Chaque semaine, la conteuse Sonia Péguin fait chanter les parents et les bébés. Une tradition millénaire, mais dont les effets surprennent encore et toujours les chercheurs. Incursion dans l'univers tout-puissant d'Ani couni et de Dodo, l'enfant do.

Chanter, un acte d'amour

Bien éveillés, trois poupons font connaissance dans les locaux de la clinique Maintenant, boulevard Saint-Joseph, à Montréal. Au programme de ce mercredi matin pour Soli, Eva, André et leurs parents : l'atelier Bébés chanteurs.

« Je suis Sonia, on va chanter ! », indique tout d'abord la conteuse Sonia Péguin à ses petits protégés. Aussitôt, les adultes dans la pièce se lancent et distribuent les « sssssss » et autres « brrrrrr » sonores aux bébés, qui répondent en battant des mains et des pieds.

Le groupe chantonne ensuite quelques berceuses et d'autres chansons rythmées, entrecoupées de petites pauses. Dans ces moments de silence, la magie opère : les bébés, captivés par les chants, sortent alors de leur mutisme et s'égosillent. Soli, 2 mois à peine, respire bruyamment, dans l'intention manifeste de se joindre au concert. Enthousiaste, il parvient à lâcher un cri qui le surprend lui-même.

« Ah, tu veux chanter toi aussi ? », s'exclame Sonia avant d'entonner le classique Ani couni. Le nourrisson s'apaise aussitôt.

« La voix est un lien invisible, mais tout à fait réel. Elle joue un rôle primordial dans l'attachement. C'est une continuité », explique Monique Désy Proulx, artiste et auteure du livre Pourquoi la musique ? publié aux Éditions du CHU Sainte-Justine

Sonia Péguin organise des ateliers de chant prénatal depuis trois ans, mais elle n'a lancé le cours Bébés chanteurs qu'il y a un an. « C'est mon fils qui m'a soufflé l'idée, confie-t-elle. Il a été bercé par les cours de chant prénatal que je donnais alors que j'étais enceinte, et par une chanson africaine en particulier. Et lorsqu'il est né, c'était un bébé exigeant, mais il se calmait avec le chant. Même à table, on se disait "passe-moi le sel" en chantant ! »

Un atelier pour quoi, au juste?

Faut-il pour autant planifier le chant parental jusqu'à suivre un cours organisé ? Pas nécessairement, convient Sonia Péguin, mais le chant en petit groupe comporte plusieurs avantages, ajoute-t-elle.

« Il y a beaucoup d'autocensure chez les parents. Certains demandent : "Est-ce que je vais être obligé de chanter ?" Ils sont convaincus qu'ils chantent si mal qu'ils ne parviendront absolument pas à faire du bien à leur bébé. C'est totalement faux, évidemment », assure la conteuse, qui a suivi plusieurs formations en accompagnement périnatal.

« Avant, la transmission des traditions, des chansons, se faisait dans les familles. Aujourd'hui, pour que ça se poursuive, il faut que ça se fasse ailleurs, croit fermement Monique Désy Proulx. Et c'est tellement fort, plusieurs voix ensemble, c'est beau comme énergie. Pour les enfants, c'est extrêmement riche. »

Dans le groupe, les bébés viennent comme ils sont. Le petit Soli a beau pleurer un bref instant, ses camarades demeurent imperturbables, happés par les voix qui montent et qui descendent.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Sonia Péguin a lancé l'atelier Bébés chanteurs après avoir constaté l'effet de la musique sur son propre fils. 

« Je ne l'ai pas verbalisé encore, mais j'aime l'effet qu'a le chant sur mon fils, laisse savoir Myriam, la mère de Soli. C'est quelque chose qui passe à travers ma voix, ça passe à travers moi. »

Chantons-nous assez?

