Le «parentage», c'est quoi, au juste? Un nouveau mot qui définit ce que font - ou devraient faire - les parents pour élever de bons enfants? Vraiment? Une psychologue a publié il y a quelques jours un vibrant plaidoyer pour en finir avec la parentalité. Exit les grandes théories, dit-elle. Qu'on se le dise: un enfant, ça ne naît pas avec un mode d'emploi.

Jardinier plutôt que charpentier

Alison Gopnik est professeure de psychologie et de philosophie à l'Université de la Californie, à Berkeley. Après avoir écrit un article provocant dans le Wall Street Journal («A Manifesto Against "Parenting"»), voilà qu'elle revient à la charge et a publié il y a quelques jours un livre sur le même sujet (The Gardener and the Carpenter). Cinq questions pour comprendre.

Vous avez signé dans le Wall Street Journal le mois dernier un vibrant manifeste contre le «parentage». Mais qu'est-ce que vous avez contre la parentalité?

Je ne pense pas qu'il y ait d'équivalent en français pour parenting, un verbe qui est apparu en 1958 aux États-Unis et qu'on n'utilise couramment que depuis les années 70. Bien sûr, les gens sont des parents depuis la nuit des temps. Mais cette idée qu'il y a une activité bien particulière, des choses précises à faire, en tant que parent, pour élever un enfant bien spécifique, au lieu d'être un parent, tout simplement, est relativement récente.

Selon vous, être un parent, c'est un peu comme être un jardinier (et non un charpentier). Que voulez-vous dire précisément?

La vision du parentage dépeint le parent comme un charpentier qui formate son enfant pour qu'il devienne un adulte particulier. Mais la science nous indique au contraire que les enfants ne se développent pas du tout de cette manière. Ce que dit la science, c'est plutôt que le parent est un genre de jardinier. Il travaille son sol, le rend fertile, fait de l'espace pour ses plantes. Ce qui pousse est un réel écosystème. Tous ceux qui travaillent la terre le savent : il est impossible de prévoir le résultat final. Un écosystème en santé va pousser dans toutes les directions. Rien ne pousse jamais vraiment comme prévu (rires!). Mais quand je dis que le parent est un jardinier, il y a aussi une raison plus profonde à cela. C'est qu'un écosystème se doit d'être diversifié pour pouvoir bien réagir à tous les changements dans l'environnement. 

Et comment s'est-on éloigné du modèle du jardinier pour tous devenir charpentiers?

Pour surmonter les défis, il y a toujours eu toute une communauté de gens qui s'occupaient des enfants. On dit qu'il faut un village pour élever un enfant, et c'est très propre aux humains. Chez les chimpanzés, il n'y a que la femelle qui s'occupe de ses petits. Nous, les humains, sommes une des rares espèces où l'enfance est si longue, où nous avons des grands-mères (des femelles qui survivent passé la ménopause), un lien entre le mâle et ses petits, etc. Dans la plus grande partie de l'histoire de l'humanité, c'est avec cette communauté qu'on a géré cette longue période d'immaturité chez les humains (l'enfance). Mais au tournant du XXe siècle, les familles se sont rétrécies, les gens ont fait des enfants plus tard, sont devenus plus mobiles et ont étudié et travaillé longtemps avant d'avoir une famille. Du coup, cela a complètement changé comment on fait les enfants. Si en allant à l'école, pour réussir, on s'habitue à lire des livres et chercher une expertise, on va faire la même chose avec les enfants. Comme si les enfants étaient une autre sorte de travail...

Vous écrivez qu'un bon parent ne devrait pas vouloir rendre son enfant heureux, intelligent ou performant. C'est assez provocant comme affirmation.

