Pour promener leur bébé sur leur ventre, nombreuses sont les nouvelles mamans qui achètent des manteaux de portage (ou des extensions comme celles de Kokoala). Au coeur de l'hiver, il y a encore mieux : les parkas amautis, qui permettent aux femmes inuites de garder leurs petits au chaud, dans leur dos. Un secret des mères du Nord, qu'elles veulent bien partager avec celles du Sud.

Porter son bébé comme une Inuite

Victoria Okpik a grandi collée contre sa mère, qui la portait sous le grand capuchon de son amauti, le manteau traditionnel des femmes inuites. Ça n'avait - et n'a toujours - rien d'exceptionnel. «Dans le Nord, tout le monde est transporté dans le dos de sa mère», dit la designer de l'entreprise de mode Nunavik Creations, qui est originaire de Quaqtaq, un village donnant sur le détroit d'Hudson.

Quand elle est devenue mère à son tour, Mme Okpik habitait à Dorval. «J'utilisais l'amauti pour aller marcher avec ma fille, se souvient-elle. Elle s'endormait bien plus facilement comme ça.»

«L'amauti est le symbole par excellence de la femme et de la mère inuites, indique Caroline Hervé, directrice générale de Saturviit, l'association des femmes inuites du Nunavik. Les femmes qui ont un enfant en ont toutes un. Si elles n'en possèdent pas, elles s'en font prêter un. Les fillettes en ont aussi, pour jouer à porter leur bébé dans le dos.»

Avantages nombreux

Dans le sud du Québec, le portage des bébés dans des écharpes ou des porte-bébés inspirés de ce qui se fait en Amérique du Sud, en Scandinavie ou en Asie gagne en popularité. Curieusement, on ne connaît toutefois pas les parkas amautis, utilisés de longue date par les 25 000 femmes inuites du pays. «Des preuves historiques indiquent que le style et la forme des amautis et des autres vêtements utilisés en Arctique ont peu changé au cours des siècles», souligne un rapport de l'Association nationale des femmes inuites Paukuutit.

Les avantages de ce manteau sont pourtant nombreux. L'amauti «est peut-être le vêtement le plus exceptionnel au monde», affirme le musée McCord dans son exposition en ligne.

Photo Alain Roberge, La Presse

Louise Falardeau et Victoria Okpik, respectivement directrice et designer à Nunavik Creations.

«J'ai porté mon fils de 2 ans dans l'amauti, et effectivement, il était au chaud, confirme Mme Hervé. C'est très pratique parce qu'on a les deux mains libres pour porter des sacs. C'est moins fatigant pour le dos que de porter un bébé devant soi et ça permet de voir où on met les pieds. En voiture, ce n'est toutefois pas l'idéal puisqu'il faut enlever le bébé pour le mettre dans son siège d'auto. Mais pour les mamans qui prennent le bus, ça doit être super!»

Une longue queue pour s'asseoir

Jadis, les larges épaules de l'amauti permettaient «à la mère de faire passer l'enfant devant pour l'allaiter ou lui faire faire ses besoins sans l'exposer aux éléments», souligne le musée McCord. Protégé par ce manteau, un bébé peut ne porter qu'un chapeau et des vêtements d'intérieur jusqu'à l'âge de 2 ans environ. «Ce contact étroit et prolongé entre la mère et son bébé allonge l'allaitement et contribue à espacer les naissances», précise le rapport de l'association Paukuutit.

Traditionnellement, l'arrière de l'amauti descend jusqu'aux mollets, ce qui lui donne un air folklorique. «Les femmes s'asseyaient sur cette queue, quand elles étaient sur la glace et la neige», explique Mme Okpik. Dans sa collection 2015, Nunavik Creations offre aussi une version courte du manteau. «On pense que ça plaira davantage à la femme urbaine non inuite», espère Mme Falardeau.

L'amauti pourrait séduire toutes les frileuses... Quoi de mieux qu'un manteau inuit ? «Nos amautis sont très chauds, bons jusqu'à - 40 °C, assure Mme Okpik. Mais les hivers du Nord sont différents de ceux du Sud. Ici, le froid entre dans les os, tandis qu'au nord, c'est plus sec.»

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Femmes inuites au Canada : 24 450

Dont :

4725 au Nunavik (territoire québécois situé au nord du 55e parallèle)

5920 à l'extérieur des régions inuites du Canada

Source : Statistique Canada, 2006

Vingt heures de travail pour coudre un amauti

Automne 1999. La designer new-yorkaise Donna Karan envoie un acheteur dans l'ouest de l'Arctique. But de l'opération : rapporter des vêtements traditionnels inuits - dont un amauti, parka qui permet de porter un bébé dans son dos - pour s'en inspirer. Décidée à stopper ce «détournement de la culture inuite», l'association des femmes inuites Pauktuutit dénonce la designer dans les médias. DKNY ne lancera finalement pas d'amauti.

