Au père Noël, votre enfant ne demande pas un nouveau jouet. Ce qu'il veut, c'est faire réparer le sien. La Presse+ a tenté de remettre à neuf une poupée borgne et un jouet électronique brisé. Une mission difficile sans l'aide des lutins. Mais pas impossible.

POUR QUE SOFIA N'AIT PLUS L'AIR DE CHUCKY

Sofia a perdu un oeil. Plus précisément, un iris et une pupille. Ce sont des choses qui arrivent, quand on tombe du 3e étage. Sa petite propriétaire étant inconsolable, La Presse+ s'est mise en quête d'un nouveau combo iris-pupille pour Sofia. Récit d'un parcours long et coûteux, qui a permis de réparer un oeil de poupée et... un coeur d'enfant.

ÉTÉ 2015: ACCIDENT

Sofia, poupée de marque Corolle payée 80 $ (avant taxes) à Montréal en novembre 2013, perd un iris et une pupille à la suite d'une malencontreuse chute. À Amazon.ca, la même poupée est toujours vendue, à 85,99 $. Ça peut valoir le coût de la réparer...

2 OCTOBRE 2015: DEMANDE D'ADMISSION À LA CLINIQUE

Une recherche dans l'internet nous permet d'apprendre l'existence de la Clinique Corolle, qui répare les poupées en France. On remplit le formulaire de la clinique, dans lequel on décrit les symptômes de la poupée « malade » et où on donne son numéro de série (gravé sur sa nuque, donc facile à retrouver). Un accusé de réception nous est transmis le jour même, par courriel.

6 OCTOBRE 2015: SOUS GARANTIE

Bonne nouvelle: Sophie Marais, responsable de la Clinique Corolle, nous écrit: « Nous sommes désolés d'apprendre le souci rencontré avec votre poupée Y7405-0 COQUETTE BRUNE. La clinique a le plaisir de vous confirmer l'envoi d'une nouvelle poupée sous garantie. » Sofia a le sens du timing: les poupées Corolle sont garanties deux ans. La garantie de la poupée expirait donc sous peu.

On demande tout de même à Mme Marais s'il est possible d'acheter un oeil pour réparer la poupée qu'on a déjà. On craint que la nouvelle poupée ne soit pas identique à Sofia et on préférerait ne pas jeter notre jolie borgne. Ça nous ferait deux poupées.

9 OCTOBRE 2015: IMPOSSIBLE D'ACHETER UN NOUVEL IRIS

Mme Marais refuse d'envoyer un nouvel iris, « non seulement parce que cette pièce détachée est conditionnée en un seul composant, mais surtout pour des raisons inhérentes à la sécurité et à un savoir-faire ». Il est vrai qu'un petit enfant pourrait s'étouffer avec un oeil de poupée mal installé.

La Clinique propose une réparation de l'oeil au coût de 20 euros (29,42 $). On accepte et demande comment procéder.

13 OCTOBRE 2015: 77 $ POUR LA RÉPARATION

« La clinique a le plaisir de vous confirmer l'admission de votre poupée pour lui prodiguer les soins nécessaires. Le coût total s'élève à 52,34 euros (76,99 $) et comprend: 20 euros (29,42 $) pour la réparation, 22,34 euros (32,86 $) de frais de port retour et 10 euros (14,71 $) de frais bancaires », écrit Mme Marais.

Ouch! C'est presque le prix de la poupée neuve.

15 OCTOBRE 2015: CHEMIN DE CROIX

La Clinique Corolle demande de faire un virement sur son compte bancaire en France, avant d'envoyer Sofia. Impossible de payer par carte de crédit. Impossible, également, de faire ce virement en ligne ou par téléphone avec notre banque. Nous allons donc en succursale, faire un virement de 52,34 euros (76,99 $). Incroyable mais vrai, la Banque Nationale nous demande 15 $ en commission et 20 $ en frais de transmission. Au total, le virement coûte 114,90 $.

Nous allons ensuite poster Sofia. Coût: 18,98 $ pour l'envoyer par avion à Langeais, en France (ç'aurait été 10,50 $ par bateau).

19 OCTOBRE 2015: NOUVELLE POUPÉE

Youpi: le facteur nous apporte la nouvelle poupée, obtenue grâce à la garantie. Mauvaise surprise: l'Agence des services frontaliers du Canada nous facture 25,35 $ en taxes et coûts de manutention, qu'il faut régler pour récupérer le colis. Corolle a déclaré que la poupée vaut 70 euros, soit plus de 102 $...

La poupée est identique à Sofia (chouette!), mais livrée nue, avec dans son emballage un justaucorps de ballerine trop petit (zut!). Nous écrivons à la Clinique Corolle pour réclamer des habits de la bonne taille.

21 OCTOBRE: BULLETIN DE SANTÉ

« Nous avons le plaisir de vous informer que votre poupée Corolle est sortie de la Clinique ce jour », nous écrit Mme Marais. Il ne reste plus qu'à attendre qu'elle retraverse l'océan, avec les habits de bonne taille promis par l'entreprise.

