostics attribués aux enfants; on peut donc déduire qu'il y avait des enfants avec un diagnostic de TDAH dans les échantillons. «La théorie suggère que ces enfants pourraient aussi bénéficier de bons environnements, mais ça n'a pas été testé pour l'instant et devrait donc être le sujet d'études futures», indique Charlie Rioux.

Le quotidien d'une famille

Victor* a toujours eu beaucoup d'initiative et beaucoup d'énergie, mais ses parents vivaient bien avec cela dans ses premières années de vie. «Je l'accompagnais dans ses idées et je trouvais ça génial, raconte sa maman, Julie. Jusqu'au jour où on l'a mis en garderie, à l'âge de 3 ans.»

Son éducatrice s'est plainte que Victor voulait toujours que ça se passe à sa façon, qu'il bougeait beaucoup. Et qu'il était impulsif. Ses parents aussi le trouvaient impulsif, mais c'était leur fils unique et ils avaient peu de références.

Ils se sont dit qu'ils avaient été trop permissifs avec lui et qu'ils devaient serrer la vis. «Et pendant un an, on s'en est pris plein la gueule», résume Julie, entrepreneure de 35 ans.

Le stress que vivait Victor amplifiait son impulsivité. À la garderie, il poussait les amis. À la maison, lorsqu'il était contrarié, il lançait ses voitures sur ses parents et sur les portes en verre (il en a même fracassé une). Un jour, parce qu'il était fâché de ne pas pouvoir emprunter l'escalier qui venait d'être ciré, Victor a décidé... d'uriner sur l'escalier.

Victor a aussi beaucoup de difficulté à attendre et à gérer l'ennui. Quand sa mère est au téléphone et qu'il veut lui parler, il crie, jusqu'à ce qu'elle change de pièce et qu'elle finisse par raccrocher.

Génétique

D'où vient l'impulsivité?

L'impulsivité est un trait de tempérament. Et on naît avec son tempérament, explique Natalie Castellanos Ryan, professeure adjointe à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal.

La littérature scientifique montre que les enfants très impulsifs ont de la difficulté à accomplir des tâches associées aux fonctions cognitives liées au cortex préfrontal du cerveau. Soulignons que les lobes frontaux se développent jusqu'au milieu de la vingtaine.

«Nous avons trouvé que l'impulsivité, lorsqu'elle était mesurée avec ces tâches cognitives et un questionnaire de personnalité, prédit plusieurs problèmes : troubles de comportement, trouble d'opposition, abus de substances, symptômes de trouble de déficit d'attention et d'hyperactivité», énumère Natalie Castellanos Ryan.

Mais il y a de l'espoir. Beaucoup d'espoir, même. «Nous avons toujours pensé aux facteurs de risque négatifs, mais on découvre que les enfants impulsifs peuvent aller vraiment, vraiment bien s'ils grandissent dans un environnement favorable», rappelle-t-elle. Et les parents n'ont pas besoin d'être des parents parfaits : ils doivent simplement ne pas frapper et ne pas trop crier.

Pour aider Victor, Julie et son conjoint ont consulté une psychoéducatrice, puis une psychologue. Ils ont appris à s'accepter comme parents, à accepter Victor tel qu'il est et à choisir leurs batailles avec lui. Ils l'ont aussi changé de garderie pour un milieu plus adapté à lui.

Victor, quatre ans et demi, a de l'enthousiasme et des idées à revendre. «Je me suis toujours dit, dans les moments difficiles, que le but, ce n'est pas d'élever un enfant; le but, c'est d'élever un enfant qui va devenir un adulte. Et là-dessus, je ne suis pas inquiète», conclut sa maman.

* Les prénoms ont été changés.



Types d'impulsivité

Il existe plusieurs sortes d'impulsivité et les enfants impulsifs peuvent avoir de la difficulté à accomplir les tâches liées à l'une ou plusieurs fonctions du cerveau. En voici trois: 

Fonctions exécutives: ce sont les capacités du cerveau impliquées dans toute action orientée vers un but. Ça comprend notamment la planification et la mémoire de travail.