« Chanter, c'est démontrer à son bébé qu'on est à l'écoute, affirme Sonia Péguin. On exprime à notre bébé qu'on est là pour lui. Et je crois que c'est ce qui touche le plus les parents : ils se rendent compte de ce qui se produit quand ils offrent cette possibilité. Les bébés sont alors plus détendus, parce qu'ils sont plus écoutés. »

N'empêche, Monique Désy Proulx remarque que pour toutes sortes de raisons, la musique, et le chant en particulier, prennent globalement moins de place aujourd'hui. « Il y a des environnements beaucoup plus propices au chant que d'autres. Oui, il y a des gens qui ne chantent pas à leur enfant. Pourtant, chanter, c'est un acte d'amour ! », lance-t-elle.

Du même souffle, l'auteure se désole du peu de place que prend la musique dans le système d'éducation au Québec. « Tous les enfants devraient chanter ! C'est un lien entre le parent et l'enfant, une chanson, mais c'est aussi un lien entre le passé et l'avenir. C'est un lien avec nos ancêtres. Imaginez si on le rompt... »

L'atelier Bébés chanteurs fait partie de la programmation du festival Petits Bonheurs, qui aura lieu du 6 au 15 mai prochain, à Montréal.

>>>Consultez le site du festival.

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Eva, 5 mois, s'anime lorsque sa mère la touche tout en chantant. 

Des bienfaits plus grands que par la parole

La majorité des parents le savent d'instinct : chanter apaise le nouveau-né. Les vibrations dans la voix ont sur lui un effet enveloppant, rassurant. La recherche à ce sujet est d'ailleurs particulièrement dynamique, confirme Isabelle Peretz, codirectrice du BRAMS, le Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son, à Montréal. Et chaque nouvelle étude met en lumière des bienfaits supplémentaires de ces moments de tendresse. En voici quelques-uns.

Rassurer



Une équipe du BRAMS a récemment tenté de déterminer si le chant avait un avantage sur la parole auprès des bébés. Les chercheurs ont observé les réactions des poupons à des paroles (un parler « bébé », ou baby talk, en anglais) et à des chants. Puis, ils ont mesuré après combien de temps chaque bébé manifestait du désarroi, selon le moyen de communication. « On a vu qu'avec le chant, ça prend deux fois plus de temps avant que le bébé montre ces signes [précurseurs des pleurs]. C'est un très grand avantage sur la parole », résume Isabelle Peretz, codirectrice du laboratoire.



Tisser des liens



« Les études sur l'attachement entre l'enfant et la mère révèlent que ce lien se fait beaucoup à travers le chant », souligne Monique Désy Proulx, auteure du livre Pourquoi la musique?. La théorie du lien d'attachement du psychiatre britannique John Bowlby fait d'ailleurs une place au chant. Il rappelle que c'est ce dernier qui permet à l'enfant d'acquérir la certitude que sa mère est là, même lorsqu'il ne la voit pas. Isabelle Peretz a d'ailleurs elle-même fredonné de nombreux airs à ses deux enfants : « Ce n'était pas encore dans les livres, c'était instinctif. Je vois aujourd'hui la confirmation de ce que j'ai observé en tant que mère. »

Mieux communiquer



« On a démontré aussi que le chant diminue le stress chez les enfants. L'enfant est beaucoup plus fasciné par les chansons que par la parole », indique Monique Désy Proulx. C'est pourquoi, naturellement, les adultes vont chantonner lorsqu'ils s'adressent à un nourrisson. Isabelle Peretz, codirectrice du BRAMS, souligne ainsi les avantages du chant dans la communication parent-bébé : chanter ralentit le débit et rend l'échange plus facile. « D'ailleurs, dans toutes les formes de société, on chante pour les bébés ! rappelle-t-elle. C'est un code universel. »

Développement à tous les niveaux



« On sait que le fait de chanter contribue au développement du cerveau, mais aussi au développement de tout l'être, physiquement aussi », explique Monique Désy Proulx. Effectivement, des recherches menées par Jayne Standley, professeure à la faculté de musique de l'Université de Floride, ont démontré que lorsqu'ils sont exposés à des berceuses, les bébés nés prématurément tètent de façon plus active. Ils prennent ainsi du poids plus rapidement. Dans une étude publiée en 2012, la spécialiste a révélé que les bébés qui profitaient de cette musique recevaient en moyenne leur congé de l'hôpital cinq jours plus tôt.