26 OCTOBRE: SOFIA EST GUÉRIE

Le facteur nous livre Sofia, sans nous faire payer de taxes, puisque Corolle a déclaré qu'il s'agit d'un cadeau. La poupée, qui a recouvré la « vue », est munie d'un « Certificat de bonne santé » de la Clinique Corolle. Peu touchée par le décalage horaire (!), Sofia est impeccablement coiffée, vêtue d'un manteau rose et d'un bonnet gris, parfaits pour le climat québécois. Un habit de ballerine plus grand est aussi inclus dans le paquet. « Je lui prescris beaucoup de repos pendant une semaine accompagné d'une grande dose de tendresse deux fois par jour, et des bisous à volonté », précise Dre Sophie sur le certificat de la convalescente.

BILAN

Faire réparer Sofia a coûté un total de 133,88 $. C'est trop cher, à moins que la poupée ait une grande valeur sentimentale.

Obtenir une nouvelle poupée grâce à la garantie de deux ans a coûté 25,35 $ en taxes et coûts de manutention. Compte tenu du prix élevé des poupées Corolle - et du fait que bien des enfants y sont attachés -, l'opération en vaut la peine.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

UNE CLINIQUE QUI RÉPARE DE 1000 À 2000 POUPÉES PAR AN

Depuis 17 ans, la Clinique Corolle soigne les poupées malades. La marque française - dont le chiffre d'affaires est estimé à 30 millions d'euros (soit 44 millions de dollars canadiens) par Le Figaro - offre un service après-vente original en cette époque où règne l'obsolescence programmée. La Presse+ a joint en France Mathilde Dezalys, directrice générale de Corolle, pour parler de cet « hôpital » pour poupées.

Depuis quand la Clinique existe-t-elle?

C'est un service qui existe depuis 1998. On répare en moyenne entre 1000 et 2000 poupées par année. On a quelqu'un qu'on a surnommé Dre Sophie, qui est en fait une personne qui se consacre à la clinique des poupées. Elle fait vraiment des miracles. Elle travaille chez nous depuis plus de 30 ans, donc c'est quelqu'un qui connaît par coeur tous les produits, presque depuis le début de l'existence de Corolle (fondée en 1979).

Quels soins offrez-vous?

Dre Sophie a un savoir-faire dans tous les domaines. On a des produits qui arrivent complètement tachés, avec une jambe mangée par un chien, un corps déchiré. Il leur faut d'importantes opérations chirurgicales. Dre Sophie sait aussi réparer un oeil, nettoyer le visage, remaquiller une poupée, parce que nos poupées sont très légèrement maquillées, elles ont les joues un peu fardées.

En général, la poupée retourne chez sa propriétaire en parfait état. Depuis deux ou trois ans, on a ajouté un service supplémentaire: la poupée repart dans son foyer d'origine avec une tenue toute neuve et un certificat de bonne santé.

Les réparations sont gratuites si la poupée est sous garantie?

Oui. En Europe, une loi fait qu'on a maintenant une période de garantie obligatoire de deux ans. Donc, pendant deux ans, on remplace ou on répare la poupée. Ce qu'on offre aux consommateurs français et européens, on l'offre aussi aux consommateurs étrangers. De toute façon, on a très peu de problèmes de qualité.

Mais en général, quand il s'agit d'un mauvais usage, on ne remplace pas la poupée. Par exemple, si vous faites tremper votre poupée dans un pot de teinture, on considère que c'est un mauvais usage.

Peut-on quand même faire réparer sa poupée dans ce cas?

Oui, mais le service de la clinique va être payant, comme dans le cas des produits plus anciens [NDLR: lorsque la garantie de deux ans est échue]. On a beaucoup de gens qui font réparer leur poupée, parfois 20 ans ou 30 ans après l'achat, pour pouvoir la transmettre à leur fille ou à leur petite-fille.

Du Canada, malheureusement, avec les frais de transport pour venir et repartir, ça va être assez coûteux. Il faut que ce soit vraiment une poupée de coeur, la poupée de votre enfance que vous voulez faire réparer. On va vous proposer un devis, mais ce sera parfois plus cher que d'acheter une poupée neuve.

Aussi, pour les produits destinés aux petits enfants de moins de 3 ans, parfois on ne répare pas l'objet, parce qu'on considère qu'on met en danger la sécurité. On va préférer remplacer la poupée ou changer complètement la tête ou le corps, plutôt que de réparer le produit. La clinique n'a pas le même équipement que nos usines, où on fait des tests, où on a un détecteur de métal, pour s'assurer qu'une aiguille n'est pas restée dans le produit.

Combien coûtent les « opérations »?

Ça peut varier entre 15 et 50 euros (de 22 $ à 74 $). Le plus petit prix, c'est pour faire un vrai nettoyage, ce qu'on appelle une remise en beauté de la poupée. La nettoyer, la refarder, la recoiffer. Après, ça varie en fonction du nombre d'opérations.