Gratification différée: c'est la capacité d'attendre une récompense différée plus grande au lieu d'opter pour une gratification immédiate plus petite. Bref, c'est la capacité d'envisager des conséquences à long terme. Un déficit de cette fonction est particulièrement prédictif de troubles associés. Le test de la guimauve permettrait de mesurer cette capacité chez les enfants: on leur offre une guimauve et on leur dit que, s'ils ne la mangent pas d'ici cinq minutes, ils en recevront deux autres.

Inhibition des réponses: c'est la capacité à réprimer des réactions non voulues. «Quand on commence quelque chose, c'est très difficile d'arrêter le comportement», explique Natalie Castellanos Ryan, qui souligne que cette fonction, «très biologique», est probablement «la plus difficile à entraîner».

Photomontage La Presse

Quelques conseils

Pour un adulte, vivre avec un enfant impulsif est source d'émerveillement... et de découragement, parfois. Voici quelques conseils, destinés aux parents, aux éducateurs en garderie et aux enseignants.

Observer

«Le défi, tant pour le parent que pour l'éducateur, c'est de comprendre ce qui a mené au geste impulsif», explique Sophie Parent, professeure à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. Elle donne l'exemple d'un enfant trop spontané dans ses manifestations d'affection qui se fait repousser par ses petits amis. «Il peut vivre ça comme un rejet parce que, pour lui, son approche était amicale. Et ça peut dégénérer en conflit.» Quand l'adulte trouve le déclencheur, il peut faire un peu de coaching auprès de l'enfant. «Dans ce cas-ci, il pourrait expliquer à l'enfant comment approcher les autres enfants», dit-elle.

Garder son calme

Il est important de faire de la discipline quand les enfants dépassent les limites, «mais il faut le faire en gardant son sang-froid», rappelle Natalie Castellanos Ryan, de l'École de psychoéducation. Ça peut être un défi pour le parent, convient Sophie Parent: «Comme il y a une part génétique dans l'impulsivité, ça peut faire des flammèches», dit-elle en souriant. Le parent peut prendre un temps mort ou, si possible, déléguer la tâche à son conjoint. Et s'il lui arrive de crier (parce que oui, ça arrive!), pourquoi ne pas s'excuser? L'important, note Natalie Castellanos Ryan, c'est de maintenir la communication ouverte.

Maintenir la qualité du lien

Quand on est toujours en train de faire de la «gestion de comportements», un climat de tension peut s'installer entre le parent et l'enfant. «Et ça, c'est la dernière chose dont cet enfant-là a besoin, souligne Sophie Parent. Il a besoin de savoir que les adultes autour de lui croient en lui, sont là pour lui et qu'ils l'apprécient pour ce qu'il est. Ça ne peut pas se faire autrement qu'en ayant des activités plaisantes ensemble.» Il faut donc prendre le temps de faire des activités que l'enfant aime et pendant lesquelles il ne se perçoit pas comme celui qui nuit.

Persévérer

Tous les enfants doivent apprendre à gérer leurs émotions et leurs comportements. Mais pour les enfants impulsifs, la tâche s'avère plus ardue. Sophie Parent compare cet apprentissage à celui de l'équitation: certains enfants apprennent à monter à cheval sur un poney docile. D'autres... sur un mustang sauvage. «Ça se peut que ça prenne plus de temps, plus de répétitions, plus d'encadrement de la part des parents et des autres adultes, rappelle Sophie Parent. Mais avec le temps, tranquillement, la base de connaissances s'améliore et le cortex frontal se développe.»

Demander de l'aide

Si on sent qu'on ne peut garder son calme, si la relation se met à dégénérer, si l'enfant devient plus agressif, mieux vaut demander de l'aide, conseillent Natalie Castellanos Ryan et Sophie Parent. On peut aller cogner à la porte des CLSC et des organismes communautaires de sa région pour connaître les ressources locales. On peut aussi aller au privé, en psychoéducation ou en psychologie. Les approches cognitives comportementales et celles conçues pour améliorer le lien parent-enfant et réduire les difficultés comportementales des enfants sont souvent conseillées.

Photomontage La Presse