Bien sûr, on peut espérer que nos enfants soient heureux et qu'ils réussiront, mais vous savez, c'est un peu comme l'insomnie. Le plus on y pense, le moins on a de chances de réussir! Chaque génération d'enfants va devoir faire face à de nouveaux défis. Les défis du XXIe siècle sont très différents de ceux du XXe. Ce que l'on peut faire, par contre, c'est transmettre nos valeurs, exprimer ce qui est important à nos yeux et offrir le plus de ressources possible à nos enfants. Mais non, on ne peut pas rendre notre enfant de telle ou telle manière. Dans un bon écosystème, il y a toutes sortes de variations. Et de la même manière, tous les enfants sont différents. On ne peut pas prévoir comment ils vont tourner! Certains sont toujours heureux, d'autres non, certains sont intenses, d'autres, plus calmes. Il n'y a pas de mode d'emploi.

Alors, qu'est-ce qu'on fait si on veut bien faire comme parent?

Dans le fond, on le sait tous: il faut aimer nos enfants, en prendre soin, c'est capital. [...] Ensuite, il faut offrir un sentiment de stabilité et de sécurité [ironiquement, pour les laisser ensuite prendre des risques et voler de leurs propres ailes]. [...] Et puis enfin, il faut leur transmettre nos valeurs. Bref, leur donner tout ce qu'on peut, sans essayer de les formater.

Alison Gopnik. The Gardener and the Carpenter. Farrar, Straus and Giroux, 2016.

Pour en finir avec les grandes questions

Pour ou contre la sucette, le cododo, les devoirs? Sur toutes ces questions, et mille autres, le débat fait rage. Mais savez-vous quoi? En fin de compte, ça ne change rien. Ou presque.

«Les études démontrent que toutes ces petites choses que l'on vit dans notre enfance n'auront finalement pas vraiment d'effet sur le reste de notre vie», déclare Alison Gopnik, psychologue et spécialiste du développement des enfants.

Le saviez-vous? Certains débattent même de la position d'un enfant dans une poussette: face à la rue ou au parent?

«Mais toutes ces petites choses qui stressent les parents de la classe moyenne, il n'y a pas la moindre preuve que cela aura une influence sur l'avenir de l'enfant.»

Elle sait de quoi elle parle. Car comme tous les parents, Alison Gopnik n'y a pas échappé. Dans The Gardener and the Carpenter, l'auteure raconte s'être demandée quand laisser son garçon se rendre seul à l'école, à 8 ans ou avant? Aurait-elle dû forcer son plus jeune à lire davantage? Et son premier de classe, aurait-il fallu lui donner plus de temps pour jouer ou alors pour étudier? Et si elle ne s'était pas séparée, est-ce que ses enfants se seraient développés autrement? Seraient-ils devenus de meilleurs adultes? «Il n'y a tout simplement pas de réponse. Tout dépend de l'enfant, du contexte. Mieux vaut suivre son intuition!», conseille-t-elle, tout simplement.

Ce qui compte, bien sûr, ce sont de grandes variables dans la vie d'un enfant: un milieu socioéconomique faible, une garderie de piètre qualité, des parents peu disponibles, «ça, ce sont des choses qui auront un impact à long terme», résume-t-elle.

Avec votre conjoint, conclut-elle, vous posez-vous toutes ces questions? «On ne se demande pas si on a fait de notre mari un meilleur homme? Ce serait creepy! poursuit-elle. On dit plutôt qu'on a vécu beaucoup de choses ensemble, qu'on a une relation solide, ce devrait donc être la même chose avec les enfants!»

Pour ou contre les écrans?

C'est la question du moment: quoi penser de l'effet de la technologie sur le développement de nos enfants ? Alison Gopnik propose un regard très terre à terre: «Vous savez, c'est une question qu'on se pose depuis la nuit des temps!» Pour les hommes de la préhistoire, illustre-t-elle, une simple porte, et même une poignée, ce sont des avancées technologiques. «Est-ce qu'on se demande comment on fait pour gérer les portes?», pouffe-t-elle. Philosophiquement, elle poursuit: «Depuis les temps immémoriaux, on a appris à gérer les technologies. Les enfants vont apprendre à leur manière.» Ce qui ne veut pas dire qu'il faille abdiquer et les laisser faire ce que bon leur semble: «Véhiculez vos valeurs, suggère-t-elle. Mais il sera du ressort des générations futures de décider comment elles vont interagir avec la technologie. Et cela va être très différent de comment nous, on interagit avec cette même technologie.»