De 3 à 6 ans, les enfants ne connaissent pas leur valeur. Les Éditions du CHU Sainte-Justine rééditent Quand les tout-petits apprennent à s'estimer..., un guide théorique et pratique visant à développer leurs sentiments de confiance, d'appartenance, de connaissance d'eux-mêmes et de réussite. « C'est un outil pour aider les enfants à être conscients qu'ils font des bons coups », explique son auteur, Germain Duclos. La Presse a joint le psychoéducateur et orthopédagogue pour parler d'estime de soi.

Q Vous écrivez qu'on ne peut parler d'une véritable estime de soi chez l'enfant avant l'âge de 7 ou 8 ans. C'est exact ?

R Oui. Un enfant de 3-4 ans n'a pas encore développé de pensée critique. Demandez-lui : « Choisis le meilleur dessin que tu as fait. » Pour lui, tous ses dessins sont beaux... C'est avec l'apparition de la pensée logique, de la pensée critique, qu'il peut poser un jugement.

Q Il est important de les préparer à avoir une bonne estime de soi, si jeunes?

R Oui. L'enfant retient qu'il a fait quelque chose de beau, de bon. L'estime de soi, c'est reconnaître que j'ai des qualités, des forces, des compétences, même si je fais aussi face à des difficultés. Je vaux quelque chose, comme personne, malgré les limites que je peux vivre. Ça n'enlève pas ma valeur. Il faut préparer les tout-petits à l'estime de soi, en soulignant leurs bons coups. Autour de 7 ou 8 ans, l'enfant va récupérer ces expériences positives du passé, pour poser des jugements positifs sur lui-même.

Q Doit-on répéter à son enfant qu'il est bon, beau, gentil et intelligent?

R On peut le faire si ça nous tente, ça ne nuit pas. Mais on ne développe pas l'estime de soi comme ça. On ne dit pas : «Tu es un enfant débrouillard.» On va dire : «Tu te souviens, quand tu es arrivé de l'école, la porte était barrée, tu es allé chercher la clé chez le voisin.» Ces actions veulent dire : débrouillard. Ce n'est pas gratuit. Il reste que ce n'est pas le fait que l'enfant fasse un bon coup qui est important, c'est de le dire. Sinon, comment voulez-vous qu'il en soit conscient ? Il faut que ça passe par la voie symbolique, c'est-à-dire le langage.

Q À force d'insister sur l'estime de soi, n'a-t-on pas fait plein d'enfants-rois?

R C'est mal compris, l'estime de soi, ce n'est pas se surestimer. C'est un jugement qu'on porte sur soi-même. Quelle est ma valeur comme personne ? C'est alimenté en premier par des adultes importants pour l'enfant, des parents, des éducatrices en services de garde. Je dis aux parents qu'il faut souligner les gestes positifs, mais aussi dire à l'enfant qu'il a des difficultés. Les difficultés, ce n'est pas un handicap, c'est un défi à relever. Quand l'enfant est conscient qu'il a des points à améliorer, il peut faire le deuil de sa toute-puissance. Autrement, ça fait un enfant-roi.

Q Vous proposez des activités à faire en garderie. Que peuvent faire les parents?

R Le soir, après avoir bordé son enfant, on lui parle des gestes positifs qu'il a faits durant la journée. «Tu as aidé ta petite soeur à trouver ses mitaines. Tu as aidé papa à mettre la table.» Même si ce sont juste de petites choses, on valorise ces actions.

Attention: vous aurez beau faire les 50 activités pour l'estime de soi, vous n'améliorerez pas l'estime de l'enfant si vous lui dites des mots qui blessent. « Tu es paresseux, tu es lent, tu es têtu », ça sabote l'estime de soi, surtout si ça vient d'une personne significative. C'est de la violence verbale. Dans le mot violence, il y a toujours un petit mot caché, qui est le mot viol. La violence physique, c'est violer le corps de l'autre, c'est une intrusion agressive. La violence verbale, c'est violer l'amour-propre, le sentiment de la valeur chez l'enfant.

Q Il est important de développer l'estime de soi des enfants pour prévenir le décrochage scolaire?

Tout à fait. On ne peut prétendre motiver un jeune à relever un défi ou à réaliser de nouveaux apprentissages s'il considère qu'il ne vaut rien, s'il n'est pas conscient d'avoir une valeur, comme personne.

UN GUIDE UTILE EN GARDERIE

«L'estime de soi est une réserve consciente de forces personnelles dans laquelle l'enfant ou l'adulte puise l'énergie nécessaire pour combattre ou gérer les stress de la vie.» Quand on lit ce passage deQuand les tout-petits apprennent à s'estimer..., on comprend l'importance de favoriser son apparition chez les 3 à 6 ans.

Ce guide propose une cinquantaine d'activités, testées pendant trois ans au CPE Enfant des Neiges de Montréal, pour aider le développement d'un sentiment de confiance, de connaissance de soi, d'appartenance et de réussite. Exemples: faire un bricolage à partir d'une photo de bébé de l'enfant, en parlant de ce qu'il est capable de faire maintenant. Ou mimer ce dans quoi il est bon.

«Entre 3 et 6 ans, les enfants doivent vivre de nombreuses expériences de réussite pour prévenir les problèmes de motivation et d'apprentissage scolaire », précise l'auteur Germain Duclos. Il ne s'agit pas de ne pas faire d'erreurs, normales. « L'éducatrice doit donc leur apprendre à devenir des apprentis sages, souligne-t-il. C'est-à-dire des apprentis qui acceptent de faire des erreurs et de changer de stratégie, afin d'acquérir de nouvelles habiletés ou connaissances.»