On a eu des cas où les gens étaient prêts à payer très cher parce qu'il était important pour eux que ce soit la poupée d'origine, avec son odeur, son oreille un peu gribouillée au stylo, une marque qu'il ne fallait surtout pas enlever. Après, on reçoit de très jolies lettres pour nous remercier du travail. Elles prouvent que c'est un service qui a du sens.

Cette clinique est étonnante, dans un monde où on cherche plutôt à faire acheter régulièrement de nouveaux produits.

On dit que c'est notre petite démarche écologique. Une poupée Corolle, ça ne se jette pas. C'est un produit qui est cher, de qualité, qu'on doit transmettre de génération en génération. La clinique permet de favoriser ça. Et du coup, je pense que, mine de rien, c'est aussi une manière de faire acheter, puisqu'on garantit la qualité du produit sur une très longue durée.

PHOTO FOURNIE PAR COROLLE

UN HÔPITAL POUR PERSONNES EN TISSU À MONTRÉAL

« Hôpital pour personnes en tissu. Merci de laisser nos patients se reposer. Chut. » Voilà ce qu'on peut lire sur un panneau installé au-dessus des neuf petits lits pour toutous malades de l'atelier-boutique Raplapla, à Montréal.

Tous les jouets en tissu - pas seulement ceux nés chez Raplapla - peuvent être soignés à cet hôpital, ouvert il y a deux ans. Tarif: 20 $ l'heure, matériaux inclus. « Chaque patient est traité au cas par cas, nous estimons d'abord les opérations nécessaires et le temps requis », explique Dominique Dansereau, « responsable des miracles » de l'hôpital.

Garanties un an, les poupées de chiffon Raplapla sont depuis longtemps réparées à l'atelier de la rue Villeneuve Ouest. « C'est sûr qu'au bout de quatre ou cinq ans de câlins, il y a évidemment de l'usure », observe Érica Perrot, présidente et créatrice de Raplapla.

TRAVAIL DE GRAND-MAMAN

Un jour, une cliente a apporté pour réparation une girafe « non raplaplaïenne » à la boutique. « Sur le coup, on a pensé que les gens abusaient un peu, se souvient Mme Perrot. Puis, on a réalisé que ça voulait dire que personne ne le faisait. Comme ma philosophie, c'est de faire du durable, j'ai dit: ''Allez! On ouvre un hôpital." »

Remettre de la bourrure, réparer une couture, recoudre un nouvel oeil ou remplacer une jambe perdue, presque tout est possible. « Ce que nos grands-mamans faisaient autrefois, nous le faisons », résume Mme Dansereau.

« Ce qui est génial, c'est qu'on découvre toutes sortes de techniques de fabrication. Ça peut être pratique pour les jouets en développement », ajoute Érica Perrot

Les jouets anciens ou de collection ne sont toutefois pas admis. « Ce qu'on fait, c'est pour que les enfants puissent continuer de jouer, dit Mme Perrot. On aime quand l'enfant vient nous expliquer ce qu'a son jouet. On lui fait choisir son tissu. S'il aime que la bourrure soit un peu tapée, on la laisse comme ça. »

SUR RENDEZ-VOUS

Il suffit de prendre rendez-vous, puis de laisser le petit propriétaire déposer son malade dans un des lits de l'hôpital. « Ça aide parfois l'enfant de savoir que son ami est à l'aise, même s'il ne peut dormir avec lui », indique Mme Dansereau.

« C'est trop touchant de voir les enfants laisser leur toutou, témoigne Mme Perrot. Ce n'est pas toujours facile pour eux. Parfois, ça prend plus d'une visite. » Au point où Raplapla songe à prêter des jouets pendant les réparations, comme le font les garages automobiles...

« Quand ils reviennent les chercher, ça vaut de l'or, poursuit la créatrice. Ils sont tellement heureux. »

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

PLUS DIFFICILE DE RÉPARER UN JOUET ÉLECTRONIQUE

« Au revoir, les enfants! », dit l'enseignante. « Au revoir, maîtresse! », répondent les élèves. « Au revoir, les enfants! », redit l'enseignante. « Au revoir, maîtresse! », répondent de nouveau les élèves... Notre jouet Mon école ABC, de VTech, répète inlassablement ces deux phrases. Il est brisé. Nous avons changé les piles, sans succès. Sa valeur? Quarante dollars. Mais comme c'est un cadeau reçu il y a environ deux ans, nous n'avons pas de preuve d'achat. Où le faire réparer? Une recherche sur le site de petites annonces Kijiji a permis de trouver un technicien en électronique, sur la Rive-Sud de Montréal. Malheureusement, après examen, son verdict a été sans appel: personne, sauf le fabricant, ne peut réparer ce jouet, qui fonctionne grâce à des puces préprogrammées. La suggestion du réparateur: chercher le même jouet d'occasion sur Kijiji. Bingo: nous en avons trouvé un pour 10 $. C'est moins écolo que de réparer le nôtre, mais mieux que de racheter du neuf.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE