Pendant des années, elles ont transporté des sacs, attaché des patins et refait le ruban sur la palette de leur fils ou de leur fille. Elles connaissent les secrets d'une sortie de zone réussie et applaudissent l'exécution parfaite d'un lancer frappé. Pourtant, elles n'ont jamais joué au hockey.  Voilà qui s'apprête à changer.

« C'EST MON TOUR »

Un lundi soir, peu avant 21 h, un groupe de jeunes joueurs pee-wee quitte l'aréna Evolution Ice, à Dorval, les cheveux mouillés par l'effort. En sortant, ils croisent un groupe de femmes tout aussi mordues, prêtes pour l'entraînement « Hockey moms ».

« Vous allez vraiment jouer ? », leur demande, étonnée, la mère d'un des jeunes joueurs. « Oui ! Tu devrais venir ! C'est cool ! », répond une des joueuses, affairée à refaire le ruban sur la palette de son bâton.

Lancée il y a un peu plus de trois ans, l'initiative vise les femmes adultes qui n'ont absolument aucune expérience au hockey. L'objectif : leur permettre de goûter enfin à ce sport qui occupe bien souvent déjà une grande place dans leur vie.

« Quand j'ai eu l'idée de créer ce groupe, je fréquentais cet aréna avec mon fils. Je l'accompagnais partout : à ses entraînements et à ses parties. Puis, un jour, j'ai décidé qu'il était temps que j'apprenne à jouer moi aussi ! », explique Robyn Miller.

Fin trentaine, elle a alors réuni suffisamment de femmes et convaincu la direction de l'aréna d'offrir un cours d'initiation aux mères des joueurs, ou à toute femme qui n'a jamais joué.

Et pas question ici d'embaucher n'importe qui pour leur enseigner les rudiments du sport : elles auraient droit aux conseils avisés de Chris Anderson, un des entraîneurs pour jeunes les plus en vue à Montréal.

« Au début, il devait lacer nos patins parce qu'on n'était pas capables de les attacher ! », se rappelle Robyn en riant.

Assis en bordure de la baie vitrée, l'entraîneur sourit à l'évocation de ce souvenir. « J'ai tout fait ! Attacher des patins, fixer des protège-coudes, resserrer des casques... comme des enfants ! Ces femmes savaient très bien prendre soin de leurs jeunes, mais elles se retrouvaient exactement dans leur position ! Comme des petits pré-novices », raconte-t-il.

Il prend une pause et ajoute, fier : « C'est fascinant de les voir aujourd'hui ! La première fois qu'elles étaient sur la glace, c'était terrible ! » L'entraîneur se lève, agite les bras dans les airs et pousse un cri strident pour imiter gentiment ses protégées à leurs débuts. Alors qu'il s'exécute, une femme frappe dans la baie vitrée pour le semoncer en riant.

Les joueuses font une série d'exercices d'habileté, puis elles s'affrontent dans une partie amicale à la fin de l'entraînement. Chris Anderson a dû confier son groupe à un nouvel entraîneur cette saison, mais il demeure épaté par la persévérance de ses « hockey moms ». « Il est 21 h 30, et elles sont toutes ici, après avoir travaillé, pris soin de leur famille... c'est tout un engagement de leur part ! À leur premier tournoi, les autres équipes leur donnaient la rondelle. Elles avaient un peu pitié, il faut dire. Maintenant, elles ne leur laissent plus le disque ! »

Parmi ces femmes, Nicole Kappos réalise en quelque sorte un souhait d'enfance en se présentant à l'aréna « pour elle » et pas seulement pour son amoureux ou ses fils. Son cadet est d'ailleurs l'un des jeunes joueurs pee-wee qui s'entraînaient juste avant elle. « Enfant, j'adorais le hockey, mais mes parents pensaient que c'était un sport trop masculin pour une fille, mais ils m'ont permis de jouer à la ringuette. Je n'étais pas très bonne patineuse, alors j'ai terminé gardienne de but ! Jouer au hockey, c'est donc nouveau pour moi... et j'adore ça ! »

Elle n'est pas la seule. Devant la popularité de son programme d'initiation pour les femmes adultes, la direction de l'aréna songe à ouvrir d'autres cours pour la même clientèle. « C'est assez exceptionnel comme engouement, lance Shawn Snyder, responsable de l'aréna. C'est assez nouveau, mais la demande est assurément en croissance. »

DU TEMPS POUR SOI

L'intérêt pour des femmes adultes était tout aussi manifeste, à la mi-septembre, au camp d'entraînement annuel des Stars de Montréal, nouvellement baptisées Canadiennes de Montréal. L'équipe de la Ligue canadienne de hockey féminin a invité il y a un mois les débutants à participer à un programme d'une fin de semaine spécialement conçu pour eux. Dans ce groupe, une majorité de femmes.

Juste à la sortie du vestiaire, Nathalie Dupuis se présente en riant : « Vous cherchez des débutantes ? Vous êtes bien tombée avec moi ! L'année dernière, je restais debout en me tenant après les bandes... Mais cette année, vous allez voir, je patine toute seule ! »

Difficile de trouver plus mordue de hockey. Partisane indéfectible, Nathalie accompagne ses enfants et son mari à l'aréna, et elle s'implique comme gérante d'équipe à un point tel qu'elle a donné des formations aux nouveaux bénévoles. Puis, il y a un an, ce fut son tour.

« Je suis une hockey mom qui a décidé de s'investir pour elle », résume-t-elle. Après 30 minutes de patinage intensif, elle s'accorde une pause et nous raconte son parcours de joueuse. Car apprendre à jouer au tournant de la quarantaine, avec des maux de dos de surcroît, n'a rien d'évident. Mais le jeu en vaut la chandelle, assure-t-elle.

« Tu ne peux pas être plus poche que moi, c'est sûr, mais à force de vouloir, c'est possible. Je n'ai jamais lâché, même si c'est tout, sauf évident. C'est un dépassement... » Nathalie s'interrompt, la voix étranglée par l'émotion. Son mari s'approche, inquiet de voir les larmes perler dans les yeux de sa femme. « Ça va ? », lui demande-t-il doucement.

« Je réalise ce que je fais, et ça me dépasse ! explique Nathalie, avant d'ajouter, tout sourire : Je viens de sauter par-dessus les lignes sur la patinoire ! Tu as vu ? Je ne saute pas haut encore, mais j'ai réussi ! »

Il y a plus de 30 ans, Nathalie arpentait déjà les arénas pour encourager son amoureux. Aujourd'hui, c'est lui qui souligne ses prouesses. Attendri par les efforts de sa femme, il enlève son masque de gardien de but et l'embrasse.

« Tout le monde est capable, résume la mère de famille. Si tu veux, si tu aimes ça, tu peux le faire. Je ne le fais pas pour faire plaisir à personne : je me suis lancée là-dedans parce que j'aime ça. »

Près d'elle, Fiona Robinson, une autre participante au camp des Canadiennes, abonde dans le même sens. « Ça fait 20 ans que je joue, et je serai probablement toujours au niveau D ! Mais ce n'est pas grave ! C'est super qu'on puisse apprendre à jouer, même à l'âge adulte. On a le droit de se défouler sur la glace, nous aussi ! »

LES « NULS » FONT LEUR PLACE

Apprendre, peu importe le niveau. C'est d'ailleurs la philosophie de L'école des nuls, à l'aréna Marcel-Laroque de Saint-Jean-sur-Richelieu. Un dimanche soir sur deux, Nathalie Dupuis rejoint ce groupe de débutants, fondé par Nancy Dupuis (aucun lien de parenté).

« Mes enfants jouent au hockey depuis qu'ils savent marcher, raconte Nancy. Je suis une femme assez compétitive, et me faire planter au hockey par mon enfant qui a 4 ans, parce qu'il patine plus vite même de reculons, j'ai trouvé ça difficile pour l'orgueil ! Il fallait que j'apprenne enfin comment jouer ! »

Absolument mordue de hockey, elle a même acheté la boutique d'équipement sportif de l'aréna. En parlant avec le gestionnaire, elle a constaté que la glace était libre un dimanche soir sur deux. « Je me suis dit : "C'est ma chance : je lance mon école de hockey !" », raconte la passionnée.

C'est ainsi que L'école des nuls est née. « Quand on dit nuls, c'est vraiment nuls, affirme Nancy Dupuis. On ne sait pas patiner, on ne sait pas freiner... Les participants ne doivent jamais avoir fait partie d'une équipe de hockey. »

Seuls critères pour participer : être passionné et motivés à travailler fort. Très fort.

« On a des entraîneurs certifiés, comme mon mari, qui travaillent avec nous, et qui nous font faire les mêmes exercices qu'aux jeunes enfants », explique la mère de famille.

Le concept de L'école des nuls a plu à nombre de débutants. Au total, 35 personnes y sont inscrites, dont une majorité de femmes. « Il y a vraiment une demande pour ce type de cours ! Tellement qu'on a même démarré le cours Les nuls intenses, un samedi soir sur deux, pour ceux qui voudraient aller plus loin. »

Le but ultime des participantes : intégrer un jour une des nombreuses équipes récréatives pour femmes. « On aimerait leur donner des outils pour qu'elles soient capables d'intégrer une ligue et, qui sait, partager leurs connaissances avec leurs coéquipières ! C'est un long chemin, mais on va y arriver ! »



UNE COMMUNAUTÉ À PART ENTIÈRE

Elles sautent sur la glace pour se tenir en forme et goûter enfin à ce sport qui les passionne depuis qu'elles sont toutes petites. En cours de route, elles ont toutefois découvert le plaisir des conversations de vestiaire et des badineries sur la glace. Voyez ce qui les anime autour de ce sport qu'elles apprivoisent encore.

Fiona Robinson : « Si tu fais un beau but, tout le monde va t'applaudir, y compris la gardienne contre qui tu viens de marquer ! »

Nathalie Dupuis : « Habituellement, je ne fais pas d'exercice, moi. Le seul exercice que je fais, c'est suivre mes enfants ! Un entraînement comme celui-là, c'est très intense. Ça me fait un bien fou, j'adore ça. »

Robyn Miller : « Au bout d'un moment, ma famille a commencé à se moquer de moi parce que tout tournait autour du hockey ! Les lundis soirs, je ne suis disponible pour rien d'autre. Je quitte même les parties de mon fils pour me rendre à mon entraînement. Et à la fin... on prend un verre de vin ! »

Nicole Kappos : « On est toutes des mamans, ou presque, et aucune d'entre nous n'est super bonne. Alors on tombe, on manque nos tirs, mais au moins on joue ! C'est tellement le fun ! »

Nancy Dupuis : « Les adultes que l'on croise à l'aréna nous disent tous qu'on a du courage, parce qu'on est presque tous âgés de 35 ans et plus. Et ils ont raison de nous trouver courageuses : ce n'est pas évident de commencer à notre âge ! »

N'entraîne pas maman qui veut

Chris Anderson, entraîneur au hockey mineur, le dit d'emblée : enseigner les rudiments de ce sport à des femmes adultes est sans aucun doute « un des plus grands défis » de sa carrière.

Très vite, il a dû ajuster son style parfois bouillant à la sensibilité de ses nouvelles joueuses. « Les femmes n'aiment pas trop qu'on crie », lance-t-il en souriant.

Robyn Miller se souvient des débuts de l'entraîneur dans leur groupe. « Au début, quand l'une de nous tombait, nous nous arrêtions toutes pour nous excuser. Ça rendait Chris fou ! Il nous disait d'arrêter de dire qu'on était désolées, et de nous mettre à jouer ! Alors on s'est mises à être un peu plus compétitives ! »

L'entraîneur a toutefois vite constaté que ses protégées étaient très motivées... et souvent plus concentrées que leurs enfants : « Elles apprennent vite, et on n'a pas souvent besoin de répéter, contrairement aux jeunes enfants. »

Ann-Sophie Bettez, joueuse des Canadiennes de Montréal, constate elle aussi une grande réceptivité chez les femmes qui commencent à l'âge adulte. « J'entraîne des jeunes, et je vois effectivement une différence avec les adultes. [Les femmes qui commencent] sont très conscientes du prix et de l'investissement nécessaire pour jouer au hockey, et c'est normal. Elles ont une grande détermination à vouloir s'améliorer. C'est évident : elles en mangent, du hockey ! »

Quel est le secret pour apprendre à jouer au hockey à l'âge adulte ? Voici des conseils de pros.

« Il faut accepter de tomber, encore et encore. L'équipement est là pour ça ! Dès que l'on passe par-dessus cette crainte, on parvient à progresser rapidement. » - Ann-Sophie Bettez

« Le hockey sollicite tout un ensemble de muscles. Il ne suffit pas de courir ou d'aller au gym de temps à autre pour être totalement prêt à fournir un tel effort. Les genoux et les hanches sont particulièrement mis à l'épreuve, et il faut tout de même se montrer prudent au départ. Au bout de quelques mois d'entraînement sur la glace, de nouveaux muscles se développent, et les débutantes se sentent soudainement plus à l'aise. » - Chris Anderson

« Pour s'améliorer, il faut savoir sortir de sa zone de confort. Aller au-delà de ses limites. » - Ann-Sophie Bettez