Aujourd'hui encore, «la plupart des gens dans le Nord font leurs propres amautis et parkas ou les font faire par quelqu'un dans leur famille, dit Victoria Okpik, diplômée du collège LaSalle et designer de Nunavik Creations. Des ateliers de couture ouvrent dans bien des villages. Les femmes plus âgées montrent aux plus jeunes comment faire.»

Jalouses de leur savoir-faire, les Inuites sont tout de même ravies que des femmes d'ailleurs craquent pour les amautis. Nunavik Creations en vend en ligne, sur rendez-vous à son atelier de l'arrondissement de Saint-Laurent et dans des boutiques de Wendake et de Kuujjuaq. Deux modèles très chauds (long et court) sont offerts, en différentes couleurs (rouge, marron, sauge et blanc), bordés de fourrure amovible de renard ou de coyote.

L'entreprise, qui emploie six personnes dans le Sud et deux autres dans le Nunavik, ne craint pas de voir ses modèles copiés. «C'est si compliqué à faire qu'on ne verra jamais ça chez Forever 21, dit en riant Vera Greening, chef d'atelier de Nunavik Creations. Coudre un amauti représente au moins 20 heures de travail, pour une couturière d'expérience.»

Cela explique que les amautis coûtent cher : de 1499 $ à 1699 $, chez Nunavik Creations. «La fourrure est très dispendieuse et on doit en mettre deux fois plus que sur un capuchon normal», fait valoir Louise Falardeau, directrice de l'entreprise.

Des amautis moins chers

Des amautis moins chauds, sans fourrure ni ceinture tressée, sont offerts à 460 $ (livraison incluse au Canada) par Amauti Baby. «Je les fais à temps partiel, les soirs et les week-ends, indique Susie, la couturière d'Amauty Baby, originaire d'Iqaluit au Nunavut. J'ai commencé à m'intéresser à leur fabrication après avoir reçu un bel amauti, cadeau d'une tante pour mon premier enfant.»

Fan de Michael Jackson, Susie a même conçu des amautis inspirés de l'allure du chanteur...

La couturière espère que les North Face de ce monde ne commercialiseront jamais d'amautis. «Si les fabricants du Sud commencent à produire des amautis, ils pousseront à la faillite moi et d'autres femmes inuites, fait-elle valoir sur son site internet. Et nous perdrons le contrôle sur un élément de plus de notre culture.»

Photo Alain Roberge, La Presse

Coudre un amauti prend 20 heures à une couturière expérimentée, comme Barbara Valente.

Des jumeaux dans l'amauti

Mère de jumeaux âgés de 5 mois, Mélanie Frigon fait tourner les têtes lorsqu'elle les porte dans un manteau inuit. La Presse l'a jointe à Trois-Rivières, où elle habite.

D'où vient votre amauti?

Je faisais déjà du portage. Mon mari, qui travaille dans le Grand Nord, m'a dit : «Tu sais que tu n'es pas la seule granola? Toutes les Inuites ont des manteaux de portage.» Il m'en a fait faire un sur mesure. Il vient de Hall Beach (Sanirajak), près de l'île de Baffin. C'est un manteau 3-en-1, avec deux couches à l'intérieur, bon jusqu'à - 50 °C.

Aimez-vous l'utiliser?

C'est difficile d'y installer les jumeaux, je dois avoir de l'aide pour le faire. Mais avec un seul enfant, ce n'est pas compliqué. Vous allez rire, mais c'est comme avoir un bonnet de soutien-gorge dans le dos, où on assoit son enfant! C'est un manteau vraiment confortable, avec une langue derrière qui fait que le vent n'atteint pas les fesses. Ça me permet de sortir avec mes jumeaux et mon plus vieux, qui a 4 ans et qui a besoin d'aller dehors faire des bonshommes de neige.

Vos bébés aiment-ils l'amauti?

Ils adorent ça, surtout ma fille. Je les mets dans l'amauti et ils dorment en deux minutes. C'est un tel confort d'être collé sur maman et sur son frère ou sa soeur!

Quelles sont les réactions des gens qui vous croisent sur la rue?

On me demande quel est ce manteau. Dès que je tasse mon capuchon pour laisser voir les jumeaux, j'entends : «Ah, mon Dieu!» Les gens m'en parlent beaucoup. C'est notre héritage, ça existe depuis des centaines d'années, alors je suis contente de faire connaître l'amauti.

Photo Sylvain Mayer, Le Nouvelliste

À Trois-Rivières, Mélanie Frigon porte ses jumeaux de 5 mois, Abygail et Derek, dans son amauti. Son fils aîné, William, a 4 ans. «Vous allez rire, mais c'est comme avoir un bonnet de soutien-gorge dans le dos, où on assoit son enfant», explique-t-elle.